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Gratification : en tentant l’apaisement, le gouvernement brouille les cartes

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Le moratoire et la concertation annoncés par le ministère de l’Enseignement supérieur apparaissent comme une nouvelle reculade pour les centres de formation et les étudiants. Et risquent de rendre la situation encore plus explosive.

Une belle pagaille ! Après que ses prédécesseurs ont laissé pourrir le dossier de la gratification depuis 2008, le gouvernement a créé la surprise. Réagissant à la pression des étudiants qui, face à la fermeture des lieux de stage, durcissent leurs mobilisations locales (1) et aux interpellations des élus, le ministère de l’Enseignement supérieur a décidé de surseoir, pour l’année universitaire 2013-2014, à l’extension de l’obligation de gratifier aux établissements et services des fonctions publiques territoriale et hospitalière. Et annonce qu’une concertation va être engagée « avec les collectivités territoriales, les établissements publics de santé et du secteur médico-social » afin « de prendre en compte leur situation budgétaire » (voir ce numéro, page 34).

Cacophonie gouvernementale

« C’est ahurissant. On se demande si le ministère des Affaires sociales a été consulté ! », réagit, à titre personnel, Chantal Cornier, vice-présidente de l’Unaforis (Union nationale des asso­ciations de formation et de recherche en intervention sociale). La gestion du dossier apparaît pour le moins cacophonique au sein du gouvernement. Alors que la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) affirmait encore il y a peu aux ASH (2) que la question de la gratification devait être abordée dans le cadre plus général de la mise en œuvre de l’alternance intégrative et que le sujet pouvait attendre les « états généraux du travail social », la ministre de l’Enseignement supérieur fait de son financement un sujet urgent à traiter. « Nous avons changé de ministre de tutelle ! », ironise Olivier Cany, directeur général de l’Institut du travail social de Tours. On peut s’interroger également sur le message adressé aux étudiants : le droit d’être gratifiés quel que soit leur lieu de stage et d’être traités avec équité, après leur avoir été reconnu dans la loi, est suspendu aux aléas d’une concertation. Une concertation réclamée en amont par l’Unaforis, qui avait dès juin demandé – en vain – l’organisation d’une table ronde nationale pour éviter justement le scénario actuel.

Pas sûr qu’en tentant de gagner du temps, le ministère de l’Enseignement supérieur réussisse à faire baisser la pression. « Il brouille encore un peu plus les cartes », juge Chantal Cornier, puisqu’il recrée un système de gratification à plusieurs vitesses devenu ingérable. « En outre, cette concertation catégorielle, puisqu’elle ne concerne que les fonctions publiques territoriale et hospitalière, ne répond pas sur le fond à l’ensemble des problèmes posés par la gratification. » Le 31 octobre, l’Unaforis devait demander, dans un communiqué, un rendez-vous en urgence au Premier ministre et réclamer à nouveau l’organisation d’une table ronde avec l’ensemble des parties prenantes sur les problèmes de la gratification et de l’alternance. Ses positions n’ont pas changé : les étudiants en travail social relèvent du droit commun et doivent être traités comme les autres ; l’obligation de gratifier doit s’accompagner de financements pour les lieux d’accueil.

Coordination des étudiants

Les étudiants, qui avaient à nouveau manifesté le 24 octobre à Paris et dans plusieurs villes de province et prévoient d’autres rassemblements, n’entendent pas non plus se satisfaire du répit qui leur est octroyé. Ils sont nombreux à estimer sur Facebook (3) qu’il ne faut pas s’arrêter là, mais continuer la mobilisation pour obtenir « de vrais moyens pour appliquer la loi ! ». Pas question, souligne l’un d’entre eux, « de faire le choix entre nos droits et nos diplômes, nous devons obtenir les deux ! » La structuration du mouvement est même en marche puisque le SITF (Syndicat interprofessionnel des travailleurs sociaux en formation dans le social et le médico-social) de Rennes appelle à la constitution d’une « coordination nationale des étudiant-e-s en travail social » le 16 novembre dans la ville bretonne (4). « Au moment où les instituts de formation s’organisent pour porter leurs revendications, emboîtons le pas et clamons haut et fort ce que nous avons à dire », affirme le syndicat. Objectif : avoir « un discours commun » et « arrêter un calendrier national » pour organiser le rapport de forces. Parmi les revendications portées par le syndicat et votées en assemblée générale par les étudiants rennais : obtenir des fonds pour la gratification quel que soit le lieu de stage, clarifier le statut des demandeurs d’emploi (relèvent-ils de la formation initiale ou continue ?), définir un taux d’accueil obligatoire de stagiaires équivalent au taux de renouvellement des professions…

Enfin, la concertation elle-même apparaît comme une sérieuse reculade. « Stratégie d’évitement ou d’enlisement ? » comme le craint l’ONES (Organisation nationale des éducateurs spécialisés), qui dénonce une « sortie par le bas ». Depuis 2008, tout a été dit sur le sujet, s’irrite son président, Jean-Marie Vauchez. De fait, dans le contexte actuel et en l’absence d’une volonté politique clairement affirmée, l’issue même de la concertation semble des plus incertaines – avec le risque que de temporaire, le moratoire ne devienne définitif. L’ADF (Assemblée des départements de France) refuse de prendre en charge, en l’absence de compensations financières, des dépenses qui relèvent, selon elle, de l’Etat. Il revient à ce dernier, qui a conservé la maîtrise d’ouvrage de l’ingénierie des formations initiales, notamment en matière de stages (durée, séquencements), d’assumer les conséquences financières de la gratification et d’en mutualiser les charges entre les établissements et services via les frais de siège dans le secteur associatif, continue à défendre Jean-Pierre Hardy, chef du service des politiques sociales et familiales de l’ADF. Il rappelle que celle-ci a, depuis 2010, suggéré au gouvernement de dédier une part des enveloppes de crédit de la sécurité sociale et de l’Etat, au financement de « missions d’intérêt général » assurées par les établissements so­ciaux et médico-sociaux dans lesquelles figurerait la gratification des stages (au même titre que l’évaluation, les contrats aidés, les études et recherche…). Des propositions qu’il vient de transmettre par courrier à la ministre des Affaires sociales et qui mériteraient « d’être enfin sérieusement étudiées ».

« Urgence sociale »

Ce jeu de ping-pong entre l’Etat et les collectivités territoriales apparaît en tout cas bien dérisoire face à « l’urgence sociale dans laquelle se trouvent les étudiants », selon la formule de la FAGE (Fédération des associations générales étudiantes). « La justice sociale ne doit pas simplement être une incantation politique, mais une pratique gouvernementale », martèle la fédération, qui demande, tout comme l’ONES, des crédits de financement dans le projet de loi de finances pour 2014. Au final, loin d’apaiser la situation, l’intervention précipitée du ministère de l’Enseignement supérieur contribue au contraire à radicaliser les positions.

Notes

(1) Voir ASH n° 2830 du 25-10-13, p. 20 et 21 et notre site www.ash.tm.fr, rubrique « Toutes les actualités ».

(2) Voir ASH n° 2827 du 4-10-13, p. 18.

(3) Dans le cadre du groupe « Collectif étudiant concernant la gratification des stagiaires ».

(4) Sur http://sitf-rennes.over-blog.com.

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