Le rapport sur la représentativité patronale (1), demandé par le ministre du Travail au directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, à la suite de la conférence sociale de juin dernier (2), a été remis le 23 octobre à Michel Sapin. Soulignant les spécificités – dont l’éclatement – du « monde patronal », le document propose des solutions pour établir la représentativité patronale au niveau national, interprofessionnel et des branches, ainsi que des solutions pour la validité des accords collectifs à ces niveaux et pour les organisations professionnelles relevant de secteurs dits « hors champ », telle que l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES, ex-Usgeres). Cette dernière, qui a été auditionnée dans le cadre de ce rapport, a salué, dans un communiqué du 24 octobre, « des propositions pragmatiques et réalistes […] susceptibles de renforcer le dialogue social à tous les niveaux et de contribuer à la clarification du paysage patronal dans ce pays ». Selon Michel Sapin, qui s’exprimait le 10 octobre dernier, la réforme de la représentativité patronale pourrait être intégrée dans le projet de loi sur la formation professionnelle, dont l’examen au Parlement est prévu pour le début 2014.
A l’exception du critère d’audience, qu’il propose de mesurer différemment, Jean-Denis Combrexelle reprend tous les critères imposés pour l’établissement de la représentativité syndicale pour établir la représentativité patronale dans les branches et au niveau national et interprofessionnel. Ces critères sont :
→ une ancienneté minimale de deux ans ;
→ le respect des valeurs républicaines ;
→ l’indépendance ;
→ la transparence financière ;
→ l’influence caractérisée par l’activité et l’expérience.
Quant à l’audience, rejetant un système fondé sur l’élection, le rapport retient un système fondé sur l’adhésion. Seraient donc représentatives les organisations professionnelles et les confédérations patronales qui regrouperaient des entreprises adhérentes représentant au moins 8 % des entreprises adhérant à des organisations professionnelles d’employeurs présentes dans la branche ou au niveau national et interprofessionnel. La mesure de l’audience, pour les branches comme pour le niveau interprofessionnel, s’effectuerait tous les quatre ans.
Seraient par ailleurs représentatives au niveau de la branche professionnelle les organisations qui, en plus de remplir les six critères ci-dessus énoncés, disposeraient d’une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche et, au niveau national et interprofessionnel, celles représentatives à la fois dans des branches de l’industrie, de la construction, du commerce et des services.
Afin de ne pas bloquer les négociations, eu égard au nombre d’organisations professionnelles dans certaines branches, mais tout en respectant la symétrie avec ce qui se fait du côté syndical (3), le rapport propose, dans un premier temps, de consacrer pour les accords de branche et les accords nationaux interprofessionnels ayant vocation à être étendus un droit d’opposition majoritaire qui pourrait s’exercer de la façon suivante : un accord collectif ayant vocation à être étendu serait valide dès lors qu’il serait signé par une organisation professionnelle représentative et ne ferait pas l’objet d’une opposition de la part d’une ou de plusieurs organisations professionnelles représentatives représentant au moins 50 % de l’audience (adhérents) de la branche, pondérée par les effectifs. Dans un second temps, il pourrait être envisagé, pour les accords de branche uniquement, de transposer les règles de validité des accords applicables aux organisations syndicales, à savoir la signature de l’accord par une ou plusieurs organisations professionnelles représentant au moins 30 % des adhérents à des organisations professionnelles reconnues représentatives au niveau concerné par l’accord et l’absence d’opposition d’une ou de plusieurs organisations professionnelles représentant la majorité des adhérents à ces mêmes organisations.
« Nonobstant le contentieux qui a amené le Conseil d’Etat à ne pas considérer l’Usgeres comme une organisation représentative au niveau national et interprofessionnel, un grand nombre de personnes auditionnées s’accorde à reconnaître qu’aujourd’hui [la] place [de l’UDES] doit être redéfinie », souligne le rapport. Celui-ci avance ainsi des solutions pour les organisations professionnelles relevant de secteurs dits « hors champ », c’est-à-dire celles présentes au niveau national sans être interprofessionnelles. Il propose, en premier lieu, de vérifier si l’organisation professionnelle aspirant à être reconnue représentative au niveau national et interprofessionnel l’est bien dans les branches relevant des secteurs de l’industrie, de la construction, du commerce et des services. « A défaut et en second lieu, il pourrait être proposé l’application de règles spécifiques à des organisations multiprofessionnelles qui vérifieraient un certain nombre de critères comme une ancienneté suffisante (par exemple dix ans) et la représentativité dans un nombre significatif de branches (par exemple : dix) », poursuit le rapport. Dans tous les cas, il n’est aucunement question « de donner un statut aux secteurs dits “hors champ” » qui, selon le directeur général du travail, « sauf à déstabiliser la négociation interprofessionnelle […], n’ont pas vocation à s’élargir ».
Cette reconnaissance emporterait certaines conséquences comme l’obligation pour les confédérations représentatives au niveau national et interprofessionnel de consulter formellement les organisations nationales multiprofessionnelles en amont d’une négociation nationale interprofessionnelle et avant la conclusion de celle-ci. La possibilité leur serait ainsi ouverte de les intégrer dans leur délégation, « à titre d’observateurs sans pouvoir décisionnel », pendant tout ou partie de la négociation en fonction des sujets en discussion. Au surplus, poursuit le rapport « il serait nécessaire d’organiser, préalablement à l’élaboration du projet de loi de transposition [d’un accord national interprofessionnel], une consultation spécifique des organisations multiprofessionnelles par les pouvoirs publics. Cette consultation aurait pour objet de compléter l’information du gouvernement sur la position de ces organisations et de l’éclairer dans l’exercice d’élaboration de la loi. »
Le directeur général du travail invite les organisations reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel (le Medef, la CGPME et l’UPA) à initier « au plus tôt » une discussion avec des organisations multiprofessionnelles – notamment l’UDES – pour définir par voie d’accord les modalités d’une telle reconnaissance et ses conséquences pratiques. « Faute d’accord – formel ou non – entre ces organisations, des dispositions législatives supplétives pourraient être prévues. »
La réforme de la représentativité aura aussi des conséquences sur la composition des instances dans lesquelles siègent les partenaires sociaux, notamment le Conseil supérieur de la prud’homie, la Commission nationale de la négociation collective et le Conseil national de l’emploi, « qui pourraient par exemple intégrer les représentants de l’économie sociale ».
Selon Jean-Denis Combrexelle, la réforme de la représentativité patronale ne pourra se faire sans une réduction du nombre de branches professionnelles. Il propose à ce titre que le ministère du Travail puisse prendre des décisions – comme par exemple la non-publication de l’arrêté de représentativité, le rapprochement, la fusion, ou l’élargissement de conventions collectives, etc. – pour les branches dans lesquelles la ou les organisations professionnelles représenteraient moins de 5 % des entreprises du secteur. Objectif : passer de 460 branches actives à environ 250 d’ici à cinq ans, puis à 100 branches actives d’ici à dix ans.
(1) Rapport sur la réforme de la représentativité patronale – Octobre 2013 – Disp. sur
(2) Voir ASH n° 2816 du 28-06-13, p. 11.
(3) Pour être valides, les accords collectifs doivent avoir été négociés par des organisations syndicales ayant recueilli 30 % des suffrages des organisations syndicales représentatives et ne pas faire l’objet d’une opposition de la part d’organisations syndicales représentatives totalisant au moins 50 % des suffrages des organisations syndicales représentatives.