C’est un rapport qui tombe mal pour le gouvernement, en plein examen du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) au Parlement (1). Dans une note sur la politique du logement locatif (2), Alain Trannoy et Etienne Wasmer, tous deux économistes et membres du Conseil d’analyse économique, égratignent deux mesures phares du texte défendu par Cécile Duflot : la garantie universelle des loyers, qu’ils considèrent comme un dispositif à compléter, et l’encadrement des loyers, dont ils doutent de l’efficacité.
Le projet de loi ALUR prévoit que, dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, les loyers ne pourront excéder de plus de 20 % un loyer « médian » de référence déterminé en fonction de la structuration du marché locatif et des niveaux de loyers constatés par les observatoires locaux des loyers. Les auteurs de la note expriment des doutes sur l’efficacité du dispositif. En pratique, estiment-ils, il va réduire la qualité du parc immobilier car les logements dont les loyers sont trop élevés devront être rabaissés, ce qui incitera leurs propriétaires à les retirer du marché, faute de rentabilité locative suffisante. Et pour maintenir ces logements dans le parc locatif privé, l’Etat sera incité à accorder des avantages fiscaux aux bailleurs, ce qui entraînera « un coût supplémentaire pour les finances publiques ». En outre, la détermination du loyer médian risque de ne pas être assez précise, indiquent encore les deux économistes. « Les informations dont on dispose sur le marché locatif restent parcellaires. » Et si la collecte et la publication d’informations sur les loyers via les observatoires comblent un manque important dans ce domaine, il reste très difficile de tenir compte de toutes les caractéristiques d’un logement pour calculer sa valeur de marché. Les données ne sont pas assez étoffées, même à Paris où existent pourtant les chiffres collectés par l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne, a précisé Alain Trannoy à l’AFP.
En résumé, les deux économistes estiment que le plafonnement des loyers tel qu’il est envisagé risque d’engendrer des inefficacités dans le parc locatif privé. Et jugent « indispensable » de procéder à une expérimentation dans des zones pilotes avant toute généralisation.
Alain Trannoy et Etienne Wasmer critiquent également la garantie universelle des loyers telle qu’envisagée par le gouvernement. Une garantie publique et obligatoire, sur l’ensemble du parc privé, qui pourrait se substituer à la caution d’ici au 1er janvier 2016. « Pour que cette réforme porte ses fruits en termes d’accès au logement locatif privé, tout en évitant une augmentation des impayés qui rendrait le système instable financièrement, elle doit aller jusqu’au bout de la logique en instaurant une véritable flexisécurité du logement », estiment-ils. Cela passerait notamment par un assouplissement des règles en matière de baux pour permettre aux bailleurs de récupérer plus facilement leur bien, en autorisant par exemple une durée variable (« un an, deux ans ») plutôt que d’imposer trois ans. Les deux économistes suggèrent également, pour limiter les risques de détérioration du logement ou de troubles du voisinage, de conférer au propriétaire le droit de visiter le logement une fois par an, deux mois avant la date anniversaire de la fin du bail, afin de faire un état des lieux en présence d’une tierce partie professionnelle et assermentée (aux frais du propriétaire). En cas de détérioration, il aurait alors le droit de donner congé au locataire, lequel disposerait d’un droit de recours. Alain Trannoy et Etienne Wasmer plaident encore pour la mise en place d’une gestion paritaire des conflits locataires-propriétaires. L’idée serait de développer un réseau d’organismes paritaires organisés en une « régie du logement ». Financée par un prélèvement sur les loyers, elle serait chargée de régler les contentieux locatifs inférieurs à un certain seuil (notamment les ruptures de baux pour impayés) et ses décisions auraient force de loi en première instance à l’image des conseils de prud’hommes.
Placé auprès du Premier ministre avec pour mission « d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique », le Conseil d’analyse économique est, pour mémoire, composée d’économistes professionnels reconnus et de sensibilités diverses. Les opinions exprimées dans ses rapports sont celles de leurs auteurs et n’engagent ni le conseil, ni son président délégué, ni bien entendu Matignon, est-il précisé sur le site de l’instance.
(1) Sur le projet de loi, voir ASH n° 2818 du 12-07-13, p. 45.
(2) Document disponible sur