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Il faut incarner la ville durable

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Julien Damon. Professeur associé à Sciences-Po. Ancien chef du service Questions socialesau Centre d’analyse stratégique.

Ville durable… L’expression, assez neuve, irrigue les discours politiques, les publications scientifiques, les querelles d’experts et nombre de dispositions issues de la démarche du Grenelle de l’environnement. Mais de quoi parle-t-on ? Une méthode originale consiste à se demander, dans une visée didactique d’étonnement, ce que serait le contraire d’une ville durable. Sémantiquement, en raisonnant en quelque sorte par l’absurde, on trouverait quelque chose comme « campagne éphémère ». Cette autre expression, inusitée, ne veut pas dire grand-chose – tout le monde en conviendra. Symétriquement, son opposé (notre « ville durable », donc), ne rayonne pas de clarté. Chacun y place ce qu’il veut, en termes d’ambitions, de réalisations, de législations. Et d’autres notions viennent en renfort pour préciser ce que serait le contenu de la ville durable : écologie urbaine, mixité sociale, urbanisme responsable, démarche citoyenne…

On se gargarise souvent ainsi de mots, ceux-ci venant maintenant alimenter une copieuse littérature. Le sujet, s’il est empreint de flou, n’en reste pas moins aussi sérieux qu’important. Des techniques sont à l’œuvre : développement de l’énergie photovoltaïque, circuits courts de logistique, analyses économiques sur le cycle de vie… Des moyens sont dégagés. Des normes sont établies. La grande question tient dans une alternative, au fond, assez simple : la ville durable relève-t-elle d’abord d’un bâti durable (immeubles, réseaux, voiries, mobilier urbain, etc.) ou d’habitants durables (dont les comportements seraient écologiquement et socialement vertueux) ? Cette double option peut s’incarner à travers l’un des sigles phares du sujet : les BBC. Connu pour désigner les « bâtiments basse consommation », ce sigle peut valablement désigner les « bonshommes basse consommation ». L’un et l’autre vont certainement bien ensemble.

Il faut néanmoins savoir ce qui prime : le contenu ou le contenant, les gens ou les équipements. Or ce sont certainement les comportements et les usages qui prévalent. Le plus beau BBC (bâtiment) du monde ne pourra donner que ce qu’il a. Si ses occupants roulent en 4x4, prennent des douches interminables et se chauffent fenêtres ouvertes, les caractéristiques énergétiquement économes de leur habitat n’auront que peu de conséquences positives. Pour les problématiques – appelées certainement à devenir plus préoccupantes encore – de précarité énergétique, une dimension du sujet est bien de savoir si ce sont les bâtiments (les désormais célèbres « passoires thermiques ») ou les comportements (l’usage parcimonieux des équipements domestiques) qu’il faut viser pour les réhabiliter ou les réorienter. Bien entendu, la réponse évidente semble immédiatement fuser : les deux, mon capitaine ! Pour autant, il faut toujours des priorités.

Ces digressions, nourries d’un rien d’ironie, n’ont pas d’autre objet que de souligner combien, certes, bêton et bâti comptent. Mais l’essentiel procède des représentations et comportements des habitants. Il est une troisième acception possible du sigle BBC, permettant de dépasser l’opposition habitat/habitants. Par incitations, technologiques notamment, il est possible que les habitations et les bureaux nous poussent à être plus sobres et plus efficients sur le plan écologique. Des compteurs (d’eau ou d’électricité) dits « intelligents » vont, par exemple, se développer. Nous avons dès lors la perspective de voir s’étendre des « bâtiments bons comportements » (toujours BBC, donc). Au-delà des mots, la logique est de concilier les trois canaux possibles pour une ville durable : les conceptions, les utilisations et les incitations. Mais il ne faudrait pas parler de ville durable que pour les classes moyennes et aisées. Dans le cas de la précarité énergétique – et, plus largement, pour tout ce qui relève de la pauvreté –, l’environnement immédiat des habitants concernés ne permet probablement pas d’agir d’abord, par incitations, sur les comportements. C’est au niveau des bâtiments et des équipements, qui doivent atteindre des standards minimaux, qu’il faut en premier lieu intervenir.

Relevons enfin que durable n’est pas, pour la ville, le seul qualificatif à être à la mode. On parle de plus en plus de « ville intelligente ». Comme pour la durabilité, la question de l’intelligence ne doit pas être désincarnée. Car – tout le monde en conviendra – ce n’est pas la métropole qui est en elle-même intelligente, ce sont, d’abord, ses habitants, ses élus, son administration, ses entreprises… Une métropole intelligente, c’est une ville qui permet une meilleure maîtrise des informations et des circulations urbaines, à l’ère de la révolution numérique. Et elle ne doit pas se limiter à ses quartiers favorisés. C’est aussi, certainement, une ville qui optimise ses systèmes d’information de manière, notamment, à ce que ses services sociaux soient les plus efficients, en faveur des habitants.

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