Nul doute que le contexte – la tension politique autour des campements de Roms, la « violation » du périmètre de l’école par les forces de police – a pesé dans l’emballement médiatique autour de « l’affaire Leonarda ». La collégienne de 15 ans, « prise en charge » par les forces de l’ordre lors d’une sortie scolaire, a été expulsée avec sa mère et ses cinq frères et sœurs le 9 octobre, après que son père a été reconduit à la frontière. De fait, la mobilisation sur ce dossier, particulièrement complexe, s’est avéré risquée à la fois pour les associations militantes et pour le chef de l’Etat, dont la réponse – l’invitation à la jeune fille de revenir seule –, a suscité la fronde dans sa majorité, jusqu’à fragiliser le gouvernement.
Quels enseignements tirer de ce cas particulier, qui a relancé le débat sur la politique migratoire et le projet de loi sur l’immigration, dont le calendrier pourrait être du coup accéléré ? Le gouvernement, qui n’a jamais caché refuser d’ouvrir les vannes d’une régularisation massive, a, en novembre 2012, diffusé une circulaire visant à clarifier les critères de régularisation au cas par cas des étrangers sans papiers, dont les parents d’enfants scolarisés. En septembre dernier, la Cimade publiait un rapport insistant sur le faible nombre de situations concernées, en raison des conditions cumulatives et parfois « floues » imposées pour chaque catégorie de demandeurs (1). La situation de la jeune fille a ravivé les critiques de ceux qui jugent la réglementation trop restrictive. RESF (Réseau éducation sans frontières), qui témoigne régulièrement d’autres situations, notamment de jeunes majeurs, réclame que tous les élèves puissent rester en France avec leur famille. Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, estime, pour sa part, que la circulaire de novembre 2012 doit « faire l’objet d’une évaluation sérieuse et d’un probable ajustement ».
En juillet dernier, le gouvernement avait pris une autre mesure favorable aux droits des étrangers – une circulaire qui restreint le placement en rétention des familles avec enfants, pratique condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme. « Nous constatons depuis un net ralentissement des placements en rétention des familles mais n’avons aucune visibilité sur les assignations à résidence, constate David Rohi, responsable de la « commission éloignement » de la Cimade. Et il n’y a pas eu vraiment de réflexion de fond sur la situation des familles : en 2012, nous avons relevé plusieurs dizaines de cas de placement en rétention d’un seul membre, souvent le père, expulsé seul, rejoint par sa famille ou libéré. » En jeu, l’intérêt supérieur de l’enfant, dont les procédures d’éloignement font peu de cas. Comment faire pour que le mineur, individuellement non concerné par la procédure, ne soit pas la « victime collatérale » de l’expulsion ? Si l’éloignement d’une famille n’est pas illégale, « séparer parents et enfants contre leur gré le serait » au nom de la Convention internationale des droits de l’enfant, souligne Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny. D’autres considèrent que cet intérêt revient à autoriser le droit au séjour des parents afin que l’enfant poursuive sa scolarité en France…
Restent les réponses apportées à l’« affaire Leonarda ». « Proposer à une enfant de revenir, à l’exclusion du reste de la fratrie lui aussi scolarisé, est tout sauf du droit ! », déplore Jean-François Martini, chargé d’études au GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Même si, sur le fond, « tous les montages juridiques sont possibles » pour organiser le séjour en France d’un mineur, y compris par le biais d’une délégation de l’autorité parentale. Quant à la circulaire prise dans la foulée pour « sanctuariser » l’école dans le cadre des procédures d’éloignement (voir ce numéro, page 44), « si l’idée est d’éviter la violence de l’éloignement, elle ne change rien ! On essaie simplement de respecter la symbolique, mais quelle différence entre être interpellé à l’école et à 6 heures du matin dans son lit ? » Pour le chargé d’études du GISTI, « les procédures d’éloignement sont des procédures administratives, les policiers n’ont jamais de mandat judiciaire. Dans ce cas, seule une autorisation explicite du titulaire de la responsabilité parentale peut donc permettre la remise du mineur ».
RESF rappelle, quant à lui, les termes d’une circulaire du 31 octobre 2005 qui demandait de « ne pas mettre à exécution avant la fin de l’année scolaire l’éloignement des familles dont un enfant est scolarisé depuis plusieurs mois ». Ironie de l’histoire, la circulaire de novembre 2012 l’a abrogée, sans reprendre cette disposition…
(1) Voir ASH n° 2826 du 27-09-13, p. 26.