Le 17 octobre, la commission des affaires sociales du Sénat a rendu public un rapport sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées (1). Rapport qui reprend en grande partie les constats et recommandations de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de la députée (PS) Maud Olivier (2). Les sénateurs Jean-Pierre Godefroy (SOC) et Chantal Jouanno (UDI) relèvent en effet que les personnes prostituées sont dans un « état de santé globalement très préoccupant » et font face à des difficultés d’accès aux soins et aux droits sociaux. « Sans présager des éventuelles évolutions du cadre légal de la prostitution qui pourrait intervenir dans les prochains mois » (3), ils appellent les pouvoirs publics à mettre en place un « accompagnement social global des personnes prostituées, qui permette de leur offrir des alternatives crédibles en termes de garantie de revenus, d’hébergement, de formation professionnelle et de suivi psychologique ».
Bien qu’elles soient éligibles aux dispositifs de droit commun d’assurance maladie, les personnes prostituées sont freinées dans leur accès aux soins non seulement par leurs conditions de vie précaires (problèmes de titre de séjour, de logement, d’isolement familial et social, barrière de la langue…), mais aussi par leurs conditions de vie liées à l’activité prostitutionnelle (hébergement en hôtel, rythme de vie décalé, alimentation déséquilibrée…), estiment les auteurs. Dans les faits, rappellent-ils, elles n’ont que très rarement accès à ces dispositifs « dans la mesure où la prostitution ne constitue pas une activité professionnelle juridiquement reconnue, conformément à la position abolitionniste de la France » (4). Un problème auquel se heurtent aussi – mais pour des raisons différentes – les personnes étrangères soumises aux réseaux, de fait « très éloignées des dispositifs de prise en charge ». Les sénateurs recommandent donc notamment de « développer le recours à la médiation et à l’interprétariat dans les établissements de santé et les services sociaux » ou encore de « sensibiliser les agents des caisses primaires d’assurance maladie aux difficultés rencontrées par les personnes prostituées pour l’accès aux droits sociaux et les inciter à une meilleure prise en compte du reste à vivre de ces personnes ». Ils proposent également de « faire des permanences d’accès aux soins de santé de véritables passerelles vers l’accès aux services de soins de droit commun en assurant notamment la formation des personnels qui y travaillent aux problématiques de la prostitution et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle ».
Pour Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno, il faut « s’atteler enfin à la mise en œuvre d’une politique d’accompagnement social global pour offrir des alternatives crédibles à la prostitution ». Accorder des remises fiscales gracieuses aux personnes prostituées qui arrêtent la prostitution et s’engagent dans un parcours d’insertion professionnelle en serait une, selon eux. A l’heure actuelle, expliquent-ils, la fiscalisation des revenus de la prostitution est un frein à la cessation de cette activité. Certes, les personnes qui cessent de se prostituer, et qui voient donc leurs revenus diminuer, peuvent bénéficier d’un étalement du paiement de leur impôt au titre de l’année précédente, voire une remise gracieuse d’une partie de cet impôt. Mais elles doivent pour cela remplir trois conditions : avoir abandonné la prostitution, avoir retrouvé une activité professionnelle et ne pas avoir conservé le produit de leur activité antérieure. En pratique, notent les sénateurs, ces conditions s’avèrent « dissuasives et irréalistes », et les remises gracieuses sont « très difficiles à obtenir ». Pour autant, poursuivent-ils, « exclure la prostitution du champ fiscal n’est pas envisageable, d’une part, parce qu’une telle décision contreviendrait au principe de l’égalité devant l’impôt, d’autre part, parce qu’elle rendrait cette activité plus attractive ».
Par ailleurs, s’appuyant sur le modèle de la politique d’insertion des victimes de la traite mise en place en Italie, les élus suggèrent de reconnaître à la personne prostituée victime de la traite le statut de victime indépendamment du fait qu’elle ait dénoncé ou non son trafiquant/proxénète (5) et dès lors qu’elle s’est engagée dans un parcours d’insertion. Et de lui octroyer à ce titre un permis de séjour à titre humanitaire d’une durée suffisante. Parallèlement, il conviendrait, selon eux, de la protéger immédiatement en l’hébergeant dans une structure adaptée et de mettre en place un accompagnement personnalisé en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle. Des propositions qui pourraient être reprises dans le futur plan gouvernemental de lutte contre la traite des êtres humains que la ministre des Droit des femmes devrait présenter en décembre prochain. Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno invitent aussi les autorités à saisir l’argent des réseaux de traite au profit des victimes, soit directement sous la forme d’un dédommagement, soit indirectement via le financement de programmes d’insertion sociale et professionnelle. Bien entendu, soulignent-ils encore, il faut encourager la complémentarité d’action entre la politique d’aide aux victimes et la politique de lutte contre les réseaux.
Pour les sénateurs, « l’amélioration de la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées nécessite un engagement plus fort et mieux structuré de la puissance publique aux côtés des associations ». En effet, expliquent-ils, « en adoptant un régime abolitionniste, la France a renoncé à toute forme d’action directe de la part des pouvoirs publics auprès des personnes prostituées », ce qui a conduit à une « absence de pilotage clair » à laquelle s’ajoute l’« insécurité des financements alloués aux associations ». Associations qui interviennent directement auprès de ces personnes et qui constituent à ce titre « le principal levier d’action de l’Etat en la matière ». A l’heure actuelle, le pilotage de l’action gouvernementale menée auprès des personnes prostituées est effectué par la direction générale de la cohésion sociale, notamment au travers des plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes (6), et par la direction générale de la santé, via la lutte contre les infections sexuellement transmissibles. Mais « ces actions ne font pas l’objet d’une coordination formalisée », déplorent les auteurs. Pour l’IGAS, rappellent-ils, « cette situation est d’autant plus problématique que, dans une certaine mesure, les actions engagées par chacune des deux administrations tendent à traduire la poursuite de deux objectifs différents : la résorption de l’activité prostitutionnelle d’un côté, la réduction des risques liés à l’exercice de la prostitution de l’autre. [Et] cette dichotomie se retrouve dans la structuration des financements alloués aux associations. » C’est pourquoi Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno appellent le gouvernement à structurer le pilotage interministériel des actions et à « travailler, en particulier, à la définition d’une politique de subventionnement des associations partagée ».
S’agissant du financement des associations, il est « à la baisse », déplorent les élus, ce qui nuit à leur action : de 6,7 millions d’euros en 2006, le budget qui leur est dédié est passé à 3,1 millions en 2008, puis à 1,9 million en 2012 (7). Or celles-ci sont confrontées à l’augmentation de leurs charges en raison des mutations que connaît la prostitution (renforcement des maraudes pour toucher des personnes plus mobiles qu’avant, recours à des interprètes et médiateurs culturels…). Pour les sénateurs, il faut donc « donner aux associations les moyens d’agir sur le long terme en enrayant la baisse des financements, en évitant leur saupoudrage et en leur donnant une visibilité pluriannuelle ».
(1) Situation sanitaire et sociale des personnes prostituées : inverser le regard – Rapport n° 46 – Disponible sur
(2) Voir respectivement ASH n° 2788 du 21-12-12, p. 6 et n° 2826 du 27-09-13, p. 18.
(3) Sur la base du rapport « Olivier », la délégation des droits des femmes de l’Assemblée nationale a déposé une proposition de loi visant à pénaliser les clients de la prostitution.
(4) L’abolitionnisme vise à abolir toute forme de réglementation de la prostitution sans en interdire l’exercice, à prévenir l’entrée dans la prostitution et à aider les personnes prostituées, considérées comme des victimes. L’objectif ultime étant de faire disparaître la prostitution.
(5) A l’heure actuelle, en vertu de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ces personnes peuvent bénéficier d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » lorsqu’elles déposent plainte ou témoignent contre l’auteur des infractions de proxénétisme ou de traite.
(6) Le troisième plan 2011-2013 consacre pour la première fois un volet spécifique à la prostitution – Voir notamment ASH n° 2735 du 2-12-11, p. 7.
(7) Par comparaison, l’Italie consacre, chaque année, 8 millions d’euros aux questions d’assistance et d’intégration des personnes prostituées.