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Parcours de reconnaissance

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L’an dernier, à Toulouse, dix salariées en insertion ont été formées pendant six mois au métier d’assistante de vie aux familles. Et ce, grâce au rapprochement de quatre associations intermédiaires locales qui les accompagnent. Une expérience utile mais à l’avenir incertain.

Dans le bassin de Toulouse, quatre associations intermédiaires (AI), qui emploient et soutiennent des personnes sans emploi en difficulté sociale, ont uni leurs forces pour mener une action expérimentale visant à « professionnaliser des salariés en parcours d’insertion vers les métiers des services à la personne ». A l’issue de cette formation en alternance de six mois, Fouzia Oribi, 33 ans, Hayat Beladel, 35 ans, Caroline Cochon, 50 ans, et sept autres salariées du Tremplin, d’AMIE, d’APIC et d’Icart Inter-Service ont décroché un certificat de compétences professionnelles leur permettant d’exercer le métier d’assistante de vie aux familles. Dans la foulée, certaines d’entre elles ont signé un contrat avec un service d’aide à domicile, d’autres restant encore éloignées de l’emploi. Retour sur cette aventure.

UN MANQUE DE MAIN-D’ŒUVRE DANS L’AIDE À DOMICILE

Tout découle, dès la fin 2011, d’une idée de Céline Fenoy, directrice du ­Tremplin, à Castanet-Tolosan (Haute-Garonne), l’association intermédiaire la plus importante du département avec 343 demandeurs d’emploi salariés intervenant dans l’entretien de domicile et de locaux, le jardinage et la manutention (1). La jeune femme termine alors son parcours de formation Cafdes et choisit comme sujet de mémoire « L’adaptation du public des associations intermédiaires aux métiers de l’aide à domicile ». Il lui ­apparaît que les structures d’aide à domicile manquent cruellement de main-d’œuvre. « J’avais comptabilisé près de 2 000 emplois non pourvus à Pôle emploi en Haute-Garonne ! Les services peinent en effet à trouver des salariés motivés ou qualifiés pour s’occuper des personnes en perte d’autonomie, âgées, en situation de handicap ou malades. Or, si de ­nombreuses femmes que nous employons en tant qu’aides ménagères ont la volonté et la capacité d’assurer ces fonctions, elles ne peuvent devenir aides à domicile faute de qualification. » Parallèlement, la directrice repère un appel à projets lancé par le conseil régional. Celui-ci propose de financer à hauteur de 25 000 € des actions innovantes liées à l’insertion par l’activité économique. « L’idée a émergé de demander une subvention pour permettre à une dizaine de salariées en insertion de suivre une formation d’assistante de vie aux familles, organisée par l’AFPA [Association nationale pour la formation professionnelle des adultes]. Toutefois, il me semblait que le Tremplin ne devait pas se lancer seul dans cette expérimentation. Non seulement notre AI n’employait pas suffisamment de personnes susceptibles d’être concernées, mais surtout la notion de partenariat et de projets collectifs m’est chère. » Le Tremplin contacte alors de nombreuses associations intermédiaires du département. Au final, seule une poignée se montre intéressée et se mobilisera jusqu’au terme de l’action : AMIE (70 salariés), APIC (80 salariés) et Icart Inter-Service (83 salariés) participent au comité de pilotage aux côtés de la région Midi-Pyrénées, de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), de Pôle emploi ainsi que d’Agefos-PME et d’Uniformation.

« C’était la première fois que plusieurs associations intermédiaires locales travaillaient main dans la main sur une action de formation, témoigne Monique Chabbert, chargée de mission à l’APIC. Quand le Tremplin nous a contactés, nous avons commencé par repérer les salariées qui pourraient correspondre à ce projet. Parmi les femmes qui font le ménage, toutes n’étaient pas intéressées par l’obtention d’un titre professionnel. Mais même pour celles qui l’étaient, nos conseillères en insertion ont effectué une “sélection” : nos employées rencontrent souvent des difficultés sociales, si bien que les qualités professionnelles ou la motivation ne suffisent pas toujours. » Au Tremplin, c’est Sandrine Pouchet, conseillère en insertion professionnelle, qui a travaillé sur les candidatures de salariées. « Nous connaissons ces femmes, leurs compétences, leurs motivations, leurs savoirs de base. Nous avons reçu celles qui voulaient évoluer vers les services à la personne pour leur parler de cette action de professionnalisation. Avant qu’elles se lancent dans cette formation de six mois, il fallait qu’elles cernent bien le secteur d’activité, ses avantages et ses inconvénients. Nous leur avons également expliqué le cadre de la formation et leur engagement. Six mois de formation, c’est long, cela demande une réorganisation familiale, des déplacements, une remise en question personnelle. » L’objectif étant d’écarter les « erreurs de recrutement », hélas inévitables… « Une salariée qui, a priori, correspondait aux exigences de la formation nous a fait faux bond à huit jours du début des cours, et il a fallu lui trouver une remplaçante », se souvient Sandrine Pouchet.

Les associations intermédiaires se heurtent également, durant cette période préparatoire, à des contraintes administratives. « Pour que les salariées soient éligibles au contrat unique d’insertion-contrat d’accompagnement dans l’emploi (qui permet une prise en charge des frais de formation par les OPCA), il fallait qu’elles soient demandeuses d’emploi depuis plus de un an ou qu’elles aient plus de 50 ans. Comme le conseil général n’a pas souhaité s’investir dans l’action, les bénéficiaires du RSA en étaient exclues », pointe Céline Fenoy. La Direccte, qui encadrait ce projet expérimental, a néanmoins accordé des dérogations au cas par cas. Au bout du compte, parmi les salariés du Tremplin, sept entraient dans les critères de la formation, une au sein de l’AMIE, une à l’APIC et une à Icart Inter-Service.

UNE REMISE À NIVEAU DES SAVOIRS SCOLAIRES

Cependant, alors que ces dix femmes se préparaient, mi-2012, à commencer cette formation en alternance, une nouvelle difficulté fait surface : le cursus demande une compréhension du français lu et écrit et un niveau correct en mathématiques. « Certaines salariées n’avaient pas assez de bagage scolaire, admet la directrice du Tremplin. Or le jour où elles passent devant le jury pour les certifications, elles ont des dossiers à présenter. Celui-ci peut aussi leur demander d’élaborer un plat pour une personne sur la base d’une recette de cuisine pour six personnes en ajustant les proportions. Enfin, quand elles seront au domicile des personnes aidées, elles devront pouvoir comprendre des consignes écrites, et surtout laisser leurs commentaires dans le cahier de liaison. » Pour compenser les lacunes des dix stagiaires, les associations intermédiaires proposent des cours de remise à niveau durant l’été 2012.

Mi-septembre, les salariées font enfin leurs premiers pas à l’AFPA, avec, comme formatrice, Carine Rubio, ancienne aide à domicile. « Je les recevais deux jours par semaine au sein de l’appartement pédagogique de l’association. Pendant le premier module – l’entretien du cadre de vie –, elles continuaient à travailler le reste de la semaine en tant qu’aides ménagères chez leurs clients habituels. Au cours du deuxième module – l’assistance aux actes essentiels du quotidien –, elles alternaient avec un stage dans une structure d’aide à domicile. Le fait qu’elles soient déjà des professionnelles du domicile a beaucoup simplifié les choses puisqu’elles mettaient aussitôt en application ce qu’elles apprenaient avec moi. »

Hayat Beladel, salariée du Tremplin depuis 2010, a toujours eu envie de travailler auprès de personnes âgées. Cette formation correspondait donc tout à fait aux aspirations de cette maman de deux petites filles. « On a appris beaucoup de choses sur les maladies (Alzheimer, Parkinson, la sclérose en plaques…). La formatrice nous a enseigné comment préparer les repas pour les gens malades, comment ne pas se faire mal au dos en effectuant les transferts… On a aussi eu droit à des rappels pour le ménage, le repassage. » Fouzia Oribi, l’atout « bonne humeur » du groupe, faisait pour sa part des heures de ménage pour le Tremplin depuis 2007. Elle s’était déjà occupée de personnes âgées et handicapées avant de suivre la formation, mais le savoir-faire lui faisait défaut. Les cours de premiers secours lui ont été particulièrement utiles. « J’ai aussi appris ce que je ne devais pas faire, comme donner des médicaments aux aînés. » Tout comme Caroline Cochon, qui travaillait pour l’AMIE depuis 2011 : « Je suis timide et j’ai appris à m’imposer un peu plus. Il arrive, par exemple, que les personnes âgées nous demandent de faire des choses qu’on n’a pas le droit de faire. Grâce à la formation, je sais refuser en apportant les bonnes explications. »

Dans cette formation, la motivation des participantes n’est pas le salaire (la qualification entraîne une augmentation de seulement 4 centimes l’heure), mais bien la valorisation des compétences. « Etre aide à domicile, s’occuper d’autrui donne une autre image sociale. Elles se sentent utiles non plus seulement sur des actes techniques mais dans la relation », pointe Carine Rubio, qui se montre particulièrement satisfaite de son groupe : « Elles se sont énormément investies dans la formation et ont été assidues, alors que ce n’était pas gagné d’avance. J’ai fait quelques remarques quand il y a eu des retards, mais j’étais consciente qu’elles arrivaient avec des problèmes liés à leur précarité. Il y avait un réel ­intérêt de leur part ; l’effet groupe, avec le plaisir de se retrouver, a joué. C’est certain que ce ne sont pas des femmes qui exerceront le métier d’aide à domicile à défaut d’un autre. »

Entre les deux modules, les stagiaires ont été évaluées par l’AFPA et leurs associations intermédiaires respectives. « Nous avons fait le point pour vérifier que toutes étaient capables de faire de l’aide à la personne. Il fallait qu’on s’assure qu’elles ne seraient pas maltraitantes pour les clients qu’elles allaient réellement aider, précise Céline Fenoy. Toutes ont pu poursuivre le programme… sous réserve de trouver un stage. » Se dressent alors de nouveaux obstacles : la période de stage, « mal choisie », tombe durant les vacances de Noël et les services à domicile, en sous-effectif, ne sont pas vraiment en capacité de mettre un tuteur à disposition. Par ailleurs, si les élèves sont chargées de trouver leur stage par elles-mêmes, les associations intermédiaires avaient pris soin en amont d’informer les grandes associations départementales d’une probable sollicitation. « Manque de chance, quand elles sont parties sur le terrain, elles ne se sont pas adressées aux associations que nous avions ciblées ! », sourit a posteriori Corine Nassans, directrice de l’AMIE. Toutes parviennent néanmoins à trouver un stage, même s’il n’est pas toujours en adéquation avec la formation qu’elles suivent ! Caroline Cochon se retrouve ainsi à faire le ménage dans une famille avec de jeunes enfants, tandis que deux autres salariées effectuent une mission en établissement. Sandrine Pouchet, conseillère en insertion du Tremplin, reçoit par la suite de bons retours de la part des tuteurs. Tout au long de ces six mois d’alternance, elle a fait le point avec les participantes – « elles venaient me voir avec leurs inquiétudes concernant la formation, sur l’appréhension d’être jugées lors des épreuves de certification finales, sur leur futur emploi. »

Au terme de ce parcours exigeant, lors de l’examen de mars 2013, toutes les participantes ont validé au moins l’un des deux certificats de compétences professionnelles, huit d’entre elles obtenant les deux modules. « Passer ce concours leur a fait beaucoup de bien car ce sont des femmes qui ont peu confiance en elles alors qu’elles sont ultracompétentes, souligne Céline Fenoy. Aujourd’hui, elles possèdent un papier qui prouve qu’elles sont reconnues comme professionnelles, et c’est important pour elles. »

Mais le certificat de qualification professionnelle ne fait pas tout. Six mois après leur passage devant le jury, seules deux participantes ont signé un CDI en tant qu’aides à domicile. Ce qui ne surprend pas Corine Nassans : « Les instances attendaient un résultat immédiat. Ce n’est pas comme cela que fonctionne le marché de l’emploi ! Je pense qu’il faut faire le bilan à un an. Il s’agit de personnes en insertion qui partent de loin et s’orientent vers un nouveau métier. » Autre frein à l’embauche apparu au grand jour : l’absence de permis de conduire. Les deux femmes ayant trouvé un emploi à l’issue de la certification sont celles qui avaient déjà leur papier rose et leur propre véhicule. « Quand on travaille en AI, les missions proposées sont de proximité ou accessibles en transports en commun. Et les horaires sont souples. Ce n’est pas le cas avec les structures d’aide à domicile, analyse Corine Nassans. Les interventions quotidiennes sont plus courtes, plus nombreuses et souvent en dehors du centre-ville de Toulouse. Si bien qu’employer une personne sans voiture n’est pas rentable. » Responsable de secteur au service d’aide à domicile Domipro de Castanet-Tolosan, Pauline Sandri confirme : « La connaissance du métier, la formation, c’est important, c’est le premier critère. Le second, c’est le véhicule. » Elle a embauché Hayat Beladel, qui a son permis de conduire depuis 2008, pour un contrat de 120 ? heures mensuelles.

Au lancement de l’action de professionnalisation, cette difficulté avait été envisagée par la directrice du Tremplin, mais elle ne pensait pas qu’elle serait aussi cruciale. « Quand nous nous sommes rendu compte que c’était primordial pour les recruteurs, nous avons ajouté une action complémentaire au dispositif en proposant aux salariées de passer leurs permis de conduire dans une auto-école associative avec laquelle nous avons un partenariat. Les frais étant payés via notre plan de formation. Mais il aurait été préférable de prévoir cela en amont. En effet, l’obtention du permis est une étape longue et souvent décourageante. De nouveau, ces femmes se remettent en question sur leur capacité d’apprentissage, à prendre des décisions, à ne pas se laisser impressionner… Cela nécessite un accompagnement plus poussé. » Aujourd’hui, quatre des bénéficiaires de la formation suivent des cours de conduite. Deux autres sont en congé maternité et devraient l’envisager par la suite. Une autre refuse de passer le permis. Une dernière, qui avait validé les deux modules, n’a plus donné signe de vie…

Avec seulement deux personnes en poste sur dix, le bilan n’est-il pas un peu décevant ? « Même si très peu d’entre elles ont trouvé un emploi correspondant à cette certification, le diplôme leur servira toujours », nuance Marie-Christine Bart, responsable du service insertion par l’activité économique à l’UTE 31 de la Direccte, qui se dit au contraire plutôt satisfaite des résultats obtenus. Si elle valide le principe d’une reconduction de l’action de professionnalisation pour 2014, les associations intermédiaires seront-elles à nouveau partantes ? « Tout à fait, répond Monique Chabbert, de l’APIC. Il faudrait néanmoins améliorer certains points. Nous laisser plus de temps en amont pour en discuter avec les salariées et leur faire comprendre ce à quoi elles s’engagent. On pourrait aussi mieux préparer nos équipes : il a fallu adapter notre façon de fonctionner à des aspects administratifs et salariaux inhabituels. Le service comptabilité a dû gérer des contrats de travail différents avec des congés payés et un salaire mensualisé durant la période de formation. Cela demande un investissement important. »

INQUIÉTUDE SUR LES FINANCEMENTS FUTURS

Corine Nassans, de l’AMIE, ajoute : « L’action étant connue et ayant fait ses preuves, la communication sera plus facile et de nouvelles AI pourront nous rejoindre. » Quant à Céline Fenoy, qui pilotait le projet, elle en est persuadée : cette action est une nécessité. « J’observe de nouveau dans les chiffres de Pôle emploi une pénurie de personnel pour l’aide à domicile, surtout de personnes qualifiées ou formées. Les associations intermédiaires travaillent avec une majorité de salariées qui sont en capacité d’évoluer vers ce métier. C’est un vivier ! » La directrice du Tremplin a donc relancé la dynamique et a sollicité les mêmes partenaires pour un renouvellement de l’action en janvier 2014. Las, l’action n’étant désormais plus expérimentale, le conseil régional ne pourra pas financer la partie ingénierie, l’accompagnement socioprofessionnel et le montage administratif. La gageure est donc de trouver des financements, sachant qu’en 2013 le dispositif avait coûté 124 000 €. La réforme du secteur de l’insertion par l’activité économique attendue pour 2014 inquiète également les promoteurs de cette initiative. Un avenir incertain qui risque de décourager financeurs et participants.

Notes

(1) Le Tremplin : résidence Les Ormes – 31320 Castanet-Tolosan – Tél . 05 61 81 90 41.

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