Pour prétendre à l’aide juridictionnelle, les personnes sans domicile stable doivent élire domicile auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale ou d’un organisme agréé à cet effet. Cette domiciliation se traduit en principe par la remise d’une attestation d’élection de domicile. Or une disposition du code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit qu’un tel document ne peut être délivré au ressortissant d’un pays tiers en situation irrégulière. Pour autant, aux yeux des membres du Conseil constitutionnel, cette disposition n’a pas pour effet de priver complètement les clandestins non communautaires sans domicile stable du droit de déposer une demande d’aide juridictionnelle. Et est donc conforme à la Constitution. Ils expliquent pourquoi dans une décision du 11 octobre.
Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel répondait à une question prioritaire de constitutionnalité posée par un ressortissant d’un pays tiers en situation irrégulière. Après avoir perdu son domicile, le requérant avait été accueilli dans plusieurs centres d’hébergement d’urgence qu’il avait dû quitter contre son gré. Désireux de faire valoir son droit à l’hébergement d’urgence, il avait souhaité engager une action contentieuse en ce sens et obtenir à cette fin l’aide juridictionnelle… mais s’était vu refuser la délivrance de l’attestation d’élection de domicile indispensable à sa démarche en raison de l’irrégularité de son séjour.
Au cœur du litige : le troisième alinéa de l’article L. 264-2 du CASF, en vertu duquel un étranger en situation irrégulière qui n’est ni citoyen d’un Etat membre de l’Union européenne, ni ressortissant de l’Espace économique européen (1) ou de la Suisse, ne peut bénéficier de la procédure de domiciliation prévue à l’article L. 264-1 du même code. Le requérant soutenait notamment que cette disposition porte atteinte au droit au recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, en ce qu’il empêche les personnes dépourvues de titre de séjour et sans domicile stable de former valablement une demande d’aide juridictionnelle.
Pour rejeter ce grief, le Conseil constitutionnel a opéré un rapprochement entre l’article litigieux et la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique, qui fixe la procédure selon laquelle une personne sans domicile stable peut déposer un dossier de demande d’aide juridictionnelle.
L’article 3 de cette loi prévoit ainsi plusieurs cas dans lesquels un étranger en situation irrégulière dépourvu d’un domicile stable peut bénéficier de l’aide juridictionnelle. Il dispose notamment que l’aide peut être accordée à titre exceptionnel aux étrangers ne remplissant pas la condition de résidence habituelle et régulière en France « lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles au procès ». Autrement dit, prise littéralement, la règle de fond posée par cet article reconnaît la possibilité d’accorder l’aide juridictionnelle à certains étrangers en situation irrégulière. Pour la Haute Juridiction, elle ne contredit pas l’article L. 264-2 du CASF, qui constitue une disposition générale n’ayant « ni pour objet ni pour effet de déroger aux dispositions législatives spécifiques ». L’argument selon lequel le troisième alinéa de cet article L. 264-2 du CASF priverait les étrangers en situation irrégulière du droit de déposer une demande d’aide juridictionnelle doit donc être écarté, indiquent les sages, concluant à la conformité de la disposition à la Constitution.
(1) C’est-à-dire tous les pays de l’Union européenne plus l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.