Deux ateliers de pratique artistique pour personnes handicapées, l’un de danse et l’autre de musique, ont fait l’objet d’une étude ethnographique menée en 2012 dans une ville de province de taille moyenne (1) par l’lnstitut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INS-HEA) (2). Fondée sur plusieurs mois d’observation participante et des entretiens, elle s’intéresse aux conditions d’émergence de ces activités, à leur fonctionnement et aux représentations que s’en font les principaux intéressés (responsables, animateurs, parents et personnes handicapées). Selon l’étude, deux éléments ont favorisé leur naissance : la loi « handicap »de 2005, qui vient donner une légitimité à des initiatives isolées et les intègre dans des politiques publiques municipales ; le recentrage des établissements et services d’aide par le travail sur la fonction de production, qui rend plus difficile l’organisation en interne d’activités culturelles ou de loisirs.
L’atelier de musique se déroule au sein d’un centre socioculturel et concerne sept participants, âgés de 10 à 25 ans, souffrant de handicap intellectuel et physique. Il est animé par deux professeurs de musique, qui l’avaient auparavant assuré seuls. Alors que leur travail consistait en grande partie à surveiller et canaliser les participants, le duo organise désormais des séances de répétition en vue d’une représentation publique. « La forme que prennent actuellement ces ateliers est en partie due à cette liberté gagnée, explique Béranger Dominici, un des auteurs de l’étude. Elle est également due au désir de s’aligner sur les pratiques artistiques légitimes, en délaissant peu à peu la forme ancienne consistant à se réunir autour de la musique pour passer du bon temps ensemble. »
L’atelier de danse est animé par une professeure de danse contemporaine au sein de l’école municipale des arts, pour huit élèves, âgés de 18 à 30 ans, (dont une majorité de filles) atteints de déficience intellectuelle. Il se déroule sous la forme d’un cours adapté avec des échauffements spécifiques, réalisables par tous, des techniques ludiques pour libérer les mouvements et un travail d’écoute du corps et de la musique. La naissance de cet atelier tient beaucoup à la personnalité de la directrice de l’école des arts, elle-même parent d’un enfant handicapé.
Autre enseignement, les conceptions différentes des acteurs sur le sens et la mission des ateliers. Par exemple, l’évolution des séances de musique vers une définition plus « officielle » de la culture (représentation sur scène face à un public) n’est pas forcément du goût de certains parents, qui appréciaient la convivialité existant auparavant. « Ils venaient pour le dernier quart d’heure découvrir ce que leurs enfants avaient fait et chanter avec eux », précise Béranger Dominici. Quatre types de discours de professionnels ont été repérés : un discours artistique sur la plus-value apportée par la personne handicapée dans la création, un discours social – le plus présent – sur l’inclusion des personnes dans la cité, un autre sur les effets « thérapeutiques » des ateliers et, enfin, un discours sur la dimension de loisir. Côté parents, certains y voient un moyen de faire progresser l’autonomie de leur enfant, une revanche sur une société peu encline à accepter la différence mais aussi l’occasion, pour eux-mêmes, de s’offrir un temps de répit. Enfin, une personne handicapée raconte comment le fait de préparer un spectacle et de monter sur scène permet de « banaliser le handicap ». Au final, les acteurs attribuent des sens différents à ces ateliers, ce qui peut être source d’incompréhensions, mais est aussi une richesse.
(1) Dont les auteurs ne souhaitent pas divulguer le nom.
(2) « Handicap, pratiques culturelles et participation sociale » – Avril 2013 – Disponible sur