« Est-ce dans l’intérêt de l’enfant de maintenir des liens avec un parent incarcéré ? » En janvier 2012, la défenseure des enfants a lancé un groupe de travail dont l’objectif est de produire des repères et des recommandations sur lesquels s’appuyer pour déterminer et prendre en considération l’intérêt de l’enfant dans la prise de décision le concernant. Troisième opus de ce groupe travail (1), un rapport consacré au maintien des liens familiaux lorsque l’un ou l’autre des deux parents est incarcéré vient d’être publié (2).
« Ne plus oublier l’enfant et ses besoins lorsqu’un parent est incarcéré. » Le cadre est posé dès la première préconisation. « Les enfants privés d’un parent emprisonné sont souvent appelés des “victimes cachées de la détention”, “orphelins de la justice” […] en raison du manque de considération apportée à leur situation. » Le droit français s’intéresse trop peu à la question du maintien des relations entre un enfant et son parent placé en détention, souligne le rapport. Et cette problématique est souvent abordée sous l’angle du droit des détenus et des effets « bénéfiques » que le maintien de ce lien peut avoir sur leur réinsertion. « Il y a peu de recherche sur les enfants de détenus et il manque en particulier des études longitudinales qui seraient nécessaires pour identifier et mieux comprendre de quelle manière la détention des parents agit sur les enfants. » Impossible donc de dire de façon catégorique si le lien familial doit être maintenu avec le parent incarcéré : selon le groupe de travail, la situation ne peut s’évaluer qu’au cas par cas, en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dès lors, quelques grands principes doivent être respectés afin de permettre un accompagnement adapté lorsqu’il est décidé de maintenir ce lien. Notamment, « dire la vérité [aux enfants] de façon appropriée », c’est-à-dire « pas n’importe quand, dans n’importe quelle condition et sans les supports adaptés à leur âge », précise le document. « Beaucoup de parents hésitent à parler d’un secret à un enfant parce qu’ils craignent qu’il ne le comprenne pas. » Or rien ne semble justifier qu’il y ait des raisons d’occulter la réalité de l’enfermement. Pour soutenir cette parole, les travailleurs sociaux peuvent, par exemple, faciliter les rencontres entre l’enfant et son parent incarcéré et expliquer à l’enfant l’incarcération et ses conséquences, notamment sur le lien familial. Ou encore recueillir la parole de l’enfant « sans ses parents » sur son sentiment face à la situation et adapter l’accompagnement proposé aux besoins exprimés. Une réflexion peut aussi s’engager, note la défenseure des enfants, avec le parent non détenu sur la question de l’information du personnel scolaire afin, notamment, de veiller à ce que l’enfant ne fasse pas l’objet de harcèlement ou de remarques désobligeantes et d’« éviter la déscolarisation de l’enfant après l’arrestation d’un parent ».
Dans tous les cas, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être respecté, notamment lorsque se pose la question du droit pour l’enfant de visiter son parent détenu. Le groupe de travail préconise ainsi de veiller à ne pas faire dépendre le droit de visite « du seul bon vouloir du parent libre ». L’enfant devrait, par exemple, pouvoir se faire accompagner lors de ses visites par une association ou les services sociaux lorsque le parent libre s’y refuse ou n’est pas disponible. Il demande également que les mineurs de plus de 16 ans n’aient pas à demander l’accord de leur autorité parentale pour solliciter un permis de visite à leur parent incarcéré.
Dans certaines situations complexes (âge de l’enfant, nature des faits, personnalité du parent détenu, configuration familiale…), la défenseure des enfants propose que le service pénitentiaire d’insertion ou de probation et le conseil général dans le cadre de sa mission de protection de l’enfance mettent en place une évaluation pluridisciplinaire des demandes de rencontres afin de déterminer « si et comment l’enfant, la personne détenue, la famille, sont en mesure de supporter la réalité de cette rencontre et ses effets potentiels ». Autre piste, un correspondant « enfant et famille » pourrait être désigné dans chaque établissement pénitentiaire « pour être un interlocuteur privilégié et veiller à la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’ensemble des décisions prises au sein de l’établissement ». Et tous les établissements pénitentiaires devraient être dotés d’unités de vie familiale et de parloirs familiaux.
L’organisation matérielle des visites doit aussi prendre en compte l’intérêt de l’enfant et ses besoins spécifiques, martèle la défenseure des enfants, par exemple en adaptant « les jours et horaires de visite aux contraintes scolaires des enfants », en permettant « à l’enfant de voir les lieux de vie de son parent incarcéré à travers des photos ou une vidéo », en créant « des salons familiaux ainsi que des salles enfants-parents », en réduisant « au strict minimum nécessaire le temps d’attente à l’extérieur pour l’appel au parloir », en favorisant « la rencontre spéciale parents-enfant (à l’occasion par exemple de fêtes traditionnelles) »… Ces enfants doivent pouvoir « percevoir concrètement que l’incarcération d’un parent n’est pas synonyme d’abandon, vérifier qu’ils sont encore aimés et que leur parent n’est pas maltraité en détention », poursuit-elle, et les parents incarcérés « avoir la capacité d’exprimer leur affection à leur(s) enfant(s) […], surmonter leur sentiment de perte de légitimité, leur culpabilité, leur honte et conserver leur estime d’eux-mêmes, en tant que parent ».
(1) Les premiers travaux du groupe ont porté sur la question du choix de la résidence des enfants lors de séparations conflictuelles. Puis le groupe de travail s’est intéressé à la prise en compte de l’intérêt de l’enfant dans les procédures d’adoption, tant nationales qu’internationales.
(2) Le maintien des liens à l’épreuve de l’incarcération – Octobre 2013 – Disp. sur