Absence de pilotage de la prise en charge des aides techniques pour les personnes âgées dépendantes et les personnes handicapées, modes de financement « inégalitaires et inflationnistes », procédures d’attribution des aides trop longues et variables d’un territoire à l’autre… C’est ce qui ressort des conclusions de l’évaluation menée par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la politique des aides techniques (AT) et des dispositifs médicaux (DM) en direction des personnes handicapées et des personnes âgées dépendantes qui vivent à leur domicile (1). L’IGAS formule donc des recommandations visant, entre autres, à structurer le pilotage du dispositif et à le rendre financièrement accessible pour les publics concernés. Rappelons que, pour les personnes handicapées, les aides techniques sont prises en charge dans le cadre de la prestation de compensation du handicap (PCH) et, pour les personnes âgées dépendantes, via l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
Le dispositif de prise en charge des aides techniques opère une distinction entre maladie, handicap et vieillesse, ce qui induit « une complexité jugée exceptionnelle […], des délais dont la longueur n’est pas tolérable et des inégalités de traitement injustifiables pour les utilisateurs », relève l’IGAS. Mais, « son financement étant réparti entre de multiples organismes, son poids relatif est trop faible pour chacun d’entre eux pour que les incohérences et l’augmentation des coûts constituent une priorité de réforme ». Pour l’inspection, « l’Etat lui-même est loin d’adopter une position très volontariste, tant en raison de ses propres cloisonnements que des ressources humaines respectives à chaque service concerné [2], très insuffisantes au regard de la technicité et de l’importance de ses responsabilités, et d’une position généralement prudente vis-à-vis des intérêts économiques en jeu ». Au final, constate-t-elle, « aucune direction d’administration centrale [direction générale de la santé et direction de la sécurité sociale pour les DM, direction générale de la cohésion sociale pour les AT] ni aucun de leurs opérateurs ne revendique le pilotage national de ce dispositif dont l’absence de maîtrise des prix et la complexité administrative de mise en œuvre sont des problèmes avant tout pour les départements, les mutuelles et les usagers ».
Autres points noirs pour l’IGAS : les modes d’organisation et les procédures d’attribution des aides techniques varient d’un département à un autre, selon le degré d’implication des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et du conseil général. Par exemple, pour une même demande, les personnes handicapées peuvent avoir à remplir trois dossiers, « voire davantage », ce qui, selon le rapport d’activité de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) de 2010, portait à six mois et demi le délai moyen de traitement d’une demande (3). Pour les personnes âgées dépendantes, même si les délais sont plus courts (88 jours en 2011), les associations rencontrées par la mission les jugent « bien trop longs par rapport à l’état de santé » des intéressés. En outre, les départements sont confrontés à la complexité et à la technicité de leurs missions d’évaluation de la situation de la personne – aggravées notamment par le manque de référentiel d’aide à la décision –, d’élaboration de leur plan d’aide, du montage financier et du paiement des aides.
Par ailleurs, les usagers et les services instructeurs doivent faire face à de multiples financeurs qui appliquent des règles différentes d’éligibilité, de tarifs ou encore de paiement et qui n’ont pas de vision d’ensemble : la protection sociale (de base et complémentaire), les conseils généraux (APA, PCH et fonds départemental de compensation), les aides extralégales d’autres niveaux de collectivités (centres communaux d’action sociale, conseils régionaux…), les aides sociales des caisses d’assurance maladie… Si l’assurance maladie est le principal contributeur, elle ne finance toutefois qu’un nombre restreint de produits aux tarifs inférieurs à la réalité du marché, déplore l’inspection. La PCH et l’APA complètent en effet l’essentiel du besoin de financements. Fin 2011, plus de la moitié des 164 000 personnes handicapées et plus des trois quarts du 1,2 million de personnes âgées dépendantes ont eu recours à des aides techniques. Toutefois, relève la mission, « dans le cas des premières, les aides utilisées ont majoritairement été acquises par le biais de la PCH [4] tandis que, pour les personnes âgées, il est plus rare qu’elles aient été financées par l’APA [5] ». Pour elle, cette situation s’explique par le fait qu’une demande d’APA est surtout motivée par un besoin en aides humaines. Mais le faible recours à ces aides par les personnes âgées reflète surtout « la sous-information [6] et la réticence des utilisateurs à accepter la “stigmatisation” qu’ils ressentent à l’usage de ces équipements, les compétences limitées des services gestionnaires sur ce champ et l’apparition de besoins en aides techniques (donc une acquisition) avant l’entrée dans la dépendance ». En outre, pour les aides techniques coûteuses, le mode de versement de l’allocation oblige les usagers à faire l’avance des frais.
Pour faire face à ces dépenses, les personnes handicapées peuvent bénéficier de compléments de subvention apportés par les fonds départementaux de compensation (FDC) gérés par les MDPH. Des fonds cependant « très inégalement dotés et actifs selon les départements », souligne l’IGAS. Pour elles, le reste à charge moyen est évalué à 12 % du coût de l’aide acquise. En revanche, il n’y a pas d’équivalent pour les personnes âgées dépendantes qui financent elles-mêmes en grande partie leurs aides techniques.
Pour l’IGAS, il faut donc simplifier le dispositif des aides techniques pour mieux prévenir la perte d’autonomie et compenser le handicap. Pour ce faire, elle propose de structurer un pilotage national autour de la direction de la sécurité sociale et de renforcer l’intervention de l’assurance maladie, en élargissant la liste des produits et des prestations remboursables (LPPR) aux aides techniques les plus prescrites et les plus onéreuses (7). Il conviendra dès lors de « fixer, pour chacune des catégories d’aides techniques de la LPPR élargie, un prix limite de vente cohérent avec le coût de fabrication des produits et un tarif de responsabilité en adoptant une démarche progressive débutant par les aides générant la plus forte dépense ». Ou encore de « labelliser des aides techniques d’“entrée de gamme” qui seront vendues au prix limite de vente ». L’IGAS préconise en outre que l’Etat ne prenne plus part aux commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et aux FDC et redéploie les moyens humains ainsi rendus disponibles pour des missions de contrôle. Ou encore de charger la caisse nationale d’assurance maladie de mener une étude qualitative pour connaître le reste à charge évalué par les services administratifs, le reste à charge réel, son poids dans le budget des personnes et leur décision finale d’acquérir ou non des aides techniques. En tout cas, estime l’inspection, en dépit de coûts plus importants pour l’assurance maladie, ce scénario est « préférable à la conservation du dispositif actuel, même amélioré ».
En dehors de ce scénario, l’IGAS propose des mesures pour optimiser le système actuel : permettre à la commission d’attribution de l’APA d’autoriser, au cas par cas, un paiement par anticipation de certaines aides techniques coûteuses ; privilégier le critère de ressources pour le bénéfice des fonds départementaux de compensation et mettre en place des barèmes nationaux de restes à charge ou des tickets modérateurs en fonction du niveau de revenu des personnes handicapées…
Enfin, l’inspection formule des solutions applicables quel que soit le scénario retenu. Par exemple, elle suggère d’« établir un référentiel des aides techniques avec un prix indicatif et les principales caractéristiques des aides en débutant par les aides jugées prioritaires par les MDPH » ou encore de « créer un référentiel de prix standard pour les équipements de consommation courante les plus fréquemment traités par les MDPH et d’autoriser les CDAPH à faire prendre en charge par la PCH des matériaux universels si ceux-ci sont moins coûteux que leur équivalent spécifique ». Le rapport recommande également de « créer un référent “aides techniques” dans chaque équipe médico-sociale et d’organiser ces référents en un réseau chargé de tenir à jour un référentiel des principales aides techniques utilisées, animé soit par la CNSA soit par l’agence régionale de santé ». Et même d’encourager les expérimentations en faveur de la location et du prêt pour les aides techniques coûteuses couramment utilisées. L’objectif étant d’éviter le gaspillage quand la situation de la personne évolue et d’aider les familles à se débarrasser du matériel lorsqu’ils n’en ont plus l’usage, explique l’IGAS.
(1) Evaluation de la prise en charge des aides techniques pour les personnes âgées dépendantes et les personnes handicapées – Disponible sur
(2) Un fait confirmé par la direction générale de la cohésion sociale qui ne voit pas d’évolution possible dans un « avenir prévisible », rapporte l’IGAS. Soulignant même que la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, son opérateur dans ce périmètre de compétences, « n’est pas davantage en situation de l’appuyer, encore moins de piloter par délégation ».
(3) Ces délais peuvent être bien plus longs puisque, dans le Val-de-Marne, 44 % des dossiers ont été traités dans un délai supérieur à un an.
(4) Dans le cadre de la PCH, les aides techniques sont prises en charge sur trois ans à hauteur de 3 960 €, un plafond qui peut être dépassé en cas d’équipements très coûteux.
(5) Aucun arrêté ne fixe la liste et le tarif de prise en charge au titre de l’APA, contrairement à ce qui est prévu pour la PCH. Le contenu du plan d’aides « APA » est encadré par des plafonds financiers mensuels. A titre d’exemple, illustre l’IGAS, « pour une personne en GIR 1 (très dépendante), son plan d’aides mensuel est, au 1er avril 2012, plafonné à 1 288,09 €, sachant que, selon les bénéficiaires, une participation financière leur est demandée allant de 0 à 90 % de cette somme ».
(6) Selon l’IGAS, l’information des usagers est « très limitée » et « se fait donc au cas par cas en fonction des relais d’associations plus ou moins spécialisées par type de handicap, des ressources Internet, des mutuelles, des réseaux de proximité quand il en existe ».
(7) Les aides techniques correspondantes seraient ainsi retirées du financement de la PCH et de l’APA.