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Formation des directeurs : la nouvelle donne

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En distinguant deux niveaux de qualification requis pour la fonction de direction d’établissements et services sociaux et médico-sociaux « au regard des délégations accordées par l’employeur », le décret du 19 février 2007 (1) a créé une nouvelle catégorie de directeurs de petites structures, pour lesquels un diplôme de niveau I n’est pas obligatoire. Se pose, pour ces professionnels, la question d’une formation adéquate, relèvent François Noble, directeur de l’Andesi, et Jérôme Wenz, directeur général d’Askoria (2).

« Le monde change, et il change vite. Les territoires se transforment. Les politiques sociales sont en mutation profonde et rapide. Décideurs publics et responsables associatifs savent qu’aujourd’hui le service rendu aux bénéficiaires de l’action sanitaire, sociale et médico-sociale exige encore davantage : une capacité à choisir les modes d’intervention qui répondront efficacement aux attentes, une capacité d’innovation sans cesse renouvelée, un pilotage attentionné et efficace de l’activité et des équipes, une maîtrise constante des produits et des charges.

Dans un contexte marqué par le développement des directions par pôles et le renforcement des technostructures au niveau des directions générales et des sièges, quels directeurs d’établissements faut-il préparer pour demain ? Comment, dans ce nouveau contexte, donner ou redonner à des cadres à la fois le goût de la responsabilité et une aisance technique suffisante pour exercer avec dynamisme et créativité les délégations qui leur seront confiées ? Comment les préparer au mieux à exercer à la fois leur fonction d’animation d’équipe(s) et de gestion sans en rabattre sur la fonction clinique et la garantie de la qualité de la prestation pour les bénéficiaires ? Comment assurer que les formations et les qualifications qui leur sont proposées leur apportent au plus juste les compétences qui leur seront les plus utiles ?

Depuis une dizaine d’années, on a vu émerger, tant du côté du secteur public que du secteur associatif, de nouvelles formes de gouvernance (redynamisation des conseils d’administration) et de dirigeance (restructuration des directions générales). Sans qu’on puisse toujours démêler la cause de ­l’effet, ces évolutions se sont accompagnées d’une profonde reconfiguration des structures organi­sationnelles : la variété et la richesse du secteur demeurent, mais ces structures sont toutes confrontées à des enjeux de ré-ordonnancement.

Les chaînes hiérarchiques réorganisées

Et nonobstant la diversité persistante des mo­dèles structurels – des établissements et services de toutes tailles subsistent dans le paysage –, on assiste à une “nouvelle donne” pour l’ensemble des fonctions de direction et d’encadrement. De très nombreux associations et établissements publics ont refondé l’organisation de leur pouvoir et des délégations et, à cette occasion, ont restructuré leurs équipes de direction et réorganisé leur chaîne hiérarchique.

Quels ont été les paramètres de ces réorgani­sations internes ? On en soulignera ici principalement trois :

→ une forte tension sur les ressources financières, assortie de la nécessaire maîtrise de la masse salariale : il faut moins de “directeurs”. Et pour le niveau situé au-dessous, chacun sait qu’en faisant varier les intitulés des fonctions, on rend moins visible l’ampleur des responsabilités réellement déléguées (3) ;

→ les pleins effets du décret du 19 février 2007 relatif “aux modalités de délégation et au niveau de qualification des professionnels de direction” (4). Ce décret, en distinguant essentiellement deux niveaux de qualification requis pour l’exercice de la fonction au regard des délégations accordées par l’employeur, exonère de l’obligation d’avoir un directeur titulaire d’un diplôme de niveau I pour chaque établissement, et incite ainsi à une mutualisation de la fonction de direction sur plusieurs établissements, facilitant du même coup l’émergence de nouvelles fonctions intermédiaires entre le “directeur” et les responsables de service ;

→ une prégnance des enjeux stratégiques et de gestion : notamment depuis la création des agences régionales de santé (ARS), cette prégnance peut conduire à complexifier la délimitation de l’exercice d’une fonction de “direction” identifiée et reconnue.

En fait, pour les structures les plus importantes en taille, les réorganisations se déclinent le plus souvent en pôles ou en filières, aux têtes desquels sont nommés des “directeurs” ayant – nous y reviendrons – une qualification au moins de niveau Cafdes (5)/ master. Les équipes des différents établissements et services qui composent ces “regroupements” sont alors pilotées par différents cadres de direction, “adjoints” ou “responsables”, souvent (mais pas toujours) de moindre niveau de qualification.

Ces cadres de direction, aux délégations réduites par rapport aux directeurs qui les avaient précédés, n’en ont pas moins d’importantes responsabilités, notamment en matière de gestion des ressources humaines et de management d’équipes, mais également en termes de logistique et de gestion administrative. Sans oublier, bien sûr, leurs responsabilités en matière de mise en œuvre des prestations de service, d’accompagnement et de prise en compte des usagers et de garantie apportée quant à la qualité de service rendu à l’usager.

Assurément, de nouvelles professionnalités de direction et d’encadrement sont ainsi en cours de construction. Le directeur d’établissement, ou l’adjoint de direction, ou le responsable de territoire (ou de pôle), doit construire et assumer de nouvelles articulations : il doit être loyal, clair et efficace vis-à-vis de sa hiérarchie (direction générale, siège social…), et de l’association gestionnaire ou de la collectivité qui l’emploie. Mais non moins loyal, clair et efficace avec les différents chefs de services, cadres intermédiaires de proximité – qu’ils soient ou non sous sa responsabilité hiérarchique directe.

Des compétences « managériales » requises

Autant dire que le directeur de petite structure, le directeur adjoint d’un établissement de plus grande taille, le directeur de service sous respon­sabilité d’un directeur de pôle, le directeur d’établissement géré par un CCAS [centre communal d’action sociale], le responsable de territoire… doivent avant tout faire preuve, aujourd’hui, de compétences qui sont des compétences managériales.

Les directeurs généraux des services (DGS) des conseils généraux ne s’y trompent pas. Dans le récent texte rendu public par une trentaine d’entre eux (6), ils s’interrogent sur le besoin de formation en management de l’ensemble de l’encadrement hiérarchique : “Reste la question cruciale du management de ces équipes sociales. Trop souvent, il est confié à un cadre ’issu du rang’ mis en situation d’encadrer ses anciens collègues sans réel accompagnement, alors qu’il n’a à aucun moment de sa ­formation voire de sa pratique, travaillé ces questions managériales. Pourtant, nous savons tous qu’en ­particulier dans les grandes organisations que sont nos départements, c’est dans le management de proximité que réside le principal levier pour impulser des évolutions de pratiques professionnelles, des dynamiques de groupe, des projets collectifs partagés. […] Il revient donc aux cadres dirigeants des départements, par une implication plus importante qu’aujourd’hui dans la définition du parcours de formation des travailleurs sociaux, de s’investir fortement dans l’accompagnement managérial des cadres du secteur social, afin de leur donner les moyens de nos ambitions communes.”

Aujourd’hui, en réalité, la question ne se pose donc pas d’abord pour les directeurs multi-établissements concernés par l’exigence de qualification de niveau I. Pour eux, l’offre de formation est devenue plé­thorique : à côté de la formation professionnelle reconnue que constitue la formation préparatoire au Cafdes, les établissements universitaires leur ont proposé des masters en nombre. Et si l’étude menée en décembre 2011 (7) montre que le décret du 19 février 2007 a fait s’élever le niveau de qualification, elle montre également que pour les directeurs titulaires d’un diplôme de niveau I, le diplôme le plus élevé se situe le plus souvent dans la gestion ou le management.

La difficile position des « chargés de direction »

Mais qu’en est-il pour les cadres de direction qui ont en charge le pilotage d’un établissement ou d’un service ? Car la question se pose d’abord pour ces “professionnels chargés de direction” que sont les directeurs adjoints ou directeurs de petites structures, et elle est ardue : le Cafdes, référence historique, leur reste difficilement accessible faute de moyens, faute de temps. Malgré la durée, l’énergie, et les financements qu’il requiert, il n’entraîne pas obligatoirement de reclassement par les employeurs ou par les organismes de contrôle qui peuvent estimer, conformément aux textes réglementaires, que ce niveau ne leur est pas indispensable.

En réalité, les “nouveaux cadres” sont très souvent titulaires du (seul) Caferuis (8). La formation préparatoire au Caferuis prépare concrètement aux fonctions d’encadrement intermédiaire et de management d’équipes de petites unités. Mais ni son orientation ni son contenu ne visent véritablement à l’acquisition de compétences aux fonctions plus élargies de la direction, même pour ce qui concerne de petites structures.

Parce que les besoins de compétences des directeurs d’établissement vont au-delà du Caferuis, il existe même un risque de voir celui-ci se transformer en une formation hybride, “bodybuildée”, en particulier dans les centres de formation qui ne proposent pas de formation de directeur – au risque de faire disparaître la place du cadre de proximité. C’est la raison pour laquelle il nous semble opportun, pour ces cadres de direction reconnus au niveau II (9), de proposer des cursus de formations certifiants, centrés sur l’acquisition de savoirs et de compétences relatives à la fonction de direction.

Ainsi, former spécifiquement des “directeurs de niveau II” suppose de se pencher de très près sur les compétences requises par la redistribution des rôles, fonctions et délégations que nous décrivions, et aux nouveaux étagements qui en découlent.

Il s’agit donc de savoir comment accompagner les nouvelles professionnalités, avec quelles for­mations pouvant soit se différencier du Caferuis, soit lui faire suite ou le compléter, et reposant au moins sur les objectifs suivants :

→ faire acquérir les bases nécessaires à l’exercice d’“une certaine fonction de direction” (politiques sociales, droit du travail, gestion…) ;

→ développer des compétences et un outillage en management, qui renforcent à la fois les fonctions d’encadrement de proximité avec les professionnels et la nécessaire articulation avec les acteurs qui constituent l’environnement ;

→ s’approprier les fondements de l’analyse stratégique et de la conduite de projet stratégique.

La pertinence d’une telle formation repose sur le fait qu’elle ne saurait se situer sur le seul registre gestionnaire ou instrumental. Elle doit au contraire veiller à permettre au stagiaire une posture réflexive distanciée : introduction aux sciences sociales, sociologie des organisations, production d’un mémoire traduisant un projet de direction, qu’il soit de type professionnel ou de recherche. Il s’agit pour lui d’articuler le développement des compétences dites “de terrain” et la construction de cadres d’analyse propres à répondre aux attentes nouvelles de l’environnement. A l’issue de sa formation, il doit être capable de conjuguer le sens du projet avec la formalisation opérationnelle de sa mise en œuvre, il doit être suffisamment expert de son territoire d’action pour être reconnu comme un contributeur local qui compte.

Mieux armer les cadres intermédiaires

Peu d’organismes de formation se sont engagés dans ce type de formation “de directeurs” reconnue de niveau II (10). Pourtant l’expérience montre qu’elle permet aux cadres intermédiaires, dont les délégations correspondent, dans la réalité quotidienne, à des fonctions de direction, d’assurer leurs missions en étant mieux armés pour affronter les défis qui s’offrent à eux autant qu’à l’ensemble du secteur. Une telle formation peut être aussi considérée comme une étape pour ceux qui, ultérieurement, voudront poursuivre leur parcours professionnel en s’engageant plus facilement dans une formation de niveau I ou dans une démarche de validation des acquis de l’expérience (VAE) pour un titre de niveau I. Encore faut-il proposer d’abord à tout demandeur un bilan de positionnement qui sera bien utile à la définition de son projet.

A l’heure où, tout au long de la vie professionnelle, les parcours de formation doivent pouvoir se décliner de façon individualisée, il faut aussi pouvoir affirmer et prouver qu’on peut s’armer pour l’exercice d’une responsabilité de direction sans immédiatement accéder à des postes multi-établissements. Mais, dans un contexte d’offre de formation multiple, de moins en moins lisible, cette meilleure réponse aux besoins suppose un effort d’explicitation de la part des organismes de formation : en articulation étroite avec les employeurs, il leur revient d’accompagner les directeurs d’établissement à être, aux côtés des directeurs généraux, de véri­tables contributeurs au projet. »

Notes

(1) Voir ASH n° 2495 du 23-02-07, p. 5 et notre « Décryptage » sur l’évolution de la qualification des directeurs dans les ASH n° 2753 du 30-03-12, p. 28.

(2) L’Andesi est l’Association nationale des cadres du social. Askoria est un nouvel acteur breton de la formation en travail social, né en septembre dernier de la fusion de trois organismes de formation : l’IRTS de Bretagne, l’AFPE et Arcades formation.

(3) Les employeurs expliquent le développement des directions multi-établissements tout d’abord pour des motifs budgétaires. Un poste de direction a un coût élevé, et les financeurs incitent aujourd’hui fortement les organismes à réduire le nombre de ces postes », in « L’évaluation du dispositif de qualification obligatoire des directeurs d’établissements et services sociaux et médico-sociaux » – DGCS – Cabinet GESTE, décembre 2011 – Voir ASH n° 2753 du 30-03-12, p. 28.

(4) Voir ASH n° 2495 du 23-02-07, p. 5.

(5) Certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale.

(6) « L’action sociale : boulet financier ou renouveau de la solidarité » – Voir ASH n° 2761 du 25-05-12, p. 16.

(7) « L’évaluation du dispositif de qualification obligatoire des directeurs d’établissements et services sociaux et médico-sociaux » (DGCS – Cabinet GESTE, décembre 2011).

(8) Certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale.

(9) On objectera que depuis le décret de 2007, la question des « niveaux I et II » est à mettre au passé : au regard du Cadre européen de certification (CEC), ces niveaux sont respectivement devenus niveaux 7 et 6. Et dès lors qu’on raisonne « en Européens », on soulignera que le niveau 6 (« Bachelor ») est par essence tout à fait multiforme : parfois il est très professionnalisant, parfois, au contraire, il ouvre la voie à une spécialisation qui se fera au niveau 7 ou au niveau 8.

(10) L’Andesi (au plan national) et Askoria (en Bretagne) proposent trois formations de directeurs de niveau II inscrites au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Des passerelles Caferuis/directeur niveau II sont proposées dans ces deux organismes.

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