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« Il faut parvenir à unifier le pilotage du système de santé »

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Comment continuer à financer une politique de santé de qualité, solidaire et égalitaire dans un contexte économique difficile ? Observateur et acteur des politiques de santé, le juriste et ancien conseiller ministériel Didier Tabuteau propose, dans un ouvrage, des pistes pour repenser le système de soins et l’assurance maladie.
Le secteur de la santé est, dites-vous, un marqueur des mutations des politiques sociales. Pour quelle raison ?

Par son ampleur. Il représente 12 % du PIB et environ un tiers du financement total de la protection sociale. Son poids économique est donc très important. En outre, il touche toute la population. Personne n’est extérieur au système de santé. Les mutations qu’il enregistre sont de ce fait révélatrices des évolutions à l’œuvre dans l’Etat-providence.

Quelles sont ces mutations ?

On peut citer l’idée de la création d’un bouclier sanitaire qui mettrait des prestations actuellement universelles sous conditions de ressources. Ce qui serait, selon moi, totalement contraire aux principes sur lesquels a été bâti le système de sécurité sociale, et fortement préjudiciable à l’assurance maladie. Un autre exemple est le débat sur l’assurance maladie conditionnelle, avatar de celui sur le workfare [1]. Il s’agirait de conditionner les prestations de santé au comportement des assurés. L’assurance maladie se transformerait alors en une sorte de police des mœurs qui ne rembourserait les soins qu’en fonction du respect de tel ou tel « bon » comportement. Les effets de ce système seraient extrêmement inégalitaires, dans la mesure où les représentations socio­culturelles et les modes de vie sont très variables selon les populations.

Nos élus, observez-vous, ont du mal à faire de la santé un véritable enjeu politique…

Singulièrement, la santé est le seul grand système d’intérêt collectif qui n’a pas été pris en charge par l’Etat en France. Notre service public est très développé, sauf en matière sanitaire. Qu’on en juge par la place importante qu’occupent la médecine libérale, les cliniques privées ou encore les assurances complémentaires. La Révolution française avait bien eu le projet de créer des officiers de santé pour exercer la médecine dans les campagnes. Mais les médecins de l’époque n’ont pas accepté cette concurrence et, après un siècle de conflit, l’Etat a supprimé ces officiers de santé et renoncé à s’occuper de l’organisation du système de soins. C’est seulement à la fin des années 1950, avec la création du système hospitalo-universitaire public, qu’il est revenu dans le jeu. Bien sûr, une loi de financement de la sécurité sociale est votée tous les ans et le Parlement décide des grands objectifs à travers l’ONDAM [objectif national des dépenses d’assurance maladie]. Mais l’Etat continue à avoir beaucoup de mal à intervenir sur l’organisation d’un système qui s’est construit à l’initiative des médecins.

Si une chose a changé, c’est bien la place des malades…

L’affirmation du droit des malades et la reconnaissance du rôle de leurs associations constituent, en effet, la plus grande rupture qu’ait connue le système de santé depuis une trentaine d’années. Cette transformation essentielle résulte de la conjugaison, au cours des années 1980 et 1990, de l’action de l’Association française de lutte contre les myopathies, qui a milité pour une politique publique contre les maladies rares avec le Téléthon, et de la mobilisation des associations de lutte contre le sida, qui ont participé à la mise en œuvre d’une politique publique dès le début de l’épidémie du VIH. Le rôle des associations a été déterminant. La société française s’est ouverte à l’idée que les patients ont des droits et peuvent même jouer un rôle dans le pilotage du système. Ce qui a nourri la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades.

Evoquant la privatisation de certaines missions de l’assurance maladie, vous parlez de « politique du salami »…

L’immense majorité de la population reste attachée à l’assurance maladie créée en 1945. Les tentatives visant à la privatiser en bloc ont d’ailleurs fait long feu. Mais depuis une dizaine d’années, l’assurance maladie rembourse de moins en moins les soins courants, autrement dit tout ce qui ne relève pas des dépenses d’hospitalisation et des affections de longue durée. Le taux de remboursement de ces soins courants est passé sous la barre des 50 %. Ils sont désor­mais majoritairement remboursés par la protection complémentaire et par les ménages. Or ils représentent l’essentiel des dépenses de santé pour une grande majorité de la population. D’où l’image de la politique du salami. Chaque fois que l’on crée un forfait, une franchise, une augmentation du ticket modérateur ou des dépassements d’honoraires, c’est une petite tranche d’assurance maladie qui passe au privé. Cela change la nature du système car, contrairement à l’assurance maladie, les cotisations des complémentaires sont rarement proportionnelles aux revenus. En outre, leur coût croît avec la taille de la famille et avec l’âge de l’assuré. Tout cela crée de très fortes inégalités.

Vous proposez un nouveau contrat sanitaire axé en particulier sur la promotion de la santé. N’est-ce pas un serpent de mer ?

Sans doute, mais la prévention n’en représente pas moins un facteur essentiel d’amélioration de l’état de santé de la population. Impossible de ne pas y voir une priorité. Un travail d’éducation à la santé a été réalisé depuis vingt ans en France, et je suis convaincu qu’il est possible désormais de franchir une étape supplémentaire en renforçant à l’école une véritable éducation à la santé et en développant une démarche de santé publique attractive, et même joyeuse. La santé publique, c’est d’abord mieux se connaître soi-même, mieux connaître les risques pour sa santé et profiter de la vie. Le XXIe siècle sera, j’en suis convaincu, celui de la prévention, y compris médicalisée.

Le deuxième axe de ce contrat est la rationalisation de la prise en charge sanitaire et sociale. Cela ne rime-t-il pas avec une baisse des prestations ?

Même dans le contexte économique actuel, il me paraît possible d’organiser un système de santé efficient, solidaire et égalitaire, mais cela suppose des choix. Je suis favorable à ce que l’assurance maladie rembourse bien tout ce qu’elle prend en charge à condition qu’elle soit sélective justement sur ce qu’elle prend en charge. Lorsqu’ils sont justifiés, les déremboursements ne me choquent pas. En revanche, les baisses de remboursement me choquent. D’où l’idée de remonter progressivement à 80 % de remboursement pour tous les soins courants pris en charge par l’assurance maladie. Rationaliser, c’est aussi proposer les meilleurs soins. Ce qui passe par la formation des professionnels, le partage des protocoles médicaux… tout un travail de terrain essentiel en vue de bâtir un système plus efficient.

Ce nouveau contrat sanitaire nécessite-t-il une refonte de l’architecture du système de santé ?

L’une des particularités de ce système, c’est la dyarchie entre, d’un côté, une politique d’assurance maladie portée par la CNAM et, de l’autre, une politique de santé portée par l’Etat. Or les deux ne sont pas toujours en cohérence. Il faut donc parvenir à unifier le pilotage du système. Le sens de l’histoire voudrait que ce pilote soit l’Etat. Dans le même temps, il est important que tout ne se décide pas à Paris. Les grands principes d’une politique de santé universelle ont vocation à être mis en œuvre régionalement, et même localement. La création des agences régionales de santé est un premier pas, mais on est loin d’avoir donné aux territoires une véritable responsabilité. Je pense à la rénovation des conférences régionales de la santé et de l’autonomie ou encore au rôle des conseils régionaux. Cette responsabilité régionale, y compris au niveau des conventions médicales, me semble essentielle.

La stratégie nationale de santé, dévoilée récemment par Marisol Touraine, vous semble-t-elle aller dans le bon sens ?

Certains éléments sont extrêmement positifs, notamment l’affirmation du fait qu’il ne doit y avoir qu’une seule politique de santé. Et l’annonce de la généralisation du tiers payant est une étape quasi historique. Cela fait quatre-vingt-dix ans que la médecine libérale s’y oppose en France. La redéfinition du service public hospitalier et la construction d’un service public territorial sont également des décisions qui vont dans le bon sens. Mais nous n’en sommes encore qu’aux grands principes. Nous verrons dans les mois qui viennent l’ampleur que prendra cette réforme.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Didier Tabuteau, juriste, est responsable de la chaire santé de Sciences-Po et codirige l’Institut droit et santé de l’université Paris-Descartes. Il a exercé des responsabilités dans plusieurs cabinets de ministres de la Santé (Claude Evin, Bernard Kouchner, Martine Aubry). Il publie Démocratie sanitaire. Les nouveaux défis de la politique de santé (Ed. Odile Jacob, 2013).

Notes

(1) Apparu aux Etats-Unis dans les années 1970, le workfare est un système d’aide sociale qui prévoit que les bénéficiaires aptes doivent travailler pour toucher leur allocation.

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