Soixante mères séropositives, dont aucune n’avait eu par le passé d’enfant contaminé, ont été rencontrées courant 2009 lors d’une consultation de pédiatrie prenant place dans le suivi post-natal de la prévention de la transmission mère-enfant du VIH (1) à l’hôpital Trousseau. Ces mères ont eu un entretien avec un psychologue, accompagnées de leur nourrisson âgé de moins de trois mois, c’est-à-dire pendant la période angoissante où le diagnostic de séropositivité du bébé n’est pas encore établi. D’origine subsaharienne pour 85 % d’entre elles et majoritairement sans activité professionnelle stable, les intéressées éprouvaient un fort sentiment de solitude lié à un contexte de ruptures multiples. Dans plus d’un tiers des cas (35 %), elles étaient également enfermées dans le secret de leur séropositivité non partagé avec le père (2). La moitié des mères était séparée de ce dernier et 56 % des 34 femmes multipares l’étaient aussi de leurs premiers enfants restés au pays. 35 % des mères avaient rencontré des difficultés sociales pendant la grossesse, non résolues au moment de la naissance : 16 femmes ont dit avoir passé leur grossesse seules dans un hôtel social, quatre seules chez une amie et une dans sa famille. Le renoncement à l’allaitement – vecteur de risque de transmission du virus à l’enfant – a été difficile pour 72 % des mères, et la moitié d’entre elles a aussi évoqué les problèmes et la souffrance occasionnés par le fait d’avoir à mentir à l’entourage pour justifier le « choix » du biberon. L’angoisse de contamination était néanmoins importante et malgré une connaissance des modes de transmission du VIH, 40 % des mères étaient dans l’évitement de contacts physiques avec leur nourrisson et s’abstenaient de l’embrasser ou de « trop le toucher ». D’autres avaient des comportements étranges d’hyperstimulation nés de l’inquiétude sur la normalité du bébé. Ainsi une mère remontait sans cesse la lèvre inférieure de son enfant pendant qu’il dormait, de « peur qu’elle pende ».
Les conséquences d’attitudes inadaptées de certaines mères étaient parfois déjà lisibles chez les bébés, précisent les chercheurs. Les coliques, qui surviennent souvent chez les nouveau-nés de mères angoissées (indépendamment du VIH), étaient particulièrement nombreuses. Les mères estimaient qu’il s’agissait notamment de réactions au lait artificiel que leur enfant n’appréciait pas. Des pleurs, associés ou non à des coliques, étaient par ailleurs souvent interprétés par les femmes comme une tristesse du bébé en écho à la leur. Enfin, une hypotonie ou des anomalies du regard ont quelquefois été observées de façon transitoire. Constatant que les premières relations mère-enfant ont lieu dans un contexte de grande fragilité maternelle, les chercheurs insistent sur l’importance d’un accompagnement prolongé des mères et de leurs bébés, surtout quand ces derniers ne sont pas contaminés. En effet, les enfants ne bénéficient alors d’un suivi systématique que pendant leurs 18 premiers mois, « ce qui reste insuffisant dans le cadre d’une éventuelle prévention de troubles ultérieurs ».
(1) Cf. « Impact de la séropositivité maternelle au VIH sur les constructions familiales et sur l’environnement relationnel de l’enfant en période périnatale », par N. Trocmé, M.-F. Courcoux, M.-D. Tabone, G. Leverger et C. Dollfus, in Archives de pédiatrie, vol. 20, 2013 – Consultable en ligne sur
(2) En ce qui les concerne, 38 % des mères avaient appris leur séropositivité lors de cette grossesse ou à l’accouchement.