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Accompagner vers la vie les mères séropositives

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Grâce à l’évolution des traitements, mettre au monde, en France, un enfant en bonne santé quand on est porteuse du VIH est devenu la règle. Nombre de familles ont néanmoins besoin de soutien pour tenir en bride les difficultés de tous ordres auxquelles elles sont confrontées et remplir au mieux leur rôle de parent.

Il y a 30 ans, les diagnostics de séropositivité valaient arrêts de mort. Voire de double mort quand il s’agissait d’une femme enceinte : mort pour la future mère, mort aussi pour l’enfant qu’elle portait. Aujourd’hui, les trithérapies ont radicalement transformé l’espérance et la qualité de vie des personnes concernées. Elles ont aussi « révolutionné le désir d’enfant », souligne Jacqueline Dhieux, présidente de l’association Sol en si (Solidarité enfants sida) implantée à Bobigny (Seine-Saint-Denis) et à Marseille, qui accompagne depuis 1990 des enfants et leurs parents touchés par le VIH (1). De fait, en France, il est désormais ex­ceptionnel pour les femmes traitées pendant leur grossesse de mettre au monde un enfant séropositif (voir enca­dré ci-dessous). Et si tel est le cas, ou bien dans celui d’adolescents ultérieurement contaminés, l’efficacité de la prise en charge thérapeutique permet aux jeunes porteurs du virus de faire des projets d’avenir. Par exemple, celui de devenir à leur tour parents : les premières générations de jeunes femmes nées avec le VIH et suivies depuis l’enfance ont des enfants non infectés et qui se portent bien (2). Pour autant, il reste angoissant de devenir mère quand on est séropositive. Plusieurs associations s’emploient à soutenir les femmes qui sont dans cette situation. Il s’agit essentiellement de migrantes originaires d’Afrique subsaharienne, qui cumulent fragilité socio-économique et isolement.

« Les femmes qui n’ont pas de problématique sociale ne viennent pas vers les associations. Elles sont suivies dans les files actives hospitalières, ont des copines et un compagnon informés de leur séropositivité et évoluent dans un environ­nement où le VIH n’est pas tabou », fait observer Hortense Ngaleu, coordinatrice du pôle « familles » de Sol en si. Ce sont quasi exclusivement des futures mères en situation de survie, le plus souvent des femmes seules, qui sont accueillies et épaulées par le milieu associatif spécialisé. Elles y ont été orientées par les services sociaux, les hôpitaux ou d’autres associations. Pour ce public, la précarité constitue le handicap majeur, la maladie passe au second plan. « Le problème numéro un est le logement », explique Diane Caba, assistante de service social à l’association Ikambéré – ou « maison accueillante » en langue du Rwanda – créée à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en 1974 (3).

« Ces femmes sont hébergées par des personnes qui ont bien voulu les accueillir une semaine ou un mois, selon la durée de leur visa et, pour la plupart d’entre elles, elles découvrent leur pathologie en France. Elles se sentent obligées de rester pour se faire soigner, mais ne peuvent pas le dire à leurs logeurs. Elles partent donc de chez eux et se retrouvent à la rue. » Ces futures mères sans papiers et sans aide médicale – il faut un minimum de trois mois de résidence en France pour obtenir l’AME (aide médicale de l’Etat) – viennent tous les jours à Ikambéré. Elles peuvent y manger, bénéficient de titres de transport et sont accompagnées à l’hôpital par les médiatrices de santé de l’association. Pour le logement, « on sollicite le 115, mais ce sont des hébergements à droite et à gauche et les femmes sont fatiguées, alors il nous arrive de financer quelques nuits, voire un mois, d’hôtel, le temps que les futures mères reprennent des forces. Ultérieurement, on pourra demander un appartement de coordination thérapeutique », ajoute Diane Caba. Elle précise que l’association gère, de son côté, deux appartements meublés pouvant chacun accueillir deux personnes – 20 femmes en ont bénéficié depuis leur mise en place en 2007.

LA PEUR DE PARLER

Le système de santé est complexe, les démarches administratives compliquées, et il est d’autant plus difficile d’accéder à des droits ou services qu’un obstacle central, pour les futures mères, est la peur d’avoir à dire leur séropositivité. « Croyant que toutes les questions qui leur seront posées ont pour but la “révélation” de leur maladie, les intéressées n’osent pas solliciter les services de PMI [protection maternelle et infantile], les crèches ou d’autres organismes qui leur seraient utiles », relève Valérie Bourdin, directrice de l’ALS (Association de lutte contre le sida), créée à Lyon en 1985.

Les femmes craignent souvent, aussi, le regard des professionnels. « Il y a à la fois les projections sur les soignants et les travailleurs sociaux des futures mères, qui les voient comme des instances surmoïques, et la réalité de certaines réactions de colère ou de déception que les professionnels peuvent avoir devant le projet d’enfant de femmes séropositives, souligne Florence Buttin, psychologue à Sol en si. Nous devons être plus sensibles à certains écueils nés de nos comportements afin que les femmes ne se sentent pas empêchées de parler, ce qui permettrait des prises en charge plus rapides. » Des prises en charge de droit commun, car l’objectif des associations n’est évidemment pas de se substituer aux institutions classiques. « On est une passerelle, un espace intermédiaire pour un suivi médical et social de la personne, dont on connaît la complexité de la situation car on connaît sa pathologie », précise Valérie Bourdin. Une connaissance mise à profit, le cas échéant, pour dédramatiser les choses. Les familles ont tendance à attribuer toutes leurs difficultés au VIH, parce qu’apprendre sa séropositivité est une terrible souffrance – et que parfois, aussi, la pathologie, est une forme de reconnaissance permettant d’avoir un statut. « Mais l’ensemble des problèmes rencontrés n’est pas lié à la santé. Pour trouver un emploi, par exemple, on peut avoir besoin de se former, explique Hortense Ngaleu. Nous avons également ce rôle-là de mettre le doigt sur des problématiques réelles. Ces femmes ont des compétences et des savoir-faire, on sait qu’elles vont réussir, mais il faut les revaloriser pour qu’elles recouvrent leur estime de soi. »

De fait, au-delà des besoins matériels qui les conduisent vers les structures associatives spécialisées, les futures mères sont très souvent en grande détresse psychologique. « L’annonce et le vécu du VIH confrontent deux logiques, explique Florence Buttin. La logique rationnelle et scientifique du monde médical affirmant que l’enfant à naître ne court pas de risques si les femmes sont bien suivies, et la logique de la vie psychique des patientes, empreinte de représentations culturelles et de fantasmes qui associent le VIH et la mort. » Les angoisses des futures mères sont démultipliées par l’isolement. « Les pères ne sont pas présents soit parce qu’ils n’ont pas voulu la grossesse, soit parce qu’ils sont partis à l’annonce de la séropositivité, soit parce qu’ils avaient déjà un foyer familial », ajoute la clinicienne, qui propose un étayage psychologique aux intéressées par le biais d’entretiens individuels et d’un groupe de parole mensuel. Ce dernier constitue pour certaines femmes le seul lieu où elles se permettent d’aborder le sujet du VIH.

« L’annonce de la séropositivité fragilise la maternité, mais c’est néanmoins la grossesse qui rend cette annonce possible et qui empêche l’effondrement », estime Stéphane Weiler, psychologue à Dessine-moi un mouton, association parisienne qui intervient depuis 23 ans dans le champ de la périnatalité et des relations parents-enfants. Autrement dit, l’enfant à naître est à la fois un accusateur, parce que c’est lui qui vient révéler la maladie, et un sauveur, car grâce à lui sa mère est au courant de sa pathologie et peut se soigner. Mais cet enfant, en ce qui le concerne personnellement, quelle est sa juste place ? « Un travail d’accompagnement et de soutien à la parentalité des mères séropositives est fondamental pour qu’elles ne s’enferment pas dans le secret du VIH et, surtout, n’y enferment pas leurs enfants », précise Stéphane Weiler.

Il peut y avoir plus ou moins de réticences pour le parent à parler du VIH avec son enfant. Les professionnels de Dessine-moi un mouton observent da­vantage de difficultés chez les mères dont l’enfant n’a pas été contaminé (4). Elles s’imaginent parfois qu’elles peuvent lui cacher tout ce qui a trait à leur séropositivité. Cela peut aller jusqu’au déni, certains parents ne dissimulant pas grand chose à l’enfant – c’est par exemple lui qui est chargé d’aller chercher leurs médicaments à la pharmacie –, tout en lui demandant implicitement de faire comme s’il ne savait rien. « Cela crée chez l’intéressé de l’angoisse et de l’interdit de penser, avec éventuellement des conséquences sur sa scolarité », commente Cyrille Moulin, coordinateur des programmes de Dessine-moi un mouton. On pourrait imaginer que les parents d’un enfant séropositif parlent plus facilement du VIH avec lui du fait qu’il a des consultations médicales et un traitement, mais cette facilité n’est qu’apparente : le dialogue se referme en dehors de l’hôpital. Interrogée pour savoir si elle évoque sa maladie avec sa maman, une fillette séropositive d’une dizaine d’années répond : « non, elle ne veut pas me le dire car je ne suis pas assez grande » (5). Une autre précise que sa mère attend également qu’elle soit plus âgée pour aborder le sujet avec elle « parce que c’est un petit peu dur à expliquer, parce que sinon ça va me choquer ».

Des chiffres très encourageants

On compte environ 1 500 naissances d’enfants de mères séropositives chaque année.

→ Près de 80 % des femmes séropositives qui accouchent en France sont issues d’Afrique subsaharienne. Ces migrantes sont beaucoup plus nombreuses que les femmes nées en France à avoir découvert leur séropositivité pendant la grossesse (25 % contre 11 %).

→ 40 % des femmes enceintes séropositives vivent seules, parmi lesquelles 22 % n’ont pas d’activité professionnelle.

→ 98 % des femmes enceintes séropositives ont eu un traitement par multithérapie durant leur grossesse en 2011.

→ Moins de 0,5 % des enfants dont les mères ont été prises en charge naissent infectés (contre 20 % en 1989-1990, quand il y avait uniquement un traitement par monothérapie).

→ 74 % des femmes enceintes connaissant leur séropositivité attendent leur 2e ou 3e enfant – une proportion qui a beaucoup augmenté –, 26 % attendent le premier. Les mères hésitent en effet de moins en moins à avoir plusieurs enfants après avoir mis au monde leur aîné qui, le plus souvent, n’est pas infecté.

Source : Enquête périnatale française (EPF) incluant environ 70 % des femmes séropositives ayant accouché en France, présentées le 31 mai au colloque de Sol en si sur la parentalité face au VIH par Josiane Warszawski, médecin épidémiologiste, qui coordonne l’EPF – www.solensi.org.

Faire face à l’annonce

Il est traumatisant d’apprendre sa séropositivité au moment de donner la vie. C’est pour venir en aide aux futures mères dans ce cas qu’est né, il y a six ans, le projet Grandes sœurs. Fruit d’un partenariat entre l’hôpital Louis-Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine) et l’association Maghreb Afrique Comité des familles pour survivre au sida, l’initiative s’est étendue depuis à quatre autres hôpitaux franciliens (6). « Quand ces établissements ont une patiente enceinte qui apprend sa séropositivité, ils lui proposent de la mettre en relation avec une Grande sœur du Comité des familles », explique Eva Sommerlatte, directrice de l’association (7). L’idée est que des mères séropositives ayant connu la même situation puissent aider, le plus souvent par téléphone, des femmes qui sont sous le choc de l’annonce et témoigner auprès d’elles qu’il est possible de se soigner, d’élever ses enfants et d’avoir une vie de couple épanouie. « Les médecins ont beau dire que tout ira bien si on prend ses traitements, le message ne passe pas, alors que l’exemple d’une autre maman en est la preuve vivante », commente Eva Sommerlatte. Une vingtaine de Grandes sœurs, dont les connaissances ont été supervisées par les médecins de la maternité et du service d’infectiologie de Louis-Mourier, accompagne bénévolement entre 10 et 15 femmes chaque année. Une fois leur grossesse menée à terme, certaines parmi ces dernières deviennent Grandes sœurs à leur tour. Ce « statut » était au départ tout à fait informel. Depuis la création de l’agence régionale de santé, la formation délivrée aux Grandes sœurs par l’équipe de l’hôpital Louis-Mourier donne lieu à un certificat. D’un point de vue médical, il s’agit de garantir que les intéressées connaissent l’importance de la bonne observance des traitements pendant la grossesse et savent quelle est la conduite à tenir en cas de complication, sans pour autant se substituer aux soignants. Les médecins veulent aussi s’assurer que les Grandes sœurs ont bien compris leur rôle et ne cherchent pas, par exemple, à avoir une influence religieuse sur les femmes en situation de faiblesse qu’ils leur adressent. De leur côté, celles-ci se sont dotées d’une charte dans laquelle elles s’engagent à une confidentialité absolue et à informer leurs cadettes de manière à leur permettre de prendre leurs propres décisions.

Notes

(1) Lors d’un colloque organisé par Sol en si le 31 mai à Paris sur l’accompagnement médical et psychologique à la parentalité face au VIH – Sol en si : 10, rue Duvergier – 75019 Paris – Tél. 01 44 52 78 72 – www.solensi.org.

(2) « Grossesses et maternités chez les femmes séropositives au VIH suivies depuis l’enfance » – Intervention du Dr Catherine Dollfus au colloque « Adolescence et VIH » organisé le 13 avril 2012 par la coordination régionale de lutte contre le VIH d’Ile-de-France – Disponible sur www.corevih-idfcentre.org, rubrique « Congrès-formations ».

(3) Voir le reportage sur Ikambéré dans les ASH n° 2709 du 13-05-11, p. 36.

(4) Voir actes du Ier colloque « Enfance et VIH » organisé par Sol en si à Paris le 7 octobre 2011 – Disponibles sur www.solensi.org.

(5) Propos rapportés par l’équipe AIDES du Gard.

(6) L’hôpital Delafontaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), l’hôpital Tenon dans le XXe arrondissement de Paris et l’hôpital d’Argenteuil (Val-d’Oise).

(7) Voir le site de l’association papamamanbebe.net.

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