C’est l’une des curiosités du budget 2014 pour la justice (voir ce numéro, page 47) : avant que ne démarre, le 15 octobre, l’examen du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, la garde des Sceaux a décidé de supprimer la disposition qui réforme le barème de l’aide juridictionnelle et diminue son montant dans la plupart des barreaux. Face à la grogne des avocats et des magistrats, Christiane Taubira a annoncé le 4 octobre, lors de l’assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux, le « report » de la mesure, en attendant l’adoption d’un système pérenne de financement de l’aide juridictionnelle. Les syndicats, toutefois vigilants sur la concertation engagée, se félicitent de ce recul, tandis que la FNATH (L’association des accidentés de la vie) souhaiterait que ce débat soit élargi à la question globale de l’accès au droit des personnes démunies. Elle réclame, en outre, un financement adapté pour les associations qui exercent auprès de ces publics des missions d’assistance et de représentation.
Les attentes étaient, par ailleurs, grandes pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), au cœur de la réforme pénale présentée en conseil des ministres le 9 octobre (voir ce numéro, page 9) et qui doit être examinée au Parlement à partir du 8 avril 2014. Certes, la déception liée aux créations de poste (300 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation en 2014) a été atténuée par l’annonce, par le Premier ministre, de « 1 000 postes supplémentaires pour la probation » d’ici à 2017. Reste l’inquiétude des professionnels sur leur charge de travail (entre 130 et 250 dossiers par agent), alors que le Premier ministre a annoncé, il y a plusieurs semaines, que ce ratio devrait être ramené à 40 dossiers par agent dans le cadre de la réforme pénale. Pour réaliser cet objectif, « il faudrait doubler le corps [quelque 3 000 agents aujourd’hui], ont ensemble alerté, le 1er octobre, la CGT pénitentiaire, le Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (Snepap)-FSU et la CFDT Interco-justice. A moins, et c’est ce qui est sous-tendu dans certaines prises de position ministérielles, que ce ratio ne vise que les personnels chargés du suivi des futures personnes placées sous contrainte pénale. » Soit, selon les estimations de la chancellerie fournies aux syndicats, entre 15 000 et 25 000 personnes, alors que plus de 250 000 personnes sont sous main de justice.
Autre point noir, la stabilité du budget de fonctionnement des SPIP, alors que les syndicats témoignent d’une situation matérielle alarmante. « Plusieurs services, depuis le mois d’août, ont épuisé leur budget de fonctionnement de 2013, explique Olivier Caquineau, le nouveau secrétaire général du Snepap-FSU. Ils n’ont plus rien pour les frais de déplacement ou les fournitures. » L’absence de création de postes administratifs et de psychologues contredit, en outre, l’objectif de pluridisciplinarité des services. « Une vingtaine de psychologues avaient été recrutés en 2013, aucun recrutement n’est prévu pour 2014 alors qu’une centaine devait être embauchés sur trois ans dans le cadre de la loi de programmation de l’exécution des peines de mars 2012 », ajoute-t-il.
Pour les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la ligne n’est pas non plus très claire. Alors que le sénateur Jean-Pierre Michel (PS) doit conclure sa mission d’évaluation du fonctionnement des services d’ici la fin l’année, le « budget n’est pas bon et il est franchement mauvais pour sa partie “fonctionnement” », déplore Alain Dru, secrétaire général de la CGT-PJJ. Le total des crédits de paiement dévolus à la PJJ diminue (de 789 à 785 millions d’euros) et le budget de fonctionnement de cette administration passe de 321 à 307 millions d’euros. Un montant de surcroît « amputé de 7 % de réserves et autres gels », ajoute Alain Dru. La circonspection est d’autant plus grande, abonde Michel Faujour, co-secrétaire national du SNPES (Syndicat national des personnels de l’éducation et du social)-PJJ-FSU, que des consignes de restriction des dépenses avaient déjà été données cette année…
Quant aux emplois, poursuit ce dernier, seules 78 créations sont annoncées, en majorité pour les centres éducatifs fermés (CEF) et les actions menées pour la santé des mineurs. Pas vraiment de quoi réussir à réduire le délai de prise en charge des mineurs délinquants à cinq jours, un délai qui était encore de dix jours en 2013. Outre l’ouverture de deux nouveaux CEF, la création de quatre établissements de placement collectif est annoncée. « Or trois d’entre eux sont d’anciens établissements qui avaient été fermés pour travaux !, relève Michel Faujour. Cela ne va pas vraiment dans le sens d’un rééquilibrage… »