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Savoir faire face au quotidien

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Depuis douze ans, un service d’accompagnement à la vie sociale réservé aux personnes âgées déficientes intellectuelles œuvre à Paris. Il offre un suivi à la carte qui favorise l’autonomie et le maintien à domicile tout en assurant la continuité du lien social.

« Mais ton robinet, il coule en conti­nu ! » s’exclame Malory Brilland. L’assistante sociale vient juste de terminer la mise à jour du cahier de comptes de Véronique Virey, 68 ? ans, suivie par le service d’accompagnement pour personnes handicapées mentales âgées (Saphma), dans le XVe arrondissement parisien (1). Le chèque pour les impôts est sous enveloppe, un rendez-vous est pris pour que les deux femmes aillent ensemble faire refaire le titre de transport de Véronique Virey, et il a été décidé que celle-ci se débrouillera seule pour renouveler sa carte d’accès au restaurant social. Juste avant de quitter le studio, l’assistante sociale a cependant décidé de jeter un coup d’œil à cette « petite fuite » que la retraitée lui indiquait avoir constatée depuis son retour de vacances, il y a quelques jours. « Euh, oui, une petite fuite, quoi ! » minore Véronique. Malory Brilland contacte aussitôt son chef de service, qui la met en relation avec un artisan plombier du quartier, habitué à intervenir auprès des usagers du Saphma.

LE RISQUE D’ISOLEMENT ET D’UNE PERTE DE REPÈRES

Ce service a été créé il y a douze ans par Vie et Avenir, une association parisienne qui avait déjà mis en place un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) pour des adultes déficients actifs résidant en foyer, en habitat individuel ou en famille. « Mais ces adultes avaient vieilli et la question de la retraite et d’un autre type d’accompagnement se posait », explique Sébastien Faure, chef de service au Saphma. A l’époque, l’asso­ciation profite d’une donation pour acquérir les locaux qui deviendront ceux du Saphma et pour élaborer un projet inspiré d’un service semblable créé par l’association Les Papillons blancs de Paris. Il s’agissait de favoriser le maintien à domicile de ces personnes handicapées vieillissantes en prenant la suite du SAVS et en maintenant une vie sociale étoffée malgré la retraite, et ce, grâce à un financement de la direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé (DASES) de la Ville de Paris. « Pour ceux qui travaillaient en ESAT [établissement et service d’aide par le travail], le risque était qu’ils perdent leurs repères et qu’ils s’isolent, poursuit le responsable. L’activité professionnelle ne rythme plus leurs journées, ils ne voient plus leurs collègues, n’ont plus d’objectifs de sorties… »

Parmi les 31 bénéficiaires actuels du Saphma, 18 sont d’abord passés par le SAVS géré par Vie et Avenir, installé à quelques pas du service. Les autres ont été adressés à l’équipe, entre autres, par des ESAT, des assistantes sociales de secteur, des curateurs. « J’ai orienté vers le Saphma plusieurs majeurs protégés, explique Catherine Dufour Tisseuil, mandataire judiciaire à la protection des majeurs. L’avantage est que je suis des adultes qui passent d’un des services de Vie et Avenir à l’autre, sans rupture dans le suivi et la coordination. Cette organisation est très pertinente. » Tous doivent cependant faire l’objet d’une orientation par la maison départementale des personnes handicapées. Les deux tiers des usagers du service habitent le XVe arrondissement, d’autres proviennent des quartiers de l’est et du centre de la capitale. L’admission dans le service se fait de manière progressive. « Nous essayons toujours de préparer l’arrivée des personnes en amont de leur prise de retraite », indique Sébastien Faure. Pour celles qui travaillent en ESAT, leur employeur peut les libérer un après-midi par semaine afin qu’elles participent à quelques-unes des activités du Saphma. « On commence aussi à organiser des rencontres au domicile avant l’arrivée dans le service, afin d’apprendre à se connaître », complète Malory Brilland. Une période d’évaluation de trois mois renouvelables est prévue, comprenant des rencontres avec deux référents et une participation aux activités collectives afin de mesurer la motivation de la personne.

Bien que les quatre travailleuses sociales du Saphma aient des formations différentes – l’une est conseillère en économie sociale et familiale, une autre assistante sociale, une troisième éducatrice spécialisée et la quatrième monitrice-éducatrice –, toutes assurent les mêmes missions. Une à deux fois par semaine, elles se déplacent au domicile des usagers pour les accompagner dans des tâches administratives et l’organisation du quotidien. Parmi eux, 12 sont propriétaires, 15 locataires, 2 vivent encore avec un de leurs parents (malgré une moyenne d’âge de 62 ans) et le dernier habite en résidence services. Jacqueline Herbelin, qui habite dans le Xe arrondissement, vit ainsi dans l’appartement qu’elle a partagé depuis toujours avec ses parents. Avant qu’ils ne décèdent. La jeune retraitée se retrouve donc seule depuis deux ans dans un trois-pièces dit « loyer 48 », sans salle de bains, distraite par la seule compagnie de son chat et de sa télévision. Carole Bouet, éducatrice spécialisée, lui rend visite chaque lundi. Le projet personnel de Jacqueline Herbelin est particulièrement orienté vers la nutrition, même si un dossier PACT a également été constitué afin que des travaux soient réalisés dans son appartement. Car depuis qu’elle vit seule, Jacqueline ne se nourrit pas de manière équilibrée. « Que vas-tu manger ce soir ? » lui demande Carole Bouet. « Du rôti et puis du pâté de tête. » « Tu n’as pas de légumes ? relance la travailleuse sociale. Est-ce que tu peux me citer des légumes ? »

DES PROBLÈMES SOUVENT LIÉS À L’ALIMENTATION

Parmi les adultes suivis par le Saphma, les habitudes de vie sont souvent à l’origine de problèmes de santé. Neuf d’entre eux souffrent ainsi de surpoids, parmi lesquels six sont confrontés à une véritable obésité. Les problèmes liés à l’alimentation concernent d’ailleurs une grande partie des bénéficiaires. « Auparavant, la plupart mangeaient au restaurant de leur ESAT ou de leur lieu de travail, voire en famille, observe Sébastien Faure. Le déjeuner était à la fois un moment de plaisir, de sociabilité, et il permettait en général d’avoir au moins un repas équilibré par jour. » Une fois retraités, les adultes handicapés doivent gérer leurs courses alimentaires et faire les bons choix pour assurer leur apport calorique et la qualité nutritionnelle. Et surtout, l’absence de repas en commun renforce le risque d’isolement. Pour remédier à ce problème, le Saphma incite donc les bénéficiaires qui remplissent les conditions nécessaires à s’inscrire auprès des restaurants Emeraude : 15 d’entre eux ont fait ce choix en 2012. Ces structures, gérées par le centre d’action sociale de la Ville de Paris, sont ouvertes aux Parisiens de plus de 65 ? ans (ou de 60 ? ans en cas d’inaptitude au travail) et leur permettent de déjeuner à des tarifs minimes.

Carole Bouet passe ensuite en revue avec Jacqueline Herbelin les nombreux courriers administratifs que celle-ci a reçus pendant les vacances ; une grande première, pour cette retraitée qui n’avait jamais quitté Paris. Il faut ensuite remplir le cahier de comptes – un outil indispensable pour s’assurer qu’un usager n’est pas victime d’abus de la part de son entourage ou de démarcheurs en tout genre – pour réfléchir aux activités auxquelles Jacqueline souhaite participer cette année, puis évoquer les rendez-vous médicaux ou paramédicaux dont elle aurait encore besoin. Car l’une des missions du Saphma est d’améliorer ­l’accès aux soins des bénéficiaires, en particulier de ceux qui vivaient auparavant seuls ou en famille et qui n’ont pas toujours eu un suivi médical régulier. « Nous les accompa­gnons dans leurs rendez-vous médicaux, même si nous essayons de ne pas brusquer les nouveaux arrivants, précise Carole Bouet. Les gens ont leurs habitudes, ils ont vécu d’une certaine façon et avec parfois des limitations depuis toujours, il faut donc s’adapter à leur rythme. »

AMÉLIORER L’ACCÈS AUX SOINS

Plus de 200 rendez-vous médicaux ainsi que 9 hospitalisations ont été accompagnés en 2012. « Nos visites quotidiennes à l’hôpital ont permis de rassurer les adultes concernés, car nous avons contribué à répondre à leurs interrogations, se félicite Sébastien Faure. Dans le même temps, notre présence apporte aux soignants une vision plus globale du patient. » Du temps et l’instauration d’une réelle confiance sont nécessaires pour que les usagers du service confient leurs maux les plus intimes aux travailleuses sociales. « Parmi nos adultes, 14 présentent des problèmes urologiques, liés à des pathologies de la prostate ou à des descentes d’organe. Ils ne vont pas le dire directement, mais on va constater qu’ils ne viennent plus aux activités ou qu’ils ne se déplacent plus pour manger au restaurant… » Admise au Saphma il y a dix-huit mois, Jacqueline Herbelin a, pour sa part, déjà pu reprendre un suivi ophtalmologique et podologique. « Est-ce qu’on va retourner chez le docteur des oreilles également ? » questionne l’éducatrice. En effet, lors d’une première visite chez l’oto-rhino-laryngologiste, il avait été possible de détecter la présence de bouchons de cire considérables qui affectaient l’audition de la sexagénaire.

Chaque travailleuse sociale prend en charge neuf à dix bénéficiaires. « Il arrive que nous soyons deux pour une même personne à accompagner, précise Malory Brilland, lorsqu’apparaît le besoin de nombreuses visites à domicile ou un investissement trop important dans la relation. » Et dans les cas où le nombre de personnes suivies excède les 31 places financées par la DASES – ce qui se produit parfois en fonction des arrivées et des départs –, le chef de service se charge alors de quelques accompagnements. Comme cet après-midi, où il se rend chez François Meynet-Piret, 64 ans, qui a emménagé dans une résidence services depuis quatre mois. Ce monsieur a travaillé toute sa vie en milieu ordinaire et vivait auparavant chez sa mère, mais celle-ci est désormais âgée et malade. Dans son petit studio un peu poussiéreux, il est sommairement installé. Dans son placard de cuisine, un unique couvert… « Tu sais que tu pourrais recevoir des amis, si tu veux, lui explique le professionnel, mais il te faudrait quelque chose pour offrir à boire et quelques gâteaux. » Pour le retraité, c’est tout un apprentissage de l’autonomie qu’il faut mettre en place. « C’est difficile de tout faire par moi-même, reconnaît-il. Heureusement, mon éducatrice m’a montré comment utiliser le lave-linge, me faire à manger. Elle me conseille aussi pour mon budget. Au début, j’étais à découvert de 1 500 € tous les mois. » Si la moitié des usagers du Saphma sont sous mesure de protection, ce n’est pas le cas de François Meynet-Piret. Pourtant, ce jour-là, quand Sébastien Faure ouvre le réfrigérateur, il est quasiment vide. François déjeune chaque midi au restaurant de la résidence. « Et comme je vais chez ma mère chaque jour, détaille-t-il, je prends une soupe et un yaourt que je ramène pour mon dîner, ça me suffit. »

Comme lui, 16 des bénéficiaires du Saphma ont encore un parent très âgé en vie avec lequel ils entretiennent des contacts plus ou moins fréquents. « L’année dernière, nous avons organisé une réunion, une sorte d’espace de parole pour que nos bénéficiaires puissent évoquer leurs situations, parler de leurs appréhensions, des relations avec ces pères ou mères qui deviennent dépendants. » Les travailleuses sociales du Saphma sont même intervenues pour que quelques-uns de ces parents soient placés sous mesure de protection. « Nos adultes ont exprimé l’envie que ce groupe soit reconstitué cette année, indique Sébastien Faure. Cela leur permet de se connaître, d’échanger sur leur vécu, même en dehors du groupe. » En 2012, deux des bénéficiaires ont été soutenus de façon plus intensive durant des périodes d’hospitalisation de leur parent. « Notre présence plus fréquente les a aidés à faire face au quotidien, à s’organiser malgré cette absence dans leur cadre de vie. »

Nombre de bénéficiaires du Saphma reçoivent également d’autres formes de soutien qui contribuent à leur maintien à domicile. Ainsi, 15 d’entre eux recourent aux services d’une aide ménagère ou d’une auxiliaire de vie, 4 bénéficient d’une aide à la toilette et 5 reçoivent la visite quotidienne d’une infirmière libérale. « Mais le turn-over de ces professionnelles est une réelle difficulté, remarque le chef de service. Même si elles font très bien leur travail, il est difficile de trouver des intervenants extérieurs qui comprennent bien la déficience intellectuelle et les spécificités de nos adultes »

Chacune des travailleuses sociales anime également l’un des ateliers qui occupent le local tous les après-midi et certaines matinées. Le lundi, par exemple, c’est l’atelier cuisine de Carole Bouet, au cours duquel les usagers font les courses, préparent le déjeuner et le partagent ensemble. L’occasion, conviviale, de revenir sur quelques notions d’équilibre nutritionnel. Le vendredi, Malory Brilland a mis en place une séance hebdomadaire de gym douce. « Nous avions déjà beaucoup d’ateliers d’expression artistique, et avions découvert que beaucoup de nos usagers avaient des diffi­cultés à coordonner leurs gestes. Alors, comme j’ai déjà donné des cours de danse à des enfants, je me suis lancée dans cette activité, avec également les conseils de notre ergothérapeute », raconte l’assistante sociale. Le reste de la semaine, se déroulent des activités de théâtre, de décoration, de scrapbooking, de mosaïque, de chant, etc. « Quatre ou cinq bénéficiaires y viennent tous les jours, précise Sébastien Faure. Et une quinzaine, plusieurs fois par semaine. Mais deux personnes ne viennent jamais, parce qu’elles considèrent que la retraite, c’est la fin du handicap, et qu’elles craignent de se sentir stigmatisées… »

UN VOYAGE AVANT LES FÊTES DE FIN D’ANNÉE

Le Saphma est également ouvert le samedi. « Nous préparons ensemble le repas de midi et, l’après-midi, une activité est organisée, détaille Malory ­Brilland. Certains passent juste pour dire bonjour et prendre un café. » Des sorties loisirs sont également proposées, tout particulièrement l’été. Durant cette période, les membres de l’équipe comme les bénéficiaires étant nombreux à partir en vacances, les trois services de Vie et Avenir se regroupent dans les mêmes locaux et se mélangent pour des acti­vités ludiques : pétanque, sortie dans un parc d’attractions, ballade à Paris-Plage, etc. Enfin, chaque année, un voyage est proposé pour 12 à 18 d’entre eux. L’année dernière, le séjour s’est déroulé en Egypte. Cette année, ce sera peut-être en Grèce. « Il a lieu fin octobre-début novembre, au moment où arrive déjà la dépression saisonnière et que se profilent les fêtes, qui sont loin d’être un moment de joie pour ceux qui n’ont plus de famille, précise le responsable. L’idée est de leur proposer un voyage au soleil. » Bien sûr, tous n’ont pas les moyens de s’offrir l’expédition, « mais nous n’avons jamais dû refuser ce voyage à quelqu’un. »

L’équipe du Saphma se montre plutôt satisfaite du service qu’elle apporte à ses bénéficiaires. Comme pour Jacqueline Herbelin qui, en six mois, a pu constituer un dossier PACT, organiser son premier départ en vacances, recréer des liens avec d’anciennes collègues qu’elle n’avait plus vues depuis deux ans. Cependant, le suivi étant organisé au long cours, sur la base de projets individualisés, il est difficile d’évaluer précisément la portée de l’action. Chargée de la protection des majeurs, Catherine Dufour Tisseuil constate néanmoins comment évoluent les personnes à qui elle a recommandé le Saphma : « Je vois la différence de compor­tement et d’attitude, les majeurs protégés sont moins impressionnés quand ils viennent me voir parce que les travailleuses sociales leur ont tout expliqué ou réexpliqué au besoin. Et puis nous faisons le point régulièrement en parfaite collaboration, c’est vraiment un grand confort de travail pour moi. »

Pour aller plus loin, l’équipe du Saphma souhaiterait disposer d’un poste supplémentaire pour assurer un lien permanent avec le SAVS de Vie et Avenir. « Un tiers des adultes suivis y ont entre 50 et 60 ans et vont partir très prochainement en retraite, conclut Sébastien Faure. Mais malheureusement, l’avancée en âge des déficients intellectuels n’est pas une priorité pour les pouvoirs publics. »

Notes

(1) Saphma : 204, rue Lecourbe – 75015 Paris – vieetavenir@wanadoo.fr.

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