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« Une ségrégation s’est renforcée entre la location dans le privé et l’accession à la propriété »

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Le logement pèse lourd dans le budget de nombreux Français. Mais ce poids n’est pas équitablement réparti. Comparativement à leurs revenus, les jeunes et les ménages modestes en pâtissent davantage que les ménages âgés et aisés. C’est l’un des enseignements de la recherche sur les inégalités liées au logement publiée par la sociologue Fanny Bugeja-Bloch.
Les inégalités de logement sont-elles plus fortes aujourd’hui qu’il y a vingt ans ?

C’est effectivement le cas, sachant que mon travail a porté sur les années 1985 à 2005. A l’origine, mon hypothèse était que la vie des jeunes adultes d’aujourd’hui, surtout ceux qui vivent en région parisienne, a été chamboulée par le coût élevé du logement, à tel point que leur mode de vie s’en est trouvé modifié par rapport à celui de leurs parents au même âge. J’ai donc voulu savoir s’il s’agissait d’un phénomène nouveau. Puis, par extension, j’ai voulu utiliser cette problématique du logement pour analyser les clivages de la société française, non seulement en termes générationnels, mais aussi de classes sociales et de niveau de vie.

Quelles sont les inégalités liées aux logements ?

Elles passent d’abord par le coût du logement. Les jeunes adultes et les ménages les plus modestes doivent faire face à une contrainte budgétaire inédite résultant en partie de leur incapacité à devenir propriétaires. Pour mesurer cette contrainte, j’ai utilisé un indicateur : le poids net d’une pièce d’habitation par personne (PNPP). En 1985, ce PNPP était quasiment identique pour toutes les catégories de revenus, rapporté à leur budget. En clair, que l’on soit pauvre ou riche, disposer d’une pièce d’habitation représentait alors la même part du budget d’un ménage. Vingt ans plus tard, il est devenu beaucoup plus onéreux, proportionnellement à son budget, de se loger lorsqu’on est pauvre. Cela peut sembler évident, mais c’est un phénomène nouveau. Ces inégalités, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne sont pas la conséquence de l’envolée des prix du logement. La preuve en est que ce phénomène n’existe pas en Grande-Bretagne, alors que les prix de l’immobilier y ont fortement augmenté. En France, les loyers ont suivi à peu près l’évolution des revenus. C’est donc bien la dégradation relative du niveau de vie des locataires qui est en cause. Et les premières victimes de cette paupérisation de la location dans le secteur privé sont les jeunes et les plus modestes. Des différences existent néanmoins selon les régions. En Ile-de-France, tout le monde doit faire un effort pour se loger. Le rôle clivant du logement est davantage marqué en province.

Les inégalités sont aussi liées au statut d’occupation du logement…

Déjà, ces statuts sont divers. On trouve les propriétaires endettés qui remboursent encore un prêt pour leur résidence principale, et ceux qui ne sont pas ou plus endettés. Quant aux locataires, ils se partagent entre ceux du parc social et ceux du parc privé. Or les nouvelles générations ont moins facilement accès au secteur social qu’au début des années 1980. Cela s’explique, entre autres, par la structure de leur ménage. Ils vivent souvent seuls et les logements sociaux sont plutôt conçus pour accueillir des familles. Les jeunes adultes sont donc poussés vers la location dans le secteur privé. En 1985, les 25-35 ans représentaient 35 % des locataires du parc privé. En 2005, ils étaient plus de 40 %. De l’autre côté de la pyramide des âges, les générations nées entre 1930 et 1950 représentent la majeure partie des propriétaires non endettés. C’est le cas de plus de 70 % d’entre eux, alors qu’ils n’étaient que 50 % au début des années 1980. La différence est énorme. Ce renforcement des inégalités de statut s’explique notamment par la logique patrimoniale de certaines politiques de logement. Le problème est que les jeunes adultes et les personnes modestes ont davantage des statuts professionnels précaires. Or, en France, l’accès au crédit immobilier, qui s’est fortement durci depuis 2008, repose sur la stabilité des revenus des emprunteurs. Ce qui n’est pas le cas au Royaume-Uni, où il s’agit d’un système hypothécaire avec une garantie forte sur le bien acheté. Les banquiers sont donc beaucoup moins regardants sur les revenus des acquéreurs. Une véritable ségrégation s’est donc renforcée, dans l’Hexagone, entre la location dans le parc privé et l’accession à la propriété, selon les niveaux de vie. Devenir propriétaire est de plus en plus un statut réservé aux ménages âgés et aisés.

Pourquoi une approche comparatiste entre la France et la Grande-Bretagne ?

La Grande-Bretagne est un pays libéral assez éloigné de la France. En même temps, les deux pays sont proches en ce qui concerne la croissance des prix du logement – même si elle a été un peu plus vive au Royaume-Uni – et la nature du parc immobilier. Voir ce qui se passe ailleurs permet d’élargir le champ de vision, de faire tomber les préjugés. La question du clivage générationnel fait-elle sens de la même manière de l’autre côté de la Manche ? La conception du parc social et des aides au logement est-elle la même ?

Et quelles différences observez-vous ?

Les inégalités générationnelles face au coût du logement n’existent pas en Grande-Bretagne, en revanche celles qui concernent le statut dans le logement y sont fortes. Au Royaume-Uni, la propriété est de très loin le statut préféré des ménages, qui sont souvent endettés à vie. Cela s’explique par l’utilisation intensive que les Britanniques font du crédit, mais aussi par la nécessité pour eux de capitaliser en vue de leur retraite. Ils n’hésitent donc pas, une fois un crédit remboursé, à en contracter un autre. En France, une fois le crédit immobilier remboursé, on n’en contracte en général pas d’autres. Autre différence : les aides au logement sont plus efficaces au Royaume-Uni car elles sont davantage ciblées vers les plus nécessiteux et sont surtout plus généreuses qu’en France. Elles permettent ainsi de faire réellement baisser la pression du logement sur le budget des catégories modestes. Chez nous, les aides au logement permettent de diminuer de 13 % la contrainte budgétaire du logement pour le quart des ménages les plus pauvres. En Grande-Bretagne, ce chiffre est de 40 %. La contrepartie est que, comme toute politique ciblée, ce modèle créé une catégorie institutionnelle avec un caractère très stigmatisant.

Quelles conséquences ont ces inégalités ?

En France, les jeunes et les catégories modestes sont aujourd’hui amenés à repenser, ou du moins à adapter, leurs modes de consommation. La hausse du coût du logement se fait au détriment d’autres dépenses – en premier lieu, les loisirs et le confort, et en particulier les activités culturelles, les vacances, le sport… Il y a vingt ans, le budget des jeunes se caractérisait par la primauté des loisirs et celui des personnes âgées par l’alimentation. On assiste actuellement à une inversion progressive de cette tendance. La consommation des jeunes ressemble de plus en plus à celle des ménages âgés des années 1980. Et du côté des populations plus âgées et plus aisées, une place centrale est désormais accordée à ces consommations de loisirs et de confort.

Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, en discussion, vous paraît-il de nature à réduire cette spirale des inégalités ?

L’encadrement des loyers dans les zones tendues me semble une mesure pertinente. Mais tout dépend de la fourchette de référence qui sera retenue au final. Le projet évoque, pour fixer le montant d’un loyer, une limite de 20 % par rapport à un loyer médian. Sera-ce suffisant ? Je ne sais pas. Le système de garantie universelle des loyers me paraît être également une étape indispensable. Cette assurance devrait permettre de sortir du système de cautionnement qui nécessite d’avoir des parents dont les revenus sont suffisants. La caution est en soi un facteur de reproduction sociale des inégalités dans le logement. Des parents pauvres et mal logés ont des enfants mal logés. Il faudrait aussi, pour réduire la pression du logement sur le budget des jeunes et des ménages modestes, développer le parc des logements très sociaux et intermédiaires. Enfin, comme tout le monde, j’avais en tête une conception très française de la hiérarchie des statuts d’occupation du logement allant de la location jusqu’à la propriété non endettée. Mais plus ça va, plus il me semble que revaloriser la location, qui facilite la mobilité, serait un meilleur système. Vouloir faire une France de propriétaires est une aberration. La priorité, c’est de loger tout le monde dans de bonnes conditions.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Fanny Bugeja-Bloch est maître de conférences en sociologie à l’université de Paris-Ouest Nanterre-La Défense et chercheuse au laboratoire Mosaïques qui en dépend, ainsi qu’au Laboratoire de sociologie quantitative (Centre de recherche en économie et statistique).

Elle publie Logement, la spirale des inégalités. Une nouvelle dimension de la fracture sociale et générationnelle (Ed. PUF, 2013).

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