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Gratification : le ton monte chez les étudiants et dans les centres de formation

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L’extension de l’obligation de la gratification entraîne de nouveaux désengagements de structures d’accueil. Alors que la grogne des étudiants monte dans les régions, l’Unaforis reprend l’initiative afin de proposer avec les acteurs des réponses adaptées.

Comme l’on pouvait s’y at­tendre avec le vote de la loi « Fioraso » relative à l’enseignement supérieur et à la recherche qui étend l’obligation de gratification à tous les secteurs privés et pu­blics (1), c’est une rentrée noire qu’effectuent les étudiants en travail social. Et le mouvement de mobilisation qu’ils avaient déclenché en 2008 dans la foulée de la parution du décret instaurant la mesure, semble bien repartir. « L’inquiétude grandit de jour en jour. Un nombre conséquent d’étudiants n’arrivent pas à trouver d’établissements prêts à les accueillir en stage », s’alarment les étudiants de l’Institut régional du travail social (IRTS) Poitou-Charentes, dans un communiqué de presse. Et de craindre que les élèves pénalisés « soient contraints à l’abandon pur et simple de leur formation ». Un collectif s’est créé à l’Institut du travail social de Reims et une pétition demandant la suspension de l’application de la loi « jusqu’à ce qu’une solution conve­nable pour tous soit trouvée » (2) a recueilli près de 700 signatures. Par ailleurs, sur le réseau social Facebook, un groupe – le Collectif étudiant concernant la gratification des stagiaires – s’est constitué afin de faire remonter les témoignages et de favoriser la coor­dination des initiatives.

Rassemblements et pétitions

Partout, dans les régions, la grogne monte. Des étudiants se rassemblent pour faire état de leurs inquiétudes et réfléchir à des modalités d’action : à Poitiers, ils ont rédigé un modèle de lettre afin que les élèves concernés puissent alerter leur député. En Bretagne, une pétition circule au sein des centres de formation. Dans le Limousin, une mobilisation était prévue le 3 octobre devant la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), tandis que le Collectif des travailleurs sociaux libres (3) appelle les étudiants à rejoindre le 8 octobre prochain à Paris la manifestation nationale « pour la reconnaissance et la promotion du travail social » qu’il a lancée avant l’été avec plusieurs organisations syndicales (4). « Blocage de la formation des éducateurs de jeunes enfants, nous y sommes ! », s’alarment, de leur côté, les formateurs et les pro­fessionnels réunis au sein de l’Aformeje (Association pour la formation au métier d’éducateur de jeunes enfants), qui demande que s’engage au plus vite « un véritable dialogue pour sortir les étudiants et les dispositifs de formation de l’impasse actuelle » (5).

C’est que l’étau se resserre. En étendant la gratification obligatoire des stages de plus de deux mois aux fonctions pu­bliques territoriale et hospitalière, la loi Fioraso a fermé la réserve de terrains d’accueil encore accessibles. Et privé par là même les établissements de formation de la soupape qui leur permettait de réorienter les demandes de stages vers ces secteurs, jusqu’ici exclus de l’obligation légale. « Pour les éducateurs de jeunes enfants, on avait déjà perdu les terrains des crèches parentales. Maintenant, les mairies commencent à se retirer en disant qu’elles n’ont pas le budget pour gratifier », explique Chantal Cornier, directrice générale de l’Institut de formation de travailleurs sociaux d’Echirolles (Isère). De même, « un certain nombre d’hôpitaux publics ont déjà signifié qu’ils ne prendraient pas de ­stagiaires faute d’assurance sur les financements », explique Olivier Cany, directeur général de l’Institut du travail social de Tours. Les éducateurs de jeunes enfants et, dans une moindre mesure, les assistants de service social sont les plus touchés par la loi Fioraso : outre la forte proportion de stages effectués dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière, ces filières accueillent une majorité d’étudiants en voie directe – les stagiaires de la formation continue ne sont en effet « pas gratifiables ».

L’extension du droit à la gratification, alors que la question de l’accompagnement financier n’est toujours pas réglée, apparaît donc comme un verrou supplémentaire à l’accès aux stages. Et si jusqu’ici les établissements de formation sont parvenus à coups de bricolages et d’accommodements, et au détriment des objectifs pédagogiques, à faire partir en stage leurs étudiants, leurs marges de manœuvre se révèlent désormais singulièrement réduites. Même si certains, comme Florence Malherbe, responsable du ­secteur éducatif et social des formations de niveau III et IV à l’IRTS Poitou-Charentes, veulent rester optimistes : « On continue à se battre pour que tous les étudiants aient un stage. On rencontre les employeurs et on fait le point régulièrement avec la DRJCS, qui nous a demandé de lui faire remonter les difficultés que nous rencontrons. »

Table ronde nationale

L’inquiétude, voire l’exaspération, sont toutefois palpables au sein des centres de formation. « On est au bout d’un système. Tout le monde se renvoie la balle, on ne peut plus continuer comme cela », estime Chantal Cornier, également vice-présidente de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale). « Nous avons procédé à tous les ajustements possibles dans le respect de la loi. Aujourd’hui, nous ne sommes plus en capacité de remplir nos missions de formation. Le bateau de l’alternance est en panne », analyse Olivier Cany. Pour sortir d’une situation jugée inextricable, l’Unaforis a donc décidé d’organiser d’octobre à fin novembre une mobilisation sur les territoires en associant tout particulièrement les étudiants. Les écoles organiseront des débats avec l’ensemble des parties prenantes en vue de réunir une table ronde nationale le 18 décembre prochain. Il s’agira notamment de dis­cuter des effets de la gratification sur les parcours de stage, des difficultés économiques et sociales rencontrées par les étudiants, mais aussi de connaître leur positionnement sur le principe de la gratification et de déterminer des propositions d’action « porteuses d’avenir pour les professions sociales ».

Reste que l’initiative de l’Unaforis est lancée indépendamment de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Celle-ci n’a en effet pas répondu à sa demande formulée en juin de réunir en urgence une table ronde nationale avec l’ensemble des ministères et partenaires concernés. C’est qu’entre les deux partenaires, la question est l’objet d’un dialogue de sourds. Alors que l’Unaforis estime que la gratification est un problème urgent à traiter, la DGCS, comme elle le fait maintenant depuis 2010, veut le replacer dans le cadre plus général de l’alternance intégrative. Caroline Bachschmidt, sous-directrice des professions sociales, de l’emploi et des territoires, précise que l’administration centrale souhaite travailler avec les DRJCS, les régions, les employeurs et les centres de formation à la mise en place des sites qualifiants. « On réfléchit à la façon dont les services déconcentrés pourraient, dans le cadre de leur contrôle pédagogique, accompagner les centres de formation dans l’animation de ces sites », précise-t-elle, ajoutant qu’un guide méthodologique autour de l’alternance intégrative devrait être diffusé.

La DGCS s’interroge également sur les moyens de motiver les employeurs afin qu’ils se mobilisent davantage dans la formation en alternance. Compte-t-elle notamment reprendre la proposition formulée par le groupe de travail Dinet/ Thierry sur « la gouvernance des politiques de solidarité » (6) de retenir l’accueil de stagiaires comme un critère de l’évaluation externe des établissements ? « C’est une piste », répond Caroline ­Bachschmidt, qui précise qu’il y en a d’autres. Autant de sujets que la DGCS compte aborder dans le cadre des « états généraux du travail social », dont les premières assises interrégionales doivent démarrer en janvier prochain.

Pas de budget spécifique

Quant à la question budgétaire de la gratification, l’administration centrale estime qu’il faut relativiser ses enjeux financiers – un stage (six mois) coûte environ 2 000 € – et qu’elle doit se traiter dans le cadre du dialogue de gestion entre l’établissement et l’autorité de tarification. « Cela n’aurait pas de sens de lui dédier une ligne financière spécifique. » Pas question en tout cas pour la DGCS de revenir sur la gratification des étudiants, « qui est une réponse à la précarité ».

Notes

(1) Voir ASH n° 2819 du 19-07-13, p. 48.

(2) www.petitions24.net/loi_concernant_la_gratification.

(3) Créé par Patrick Guichard, assistant de service social au conseil général de Paris, ce collectif revendique une quinzaine de personnes actives et 6 400 adhérents – www.travailleurs-sociaux-libres.fr/blog.

(4) A l’occasion du colloque organisé par le CNFPT sur le thème : « Quelle évolution pour la filière sanitaire et sociale de la FPT ? ».

(5) Sur son blog www.aformeje.blogspot.fr.

(6) Constitué dans le cadre de la préparation du plan national de lutte contre la pauvreté.

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