« La pauvreté n’est pas seulement de nature socio-économique mais […] elle est aussi liée à la rupture du lien social. » En cela, « elle constitue une atteinte à la dignité humaine et peut être la source d’inégalités de traitement », estime la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans un avis adopté le 26 septembre (1), dans lequel elle formule des recommandations pour venir à bout de ces discriminations.
Le traitement « défavorable et inégalitaire » que subissent les personnes pauvres trouve son origine dans la perception négative qui pèse sur elles, constate la CNCDH, qui déplore la distinction « fréquemment faite entre “bons” et “mauvais pauvres”, ceux qui feraient des efforts pour “s’en sortir” et ceux qui se contenteraient de toucher les prestations sociales ». Pour lutter contre cette vision des choses, l’instance souligne qu’« il ne suffirait donc pas de réparer un manque qu’il s’agit de combler. La démarche à adopter doit, au contraire, prendre en compte la pauvreté en termes de violation des droits de l’Homme et donc s’attacher à garantir l’effectivité des droits des individus. » Or, à l’heure actuelle, des cas de discrimination échappent à la sanction pénale, note la commission. C’est le cas, par exemple, du « cas des refus de location immobilière à des personnes qui sont solvables, mais qui sont perçues comme des locataires qui poseront problème parce qu’elles appartiennent à une catégorie socialement défavorisée ». Elle préconise donc de compléter l’article 225-1 du code pénal définissant la discrimination et la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations pour y intégrer le critère de la « précarité sociale » comme motif de discrimination. Une telle mesure, selon la CNCDH, aurait le « mérite de reconnaître le préjudice subi par les personnes en situation de précarité sociale » et de « faire prendre conscience à l’ensemble de la société de la gravité de certains comportements qui stigmatisent et aboutissent à discriminer les personnes pauvres ».
Plus globalement, la commission demande à nouveau au gouvernement de ratifier, d’une part, le protocole additionnel n° 12 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés, qui interdit toute forme de discrimination, et, d’autre part, le protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels, qui institue, au niveau international, un mécanisme de plainte subsidiaire pour les personnes dont ces droits ont été violés et qui n’ont pas obtenu justice dans leur propre pays.
Au-delà, il faut assurer l’effectivité des droits des personnes précaires, insiste la CNCDH. Par exemple, en matière d’accès au droit et à la justice, elle suggère au gouvernement de réévaluer le financement des dispositifs d’accès au droit (conseils départementaux d’accès au droit, maisons de justice et du droit…), financement qui fait aujourd’hui débat au regard du budget qui devrait y être consacré en 2014 (2). Elle s’inquiète également du projet gouvernemental de modification du barème d’indemnisation des avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle (voir ce numéro, page 24).
Parfois, les personnes en situation de précarité sont aussi victimes d’une différence de traitement par les personnes du service public (services de Pôle emploi, de la police…), souligne l’avis. « Il en est ainsi notamment lorsque les préjugés portés à leur encontre alimentent une présomption d’incapacité voire de culpabilité face à leur situation. » La CNCDH considère donc que des actions préventives devraient être mises en œuvre : campagnes d’information, développement d’actions culturelles ou encore formation réciproque entre des personnes des services publics chargées de l’accueil, des travailleurs sociaux ou des élus et les personnes en situation d’exclusion afin de « faire évoluer les pratiques, les représentations et la connaissance mutuelle ».
Sur le terrain de la mise en œuvre des droits, la commission estime qu’il serait « bénéfique de mener une évaluation de l’impact des politiques publiques et des lois sur les personnes vivant dans la précarité, celles-ci souffrant souvent d’une application préjudiciable des textes ». Dans ce même esprit, elle invite les pouvoirs publics à « prendre en compte les effets indirectement discriminants des délais de demandes, d’instruction et d’audiencement pour ces populations en situation précaire, qui, par définition, se trouvent pressées par le temps ».
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(2) Si le budget de la chancellerie consacré à l’accès au droit a progressé de 16 % en 2013, pour s’établir à 340 millions d’euros, celui de 2014 ne devrait, lui, augmenter que de 7 % (soit 370 millions).