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La loi : promesses ou obligations

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Robert Lafore. Professeur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques.

Un arrêt du Conseil d’Etat, récemment commenté par le professeur Hervé Rihal (1), ouvre une perspective inattendue en ce qui concerne les lois et leur portée juridique. Il s’agissait en l’occurrence de savoir si l’Etat était obligé d’abonder le fonds départemental de compensation du handicap, institué par la loi du 11 février 2005. Ce texte, outre la création de la MDPH, a voulu mettre en œ0153;uvre un droit à compensation du handicap, s’incarnant dans une « prestation de compensation du handicap » à laquelle peuvent s’ajouter des prestations financières extralégales.

Ce sont ces dernières qui ont justifié la création du fonds départemental dont l’abondement prévu par la loi repose sur l’Etat, les collectivités territoriales, les organismes d’assurance maladie, les CAF, les mutuelles, l’Agefiph ainsi que le FIPHFP. L’Etat ayant refusé de verser sa contribution dans le département de la Côte-d’Or, comme dans d’autres d’ailleurs, le juge administratif a été saisi par les autorités territoriales pour obtenir le paiement de cette quote-part, l’affaire étant remontée en cassation devant le Conseil d’Etat.

Sans pouvoir entrer ici dans les arcanes de l’argumentaire du juge, l’important en est le résultat : il en ressort que le financement du fonds départemental ne constitue qu’une simple faculté pour l’Etat. Certes, la loi engage à procéder à une distinction entre les obligations qu’elle institue : il y a celles qu’elle impose elle-même, telles les contributions obligatoires de l’Etat et des autres membres du GIP gestionnaire au financement de la MDPH ; il y a celles qui supposent l’établissement d’une convention entre les partenaires à l’instar de ce qui est nécessaire pour définir les participations de chacun au fonds départemental. Aux yeux du juge, faute de convention établie au moment des faits, l’Etat n’était pas tenu de contribuer. Cela semble d’une logique imparable.

Mais d’un point de vue plus large, ces montages conventionnels ne devraient pas pouvoir conduire à la défausse pure et simple d’un des contributeurs, l’esprit du texte reposant sur l’idée que la convention est là pour permettre une adaptation locale d’une obligation légale, et non pour conduire au retrait pur et simple de l’un ou l’autre des financeurs ; cela parce que, fondamentalement, le fonds doit exister et être abondé pour que le droit à compensation soit pleinement garanti. Outre donc la mauvaise nouvelle pour les départements, qui voient le partenaire étatique pouvoir se défausser, ce résultat est dommageable pour les personnes handicapées, puisque les ressources mobilisables pour faire face à leurs handicaps peuvent varier au gré de la volonté des divers acteurs locaux. Certes, il s’agit de prestations extralégales, mais elles n’en demeurent pas moins souvent décisives pour assurer une meilleure compensation des situations prises en compte. Plaçant le problème à ce niveau, on peut donc à bon droit se demander si la loi, qui est censée imposer des obligations, peut se subvertir en simples promesses laissées au bon vouloir de ceux qui la mettent en œ0153;uvre.

Par ailleurs, la même loi du 11 février 2005 a déjà fait l’objet d’une interprétation jurisprudentielle aboutissant à annihiler ce qui semblait pourtant constituer des obligations. Il s’agit de la disposition prévoyant qu’au terme d’un délai de cinq ans il devait y avoir une convergence des droits des personnes handicapées et des personnes âgées en matière de compensation et d’hébergement ; le Conseil d’Etat a considéré que cette disposition était dépourvue de tout effet normatif. On peut se demander aussi, sans avoir encore de confirmation juridiquement établie, si l’inclusion des enfants handicapés dans les établissements scolaires ne va pas constituer dans les faits une promesse plus qu’une obligation, la loi indiquant seulement que l’Etat « peut » pourvoir au recrutement d’assistants d’éducation.

On constate donc une forme de neutralisation rampante de certaines dispositions législatives. Cela donne à réfléchir sur la législation elle-même et sur les logiques politiques qui conduisent trop facilement les gouvernants à vouloir régler les questions par des effets d’annonce dont les textes sont le support, sans portée pratique faute de moyens. Ces affaires mettent aussi en évidence les tensions, notamment financières, qui pèsent sur le développement des politiques, écartelées entre des intentions généreuses et les contraintes du réel. Et puis, s’agissant des rapports entre l’Etat et les départements, il faut bien constater que les contradictions se sont accumulées dans un processus de décentralisation qui a multiplié à l’envi les difficultés liées à la complexité du système et aux conflits que cela génère. Placés en bout de chaîne d’un modèle d’action sociale dont les ressources régressent quand les demandes s’accroissent, les départements sont en bien mauvaise posture. Il ne faudrait pas que le prix de ces dysfonctionnements soit réglé par les bénéficiaires.

Notes

(1) « Nouvel échec des départements pour obtenir le financement par l’Etat de dépenses sociales », CE 1er-03-13, MDPA de la Côte-d’Or, note H.Rihal, AJDA n° 30-2013, p. 1764 (Ed.Dalloz).

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