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Les dynamiques de l’errance

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Qui sont les jeunes errants qui squattent les quartiers marchands et les abords de gares ? Une recherche propose des pistes d’explication et des recommandations.

Réalisée par les sociologues Marie-Xavière Aubertin et François Chobeaux, animateur du réseau national de réflexion « Jeunes en errance » dans le cadre des CEMEA (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active) (1), une recherche (2) confirme ce qui est connu depuis le début des années 1990 : « Ils sont les enfants des petites et moyennes villes de province ». Mais très vite, ceux des petites villes rejoignent les agglomérations plus importantes, par peur d’être montrés du doigt et par rejet des espaces ruraux où l’on s’ennuie.

Ces jeunes errants sont nés dans des familles populaires (avec des parents ouvriers ou employés), où il y a eu des conflits et des séparations, des beaux-pères et belles-mères « avec qui cela n’allait pas ». Tous n’ont pas connu des difficultés précoces à l’école : elles se révèlent à l’entrée à l’adolescence et marquent d’autres difficultés structurelles sous-jacentes. « C’est alors la période des décrochages scolaires à bas bruit, qui s’articulent avec les premières fugues, et des premières consommations importantes, excessives, de substances psycho-actives : d’abord l’association tabac-alcool-cannabis, puis rapidement d’autres expérimentations. »

PLONGÉE DANS LE VIDE

Pour plusieurs de ces jeunes, des difficultés ont été repérées dès la petite enfance ou l’enfance, et ils ont dès lors fait l’objet de suivis sociaux très rapprochés, souvent de placements. « C’est la présentation classique des “enfants du malheur” : inadaptations et inattentions familiales, brutalités, violences physiques, psychologiques et sexuelles », avec les stress post-traumatiques qui s’ensuivent et alimentent la vulnérabilité identifiée dans les dynamiques d’errance et d’addiction. Enchaînant et alternant foyers, familles d’accueil, séjours de rupture, ITEP (instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques) et établissements d’enseignement adapté, certains jeunes ne s’attachent à rien ni à personne et ne veulent pas (ou plus) entendre parler d’éducateur, de psychologue ou de psychiatre. Sans solution viable à 18 ans, n’ayant jamais appris à organiser et à gérer leur vie, ils plongent dans le vide de la rue et de l’errance.

« D’autres semblent aller normalement bien et tout explose à l’adolescence. » Refus des contraintes et des cadres, revendication radicale de liberté : c’est « l’installation et le développement de fonctionnements [répondant à une logique de] toute-puissance ». Néanmoins, des difficultés psychologiques importantes sont sous-jacentes avec, en particulier, l’incapacité à se protéger du fait d’une faible estime de soi. Le passage à l’acte permanent est la forme majeure d’expression d’un mal-être dont « les fugues, puis l’errance, sont les apothéoses ».

Enfin, un troisième public un peu plus âgé – jeunes travailleurs, jeunes couples mariés – rejoint l’errance alors qu’il était engagé dans un parcours social banal. A la suite d’un accident de la vie (chômage, rupture sentimentale, impayés de loyer et expulsion), tout a basculé. « Il y a aussi chez ceux-là, d’évidence, des facteurs psychologiques intimes qui sont présents et qui les empêchent alors de s’accrocher. » Ces jeunes évoquent d’ailleurs des passés chaotiques, une adolescence jalonnée de fugues et de consommation précoce de produits, des problèmes familiaux.

Différents parcours, donc, mais les mêmes soubassements chez ces trois populations : « Des difficultés d’équilibration ou de solidification de la personnalité, l’absence d’acquisition de compétences psychosociales avec l’impossibilité d’exprimer une émotion autrement que par l’acte, l’absence de capacité à affirmer et soutenir une position individuelle et l’incapacité à savoir apprécier une situation potentiellement risquée afin de s’en protéger. Seuls leurs engagements différentiels dans la vie sociale permettent à certains de savoir mieux se gérer au quotidien, ce que d’autres n’ont jamais appris. », observent les sociologues.

ASSOUPLIR LES NORMES

La recherche formule de nombreuses recommandations pour mieux prendre en compte les jeunes errants : faire évoluer la conception même de la prise en charge (« passer de l’insertion à l’accompagnement »), assouplir les normes et les dispositifs, développer des structures d’accueil et des jobs à la journée, améliorer la prévention en matière de santé et adapter les outils de la prévention des risques… Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale a d’ores et déjà indiqué à François Chobeaux son souhait de retenir certaines préconisations en matière d’hébergement et de logement lors des diagnostics territorialisés sur l’hébergement d’urgence qui doivent être expérimentés et généralisés en 2014. Elle a évoqué également, dans le cadre du renouvellement de la convention avec les CEMEA (2014-2016) sur le réseau « Jeunes en errance », la possibilité de lancer des expérimentations faisant sauter le verrou mineur/majeur dans l’accompagnement des jeunes errants.

A l’écoute de ce public

En plus des travaux conduits depuis le début des années 1990 par le réseau « Jeunes en errance », la recherche s’est fondée sur des entretiens avec des équipes de terrain. Les chercheurs ont aussi procédé à des observations participantes durant les accueils et pendant les interventions de rue, ainsi que dans des lieux de vie et de regroupement des jeunes. Grandes métropoles, villes moyennes, petites villes ont été visitées sur des durées de trois à cinq jours. 47 jeunes de 18 à 32 ans – dont 30 % de femmes – ont été écoutés individuellement. « Les difficultés de rencontre se sont concentrées sur les plus jeunes, notamment les mineurs, moins nombreux et très fuyants », quasiment absents de ce panel. Les jeunes qui ont honoré leurs rendez-vous ont « toujours été ponctuels et très intéressés », ajoutent les sociologues, soulignant que les espaces de parole ont été pour certains « des moments de confidences exceptionnelles ».

Notes

(1) Soutenu par la direction générale de la cohésion sociale, ce réseau regroupe environ 250 structures de terrain et institutions.

(2) « Jeunes en errance », réalisée pour la direction générale de la santé – Consultable sur cemea.asso.fr/spip.php?rubrique375.

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