Après la décision prise par le conseil général de la Mayenne, en août dernier, d’abord de suspendre toute prise en charge de mineurs isolés étrangers (MIE), puis de contester les décisions de placement de ces jeunes dans son département (1), c’est au tour de celui du Bas-Rhin de tordre le cou au dispositif national de prise en charge, adopté en mai dernier (2). Le 13 septembre, son président, Guy-Dominique Kennel (UMP), a annoncé avoir pris un arrêté « stipulant la suspension à titre provisoire » de l’accueil de nouveaux MIE, tout en précisant qu’il pourrait être révoqué « si l’Etat s’engage par écrit à inverser la situation actuelle et que les faits en apportent la preuve ». L’élu argue de la saturation des capacités d’accueil de l’aide sociale à l’enfance et d’une « explosion des arrivées » sur le territoire. Dans le Bas-Rhin, « ils étaient 405 en 2012 et sont encore 254 à l’heure actuelle et le flux se poursuit ». Surtout, l’élu critique le système de répartition nationale prévu par la circulaire du 31 mai : « L’Etat, en dépit de notre situation particulière, continue à nous envoyer des jeunes mineurs et dépasse le quota qu’il nous a lui-même fixé avec 29 jeunes envoyés cet été, alors que notre seuil était de 25 au maximum pour cette année. » A la chancellerie, on indiquait le 24 septembre aux ASH s’être rapproché du conseil général pour « régler ce différend » et que le préfet n’entrerait pas dans un contentieux administratif. France terre d’asile annonçait, pour sa part, un recours en justice si cet arrêté n’était pas rapidement retiré.
De fait, il ressort de la réunion du 18 septembre du comité de suivi du dispositif national d’accueil que la répartition, prévue par la circulaire reste, malgré les avancées, un sujet de préoccupation. Entre juin et mi-septembre 2013, la situation de 889 mineurs isolés étrangers a été portée à la connaissance de la cellule nationale pilotée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Selon le bilan du comité de suivi, huit départements, dont, en tête, Paris, la Seine-Saint-Denis et le Bas-Rhin, se partagent la moitié du flux des arrivées. Quant à l’objectif de soulager les départements les plus concernés, il a été atteint « pour la plupart, sauf, en particulier, le Loiret et le Bas-Rhin ». Les départements d’accueil se sont intégrés au dispositif, « à quelques rares exceptions près ». Au total, 65 départements ont atteint, voire dépassé le nombre d’accueils prévu selon la clé de répartition (établie en fonction de la part de la population de moins de 19 ans dans le département), « soit dans le cadre d’arrivées spontanées maintenues sur le département (avec ou sans saisine de la cellule), soit dans le cadre des réorientations ».
Certains conseils généraux ont, en effet, continué à admettre directement des jeunes, sans les signaler à la cellule nationale, explique Jean-Pierre Hardy, chef du service « politiques sociales » à l’Assemblée des départements de France (ADF). Dans le cadre de comité, il leur a été recommandé de mettre fin à cette pratique. « Les estimations de départ se sont fondées sur un flux annuel de 1 500 arrivées, contre 3 000 en réalité », ajoute-t-il. Lors du dernier comité de pilotage, l’ADF a rappelé son souhait de voir créé, au sein du Fonds national pour le financement de la protection de l’enfance, un fonds d’intervention destiné aux départements particulièrement confrontés au phénomène. « Cette proposition n’a pas été rejetée », indique, sans plus de précision, Jean-Pierre Hardy.
Les départements ont également réclamé à l’Etat d’intervenir sur les « flux d’entrées », autrement dit de s’attaquer aux filières clandestines, et sur « les flux de sorties », soit de faciliter l’accès des jeunes majeurs à un titre de séjour. Une proposition partagée par les associations, qui veulent augmenter les chances d’insertion des mineurs isolés étrangers.
Au-delà, Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, met en garde contre les « tentatives d’instrumentalisation » du sujet à l’approche des élections municipales : « Les mineurs isolés représentent environ 7 500 jeunes sur 250 000 pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, il faut raison garder ! » Selon le ministère de la Justice, neuf départements ont déposé un recours contre la circulaire devant le Conseil d’Etat.