Selon les associations d’aide, il y a en France 20 000 personnes prostituées – dont 80 à 85 % sont des femmes – auxquelles il faut « sans doute » ajouter 10 000 mineur (e) s et 10 000 personnes se prostituant sur Internet. Face à ce constat, la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale a désigné l’une de ses membres, la députée (PS) Maud Olivier, pour plancher sur les moyens de lutter contre ce phénomène. Le 17 septembre, celle-ci a rendu publiques ses conclusions (1), qui s’inscrivent dans le droit-fil du rapport rédigé en 2011 par Danielle Bousquet, ancienne présidente de la délégation (2). Au-delà du renforcement de la prévention des faits prostitutionnels et des possibilités d’accès des personnes prostituées aux dispositifs sociaux de droit commun, l’élue de l’Essonne préconise de pénaliser les clients – une solution qui a toujours divisé le secteur (3) – afin de mettre le droit en conformité avec la position abolitionniste de la France (4).
Sur la base de ce rapport, une proposition de loi intégrant un volet social devrait bientôt voir le jour, pour être débattue au Parlement « à la fin novembre 2013 », annonce Catherine Coutelle, actuelle présidente de la délégation aux droits des femmes, dans un communiqué du 17 septembre.
Selon le rapport, le délit de racolage fait actuellement l’objet de « peu de poursuites conduites jusqu’à leur terme et [de] peu de condamnations », notamment en raison de la difficulté de rapporter la preuve de tous les éléments constitutifs de l’infraction. Du point de vue des services de police, c’est « beaucoup de travail » pour un « bilan peu convaincant en matière de tranquillité publique », indique-t-elle. Aussi Maud Olivier suggère-t-elle au gouvernement d’abolir le délit de racolage public prévu par l’article 225-10-1 du code pénal et de se fonder sur d’autres bases juridiques pour lutter contre le proxénétisme et la traite. Par exemple, illustre-t-elle, « le droit administratif confère certains pouvoirs aux autorités locales qui peuvent, le cas échéant, les utiliser en matière de prostitution. Ainsi, en vertu des pouvoirs de police municipale octroyés par l’article 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire peut prendre des arrêtés interdisant la circulation et le stationnement des personnes prostituées et de [leurs] clients ».
Par ailleurs, la députée préconise de pénaliser les clients de la prostitution pour réduire la prostitution, la traite et le proxénétisme. S’appuyant sur l’exemple de la Suède qui, par ce biais, a réussi à diminuer de moitié le nombre de personnes prostituées et la prostitution de rue, et à réduire le nombre de clients en moins de deux ans, elle juge qu’il s’agit d’un « outil efficace ». Actuellement, en France, le délit de recours à la prostitution existe et s’applique aux personnes ayant recours à la prostitution d’un mineur ou de personnes présentant une particulière vulnérabilité. Maud Olivier propose de l’élargir et de définir le recours à la prostitution comme « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de l’utilisation d’un bien immobilier, de l’acquisition ou de l’utilisation d’un bien mobilier, ou de la promesse d’un tel avantage ». Pour plus d’efficacité, la députée estime qu’il conviendrait d’en faire une contravention de 5e classe dont la récidive constituerait un délit puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. En outre, la députée estime que l’obligation de faire un stage de sensibilisation aux risques d’exercice de la prostitution devrait constituer une peine complémentaire.
Afin de renforcer la protection des victimes de la traite et du proxénétisme, l’élue de l’Essonne recommande d’abord que l’arsenal législatif soit appliqué sur tout le territoire et de manière uniforme. Par exemple, illustre-t-elle, le dispositif national d’accueil et de protection des victimes de la traite des êtres humains – dit « Ac.Sé » – est rarement mis en œuvre (5) ou de façon « très différente d’un département à un autre ». « Le manque de coordination des différents services de l’Etat intervenant entre eux, mais également avec les services sociaux des villes, et avec les associations d’aide et d’accompagnement, nuit fortement à une protection correcte des victimes de la traite », déplore Maud Olivier, pour qui « un travail interministériel sur la traite ne suffit pas. Il faut mettre en place une coordination des services pour lutter globalement contre la prostitution », dont le chef de file pourrait être la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains.
En matière de coordination des services, l’élue va encore plus loin en suggérant d’« établir une coordination au plan départemental pour suivre les dossiers des personnes victimes de la traite et de la prostitution ». Des commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes ont été créées en 1989 et fondues en 2003 au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes (CDPD). Problème : « ces commissions [qui peuvent poursuivre leur travail au sein d’une formation restreinte des CDPD] ne se réunissent plus dans tous les départements » et, « lorsque c’est le cas, la fréquence des réunions est trop faible, une fois par an en général », regrette Maud Olivier. Estimant le rôle de ces commissions « essentiel dans le traitement de la question prostitutionnelle au plan local », la députée recommande donc de « préserver ou de rétablir leur action et [de] leur confier une mission d’animation et d’information de tous les acteurs de la lutte contre la prostitution, mais aussi d’accompagnement des personnes prostituées qui suivent un parcours de sortie ». Cette coordination devrait aussi, selon elle, associer les procureurs, les services de l’Etat (services de police, services des étrangers et des droits des femmes), le service public de l’emploi local ou encore les caisses d’assurance maladie.
L’approche abolitionniste, qui vise à aider les victimes de la traite et du proxénétisme à sortir de cette situation de violence et à se réinsérer, suppose que des « alternatives crédibles » leur soient proposées, souligne le rapport. Or, à l’heure actuelle, leur accompagnement social repose essentiellement sur les associations, qui doivent faire avec des dispositifs« morcelés et qui ne sont accessibles que d’une manière assez limitée ». Les personnes prostituées ont en principe accès aux dispositifs de droit commun de protection sociale, mais elles connaissent des difficultés d’accès aux soins et aux droits, pointe Maud Olivier, notamment par crainte des jugements de valeur ou en raison des discriminations par le personnel médical. Aussi, afin d’éviter la stigmatisation des personnes prostituées, la députée préconise-t-elle de mettre en place un plan national de formation des professionnels concernés à l’orientation de ces personnes en matière de santé, de droit et d’accompagnement social. Plus globalement, elle suggère d’inscrire les personnes prostituées parmi les bénéficiaires de la politique nationale de lutte contre le non-recours aux prestations sociales prévue par le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale (6).
La députée s’est également penchée sur l’accompagnement des personnes prostituées étrangères et leur accès à une régularisation de leur séjour. En vertu de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, elles peuvent en effet bénéficier d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » lorsqu’elles déposent plainte ou témoignent contre l’auteur des infractions de proxénétisme ou de traite. Mais, dans les faits, l’application de cette disposition est « complexe pour les services administratifs », reconnaît la députée, qui suggère donc de modifier les modalités d’accès à un titre de séjour selon deux scénarios. Le premier, en faveur des victimes qui déposent plainte ou témoignent, consiste à réformer le dispositif existant, notamment en portant de un à trois mois le délai dit de rétablissement et de réflexion dont disposent les victimes pour porter plainte. En outre, la carte de séjour temporaire pourrait être « renouvelée de plein droit et sans interruption tant que la procédure judiciaire n’est pas terminée ». Et la carte de résident pourrait, elle, intervenir dès la condamnation en première instance de l’auteur des faits, et non plus en cas de condamnation définitive. Pour les autres victimes, l’élue propose la création d’un « parcours social [et non plus seulement judiciaire] de sortie de la prostitution », par lequel « la personne intégrerait un programme d’accompagnement et d’insertion [d’une durée de deux ans maximum, par exemple] mis en place par une association d’aide aux personnes prostituées ou aux victimes de la traite, habilitée par l’Etat à le conduire, en lien étroit avec la préfecture ». Objectifs : dans un premier temps, éloigner la personne du lieu où elle a été exploitée et lui offrir un logement ou un hébergement (7), puis lui permettre d’accéder à des actions d’insertion, à des études… En s’engageant dans ce programme, la victime pourrait bénéficier d’un titre de séjour temporaire mention « vie privée et familiale » d’une durée de trois mois, renouvelable jusqu’à un an. Pour les victimes étrangères de moins de 25 ans, il conviendrait de les faire bénéficier de l’allocation temporaire d’attente dans la mesure où elles ne peuvent prétendre au revenu de solidarité active, estime la députée.
Afin d’assurer l’accompagnement des victimes de la traite et du proxénétisme, Maud Olivier demande au gouvernement de consacrer plus de crédits aux associations d’aide, qui dénoncent la baisse de leur budget depuis ces cinq dernières années. Elle préconise également la création d’un fonds de concours qui pourrait être alimenté par une partie du produit des saisies réalisées sur les avoirs des personnes condamnées pour proxénétisme ou traite.
(1) Rapport d’information n° 1360 – Disp. sur
(2) Voir ASH n° 2706 du 22-04-11, p. 10.
(3) Voir ASH n° 2707 du 22-04-11, p. 18.
(4) L’abolitionnisme vise à abolir toute forme de réglementation de la prostitution sans en interdire l’exercice, à prévenir l’entrée dans la prostitution et à aider les personnes prostituées, considérées comme des victimes. L’objectif ultime étant de faire disparaître la prostitution.
(5) Dans ce cadre, la victime peut bénéficier d’un accompagnement et de l’admission au séjour, sous réserve de porter plainte ou de témoigner contre les auteurs de la traite. Parallèlement, un dispositif de protection de l’intégrité physique de la victime est mis en place.
(6) Sur le détail du plan, voir ASH n° 2794 du 25-01-13, p. 39.
(7) Jugeant « insuffisante » la capacité des dispositifs d’hébergement en faveur des victimes de la traite et du proxénétisme, Maud Olivier propose, entre autres, de leur assurer des places d’hébergement dans le cadre du contingent prévu pour les femmes victimes de violences conjugales, qui doit s’élever à un tiers des places nouvelles créées d’ici à 2017 – Voir ASH n° 2786 du 7-12-12, p. 10.