« L’article 4 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (DALO) et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale ordonne que “toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y demeurer, dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation.” Cette loi, combinée au plan d’action renforcé en faveur des personnes sans abri (PARSA), a apporté des changements importants dans la gestion de l’accueil des sans-abri. Constatant les ruptures des parcours des personnes sans domicile (rue-accueil d’urgence-rue…), les acteurs de terrain ont pu alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de les sécuriser et de mettre en œuvre une logique de continuité d’hébergement.
Qu’en est-il des jeunes accueillis à l’aide sociale à l’enfance (ASE) ?
Cette administration intervient auprès des familles et de leurs enfants jusqu’à la majorité de ces derniers. Après 18 ans et jusqu’à l’âge de 21 ans, l’assistance aux “jeunes majeurs” n’est plus obligatoire et devient conditionnelle, entérinée dans un contrat jeune majeur. Durant ces trois années, ou bien même à l’âge de 18 ans, l’assistance peut donc s’arrêter, si le jeune ne répond pas aux conditions requises : présenter des difficultés d’insertion sociale faute d’un soutien familial suffisant, selon l’article L. 222.5 du code de l’action sociale et des familles. Dans la pratique, il doit être demandeur et présenter un projet.
Les raisons de ces arrêts sont diverses. La fin de la prise en charge peut émaner du jeune qui choisit de ne plus dépendre de l’ASE. Mais elle peut également être initiée par l’ASE ou l’institution à laquelle le jeune est confié. Les motifs sont alors divers : non-respect du projet conclu dans le contrat jeune majeur, non-respect des règles de l’institution dans laquelle le jeune vit… Enfin, elle s’arrête lorsque le jeune a atteint l’âge limite de 21 ans.
Dans tous ces cas, le jeune doit quitter immédiatement l’institution dans laquelle il est placé et ce, quelle que soit sa situation sociale et familiale. A l’aide sociale à l’enfance, les jeunes accueillis ne bénéficient pas du droit à demeurer dans l’institution jusqu’à ce qu’une orientation leur soit proposée.
Certes, il revient aux structures qui les accueillent de se préoccuper de leur sortie, en prévoyant les différentes orientations possibles et en les aidant à se projeter après le placement et à anticiper leur départ. Pour notre part, c’est ce que nous faisons dès l’admission. Dans un service de jeunes majeurs, le fil rouge qui sous-tend l’accompagnement est bien la préparation à la fin de l’accueil. Préparer, c’est-à-dire permettre au jeune d’acquérir des capitaux culturel, social et économique, au sens bourdieusien du terme.
Oui, mais voilà…
Cet accompagnement vers le départ s’effectue selon plusieurs facteurs. En effet, les modalités de sortie dépendent des conditions sociales, professionnelles et familiales des jeunes. Pour les jeunes qui travaillent, qui sont en apprentissage, en formation suffisamment rémunérée, bref, pour ceux qui ont des revenus suffisants, la sortie fait partie de l’ordre du possible, même si la séparation n’est pas toujours simple. Foyers de jeunes travailleurs, logement autonome, colocation…, il existe diverses formes d’hébergement relativement autonomes qui leur permettront de quitter sereinement le dispositif et de sécuriser leur parcours. Les jeunes qui ont des liens suffisamment structurants avec leur famille peuvent également se projeter dans un retour au domicile familial.
Mais il y a les autres, tous ceux qui ne bénéficient pas d’un soutien familial, ceux qui n’ont pas de revenus suffisants pour accéder à un logement, ceux également qui n’ont toujours pas de statut administratif leur permettant de vivre légalement sur le territoire… Pour tous ceux-là, la fin de l’accueil dans nos établissements devient problématique, tant pour eux que pour les équipes éducatives qui les accompagnent et avec qui ils ont tissé des liens.
Encore une fois, il revient à nos institutions de solliciter les dispositifs d’hébergement d’urgence ou d’hébergement intermédiaire, en interpellant notamment, pour ce qui nous concerne, le service intégré, d’accueil et d’orientation (SIAO) de la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (DRHIL) d’Ile-de-France. Mais pouvons-nous accepter qu’un jeune accueilli à l’ASE soit orienté vers un accueil d’urgence ? Sans compter que nous n’avons que très rarement des réponses positives… Il existe ainsi des situations où certains n’ont aucun point de chute à l’issue de leur placement.
Si nous respectons le règlement, l’ordre budgétaire et que ne souhaitons pas prendre de risque, nous devons accompagner le jeune à la rue.
Certains diront que ces situations de “mise à la rue” sont extrêmement rares car le jeune finit en général par trouver une solution d’hébergement. Mais ne nous voilons pas la face, nous savons que ces solutions sont des “mises à l’abri” et restent des issues très précaires.
Nos institutions sont financées par les prix de journée du département. Nous avons la responsabilité de “remplir” les places pour ne pas déséquilibrer le budget. Nous avons également la responsabilité de respecter et de faire respecter le cadre institutionnel. Nous prenons donc des risques si nous gardons dans nos établissements des jeunes en dehors du cadre légal et sans être légitimés par les autorités.
Pourtant, ces ruptures d’hébergement ont des conséquences sur les jeunes comme sur les professionnels qui les accompagnent. Mettre un terme à un placement sans qu’aucune solution d’hébergement ait été trouvée est une situation extrêmement insécurisante, tant pour le jeune concerné que pour les autres encore accueillis, qui sont témoins de la situation de danger de leurs pairs et des risques qu’ils encourent également. Pour les professionnels, cela ne fait que renforcer le sentiment d’un manque de considération pour le travail éducatif et le lien qu’ils ont créé.
Différentes études ont déjà tiré la sonnette d’alarme sur la surreprésentation des personnes ayant été confiées à l’ASE dans leur jeunesse parmi les sans-domicile fixe. Il faut éviter ces ruptures de parcours et qu’un lien se fasse entre les services de la protection de l’enfance et les services d’hébergements intermédiaires gérés par le SIAO.
D’autres solutions alternatives existent, par exemple un prix de journée réduit.
Il est de notre devoir d’interpeller les politiques. Et nous demandons à être associés à une réflexion autour de ces fins de placements. Dans l’attente de solutions, nous devons réclamer un moratoire pour mettre un terme aux fins de placement sans relogement.
En attendant, nous devons nous poser la question : de quoi sommes-nous responsables ? Lorsque nous accueillons un jeune, nous sommes responsables de la qualité de son séjour, de son bien-être, de nos paroles et de nos actes, etc. Cette responsabilité s’arrêterait-elle le jour de la fin de son contrat jeune majeur ?
N’oublions pas que, au-delà des prises en charge, nous devons rester capables de répondre de nos principes et des conséquences de nos actes. »