Le constat est général : la situation financière des associations du secteur social et médico-social se détériore. « Les évolutions budgétaires étant très faibles (hausse comprise entre 0 et 1 % environ alors que celle des besoins est de l’ordre de 3 % au moins), nous devons puiser dans nos réserves, ce qui génère une pression croissante », constate Claudy Jarry, président de la Fédération nationale des associations et directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). « Nos budgets sont reconduits à l’identique, parfois même ils baissent », observe Thierry Nouvel, directeur général de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). En outre, les déficits, qui étaient jusque-là acceptés par les autorités de tarification et financés par des crédits non reconductibles ou par le biais de cavaliers budgétaires, ne le sont plus, en particulier pour les associations qui n’ont pas signé de contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM). « Et même pour celles qui l’ont fait, les engagements pris ne sont plus toujours honorés », poursuit Thierry Nouvel. « Les financements se raréfiant, les relations avec les financeurs changent, note également José Fernandez, directeur général du groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) Néo-Humanys. Auparavant quand une association bénéficiait de “bons tarifs” de la part de son conseil général, ils étaient reconduits de façon quasi automatique. Dorénavant il faut se battre pour maintenir les moyens humains et financiers… »
Même de grosses associations se serrent désormais la ceinture : « Notre assise financière reste bonne mais nous commençons à connaître des difficultés pour boucler le changement automatique d’échelon salarial lié à l’ancienneté prévu dans notre convention collective (la valeur du point, elle, n’augmente plus depuis quelques années), ce qui nous contraint à faire des économies sur tout, par exemple en prenant un fournisseur d’accès Internet moins cher », constate Patrick Hervé, directeur général d’Apogei 94, une association gestionnaire d’établissements pour personnes handicapées mentales ou psychiques qui emploie 660 salariés. De fait, « le secteur médico-social, qui fonctionne pour une grande part à partir de financements publics et de conventions passées avec la puissance publique, est sans doute celui qui a été le plus chahuté par les mutations récentes. Plus de 92 % des associations du secteur mentionnent des difficultés liées à une contraction des ressources publiques », pointe une étude intitulée « Les associations entre mutation et crise économique. Etat des difficultés » (1). Et les perspectives ne sont pas bonnes : « Les pouvoirs publics cherchent avant tout à réduire les déficits : faute d’un retour à la croissance qui permettrait de dégager des marges de manœuvre financières, ils vont continuer à couper dans les dépenses sociales », pronostique Thierry Nouvel.
Entre morosité et abattement, pas un champ du secteur social et médico-social n’est épargné – même s’il existe des degrés dans l’échelle des difficultés. Quelques exemples illustrent assez bien la diversité des situations. Alors que, globalement, le champ du handicap reste assez protégé (les plans de sauvegarde de l’emploi et les dépôts de bilan y restent une exception), les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) doivent faire face à un effet de ciseaux qui les déstabilise fortement avec, d’un côté, des restrictions budgétaires et, de l’autre, des pertes économiques liées à une activité qui se réduit du fait de la crise. Pour autant, rares sont ceux qui ont dû fermer leur porte.
Dans le champ de l’aide à domicile, au contraire, ce cas de figure se développe. « Cela fait des années que le secteur est sous-tarifé, déplore Frédéric Rouyer, directeur de l’UNA Pays d’Alençon-Perche. Nous avons tenu jusque-là en faisant pression sur les coûts, notamment salariaux qui représentent 90 % de nos charges. Mais notre convention collective a évolué et les salaires ont augmenté alors que nous devons faire face à des personnes de plus en plus dépendantes qui réclament des qualifications croissantes. Or nos financeurs ne l’entendent pas… Nous ne sommes pas non plus en position d’embaucher pour développer de nouveaux services qui pourraient éventuellement équilibrer les comptes. » Dans ce contexte, les fonds propres ont fondu et les déficits sont devenus structurels. « Pour beaucoup d’associations, l’horizon de survie n’est plus que de un an ou deux », poursuit Frédéric Rouyer. « Le retrait des financements publics, notamment des conseils généraux qui n’arrivent plus à boucler leur budget, se traduit par une baisse des heures d’aide à domicile allouées aux personnes qui en ont besoin et, donc, par une diminution de notre activité », se désespère également David Lemaire, directeur général de l’Aradopa-UNA de Reims, qui a été contraint de réduire ses effectifs : entre 2011 et 2012, 50 emplois ont disparu (départs en retraite non remplacés, non-renouvellement de CDD). La décision de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) du Nord-Est, deuxième financeur de l’association, de suspendre son aide aux personnes de moins de 75 ans depuis juin n’arrange rien : « C’est catastrophique : sur les 500 personnes que nous accompagnons, 181 sont concernées ! », s’offusque David Lemaire.
Quant au champ de l’insertion, il navigue à vue : « En début d’année, on nous a tout d’abord annoncé 90 % de l’enveloppe 2012, puis 95 % au printemps. Aujourd’hui il semblerait qu’on bénéficie de 100 %. Mais les fonds départementaux d’insertion qui aident les structures à investir ou à sortir la tête de l’eau en cas de difficultés ponctuelles, n’ont pas été dotés pour l’instant, ce qui représente de 300 000 à 350 000 € pour notre région ! Et pourtant, dans le même temps, on nous demande toujours plus de compétences et de comptes à rendre avec, par exemple, une pression croissante sur les taux de sorties positives… », déplore Pascal Grand, responsable de l’association des Chantiers écoles d’Auvergne. Certains conseils généraux poussent même les structures à se tourner vers le Fonds social européen pour trouver des compléments de financement : « Ils sont pourtant attribués pour des projets innovants et on ne peut innover chaque année ! Et puis ce sont des dossiers extrêmement lourds à monter, qui demandent du personnel dédié. Par ailleurs, les financements sont touchés deux ans après le dépôt du dossier, parfois avec des mauvaises surprises : une des associations devait toucher 50 000 €, elle n’en a perçu que 42 000 €… », poursuit Pascal Grand.
Les restrictions budgétaires ne sont toutefois que rarement, à elles seules, la cause de la disparition d’associations. En revanche, ce qui est nouveau, c’est qu’il suffit désormais d’un grain de sable – le départ d’un président, un marché perdu, un contentieux prud’homal, un mauvais choix stratégique, une gestion hasardeuse ou une réglementation contraignante (par exemple la mise aux normes d’accessibilité pour 2015) – pour mettre à terre une structure déjà fragilisée. Ce n’est pas encore l’hécatombe mais les cas d’associations en déroute se multiplient – même s’ils restent délicats à chiffrer. « Avant j’accompagnais en général une association en difficulté financière par an. Aujourd’hui, j’en suis déjà à six pour le premier semestre 2013 », observe Marie Aboussa, directrice déléguée aux services aux adhérents à la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées (Fegapei). Dans certains cas, la situation, surtout liée à un manque de financement patent, s’arrange grâce à une renégociation des budgets ou un plan de retour à l’équilibre via un CPOM avec les autorités de tarification. Mais lorsque les coupes budgétaires s’ajoutent à des erreurs de gestion, il est souvent difficile d’éviter un redressement judiciaire et, parfois, une liquidation (voir encadré, ci-dessous).
Pour y échapper, de plus en plus d’associations n’ont d’autre choix que de restreindre l’ensemble de leurs dépenses (voir encadré, page 32). La masse salariale étant le poste principal, cela se traduit par des démissions et des départs en retraite non remplacés, des licenciements économiques, voire, plus rarement, un plan de sauvegarde de l’emploi. Autant d’éléments qui contribuent à exacerber les tensions sociales. « On voit apparaître des phénomènes nouveaux comme une grève dans un institut médico-éducatif, la multiplication des recours aux prud’hommes, des démissions de directeurs ou de chefs de service pourtant très impliqués qui n’en peuvent plus », constate Thomas Dubois, directeur de l’Union régionale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux (Uriopss) Champagne-Ardenne. « Comme il faut faire le même travail avec moins de personnel, les professionnels ont tendance à baisser les bras : les arrêts maladie augmentent, les revendications s’amplifient… », témoigne également Frédéric Rouyer.
CONCURRENCE RENFORCÉE
Dans ce contexte, on assiste à une double tendance : d’une part, une augmentation de la concurrence entre associations renforcée par les appels à projets et le recours croissant aux appels d’offres qui conduit chacune à défendre son pré carré contre les autres et, d’autre part, un mouvement de concentration sans précédent. Dans sa dernière enquête « emploi 2012 » (2), Unifaf, l’organisme paritaire collecteur agréé du secteur, constate qu’entre 2007 et 2012, 17 % des associations de 250 salariés et plus disent avoir absorbé un ou plusieurs établissements gérés par une autre structure. Cet élan n’est semble-t-il pas près de s’arrêter : un tiers des associations considèrent qu’elles n’ont pas la taille suffisante pour pérenniser leur activité tandis qu’une sur cinq affirme avoir des projets de regroupement. Une association sur six déclare d’ailleurs être d’ores et déjà engagée dans un processus de coopération interétablissements ou interassociations.
Encouragée par les pouvoirs publics qui souhaitent la constitution de grands organismes gestionnaires pour simplifier le paysage du secteur, mieux coordonner les réponses et réaliser des économies d’échelle, la concentration est souvent perçue comme l’ultime solution en cas de difficultés financières – en particulier pour les petites structures. Selon la formule retenue (partenariat informel, convention, groupement de coopération sociale et médico-sociale, fusion [3]), les situations sont toutefois très différentes. Alors que la fusion-absorption est considérée comme la forme la plus « agressive » puisque – l’association est en quelque sorte« avalée », les partenariats, GCSMS et fusions-créations sont plutôt vécus comme une sortie de crise par le haut car ils s’accompagnent d’une reconfiguration de l’action dans un cadre plus vaste et mieux structuré qui permet de peser davantage auprès des décideurs.
Le cas de l’AMSAD Haute-Gironde née en juin 2012 de la fusion de deux associations, l’une de soins à domicile et l’autre de maintien à domicile, illustre à lui seul ces deux modèles. « Après avoir pris la mesure de notre vulnérabilité financière, nous avons fait le choix de dissoudre nos structures pour en fonder une nouvelle en nous appuyant sur nos liens historiques forts et sur le fait que nous partagions déjà les locaux », explique Jacques Vidal, co-directeur. Objectifs : sécuriser les financements en les diversifiant, pérenniser certains emplois qui auraient sans doute été menacés à terme et, éventuellement, réduire quelques dépenses. Depuis cette opération menée en douceur, une autre association locale d’aide à domicile, en grande difficulté celle-là, est en passe de rejoindre l’AMSAD – cette fois dans le cadre contraint d’une fusion-absorption, à l’issue d’un plan de retour à l’équilibre. Ce troisième partenaire devrait permettre d’atteindre enfin « une dimension suffisante pour renforcer notre assise financière », avance Jacques Vidal.
Mais le regroupement ne vise pas uniquement à accéder à une taille critique. Il est aussi conçu comme une façon de maintenir la qualité du service, une condition aussi de la pérennité des associations : « Faute de moyens, l’UNA Pays d’Alençon-Perche souffre d’être sous-équipée sur le plan de l’encadrement avec une direction acculée à la polyvalence, ce qui nous fait prendre des risques considérables et nous affaiblit – nous sommes par exemple dans l’incapacité de mettre en place des politiques sérieuses de prévention des risques professionnels », explique Frédéric Rouyer. D’où l’idée de s’associer avec trois autres associations d’aide à domicile de l’Orne affiliées à l’UNA – au total un millier de salariés – pour mutualiser certaines fonctions (comme les ressources humaines et la gestion financière). « Cela ne permettra sans doute pas de réaliser de fortes économies d’échelle mais au moins conserverons-nous un certain niveau de compétence, sans quoi nous risquons de disparaître », observe Frédéric Rouyer.
Quelle que soit la forme choisie, le processus de regroupement n’en est pas moins toujours délicat. Il implique un projet politique clair et partagé ainsi qu’une harmonisation des pratiques des structures – laquelle se fait parfois à marche forcée suscitant les réticences des salariés, dont certains craignent pour leur emploi ou tout simplement pour l’esprit familial. « Les fusions sont en général des situations très douloureuses car elles marquent la fin d’histoires portées par des acteurs souvent investis depuis des années et défendant des valeurs fortes », observe Marie Aboussa. D’autant plus si – c’est de plus en plus souvent le cas dans le champ de l’aide aux personnes âgées – l’association est absorbée par une structure du secteur lucratif.
En outre, un regroupement ne résout pas toutes les difficultés financières. Il doit lui aussi pouvoir compter sur des ressources publiques et des fonds propres suffisants. « Croire que c’est une solution miracle est une illusion totale ! Une petite association réactive, bien gérée et à l’écoute des besoins sociaux de son territoire, peut s’en tirer beaucoup mieux qu’une grosse association isolée à la gestion incohérente », martèle Gérard Zribi, président d’Andicat (Association nationale des directeurs et cadres d’ESAT). Selon le sociologue Fabrice Traversaz, « aucune étude n’a pour l’instant démontré que le fait de se regrouper permettait de réduire les coûts par la mutualisation des moyens. Les effets économiques positifs sont contrebalancés par des frais supplémentaires (recours à des expertises extérieures, développement des fonctions du siège…). En outre, ce modèle calqué sur l’entreprise, bien qu’il permette de mieux répondre aux exigences procédurales auxquelles sont confrontées les associations, entraîne mécaniquement des phénomènes de standardisation, de centralisation et de rigidification qui entrent en contradiction avec l’activité singulière du travail sur autrui qui suppose autonomie et flexibilité. »
La Fegapei n’y voit qu’un outil parmi d’autres. Elle préfère miser sur la prévention des risques : mise à disposition d’outils de gestion et de tableaux de bord, formation, sensibilisation… « Si les associations nous sollicitent suffisamment en amont, on peut intervenir beaucoup plus efficacement que si on doit jouer les pompiers », explique Marie Aboussa. Par exemple en musclant leurs fonds propres avec des fonds de dotation qui permettent d’aller chercher des financements privés, par le biais du mécénat notamment. L’Uniopss, pour sa part, met l’accent sur la prospective afin d’anticiper les difficultés financières à venir et mieux y répondre. « Face au manque de visibilité quant à l’évolution des financements publics et des besoins sociaux (liés au chômage, à la dépendance…), il est nécessaire de développer des instruments d’observation pour prévoir ce qui nous attend », explique Thomas Dubois dont l’union régionale a développé un outil d’autodiagnostic associatif. Pour Gérard Zribi, la solution est surtout à chercher dans un sursaut des associations : « Plutôt que de tout mettre sur le dos des pouvoirs publics, elles doivent apprendre à balayer devant leur porte. Elles ont encore d’énormes efforts à faire en matière de gouvernance et de gestion. »
Les associations sont peu à peu devenues des employeurs comme les autres avec les mêmes obligations et risques que dans le secteur privé lucratif. Aussi des procédures jusque-là exceptionnelles se généralisent-elles.
En cas de difficultés financières, l’association peut demander au président du tribunal de grande instance la nomination d’un administrateur provisoire (qui se substitue au gestionnaire pendant une période déterminée), ou une procédure de sauvegarde (ce qui suspend le paiement des dettes).
S’il y a cessation de paiement, l’association peut être placée en redressement judiciaire : un administrateur judiciaire prend le relais et peut être amené à remplacer le conseil d’administration pour toutes les questions ayant un impact en matière de gestion. A la fin de la période d’« observation », trois issues sont possibles.
1. L’association paraît viable, car son défaut de paiement est temporaire. Le tribunal peut décider, sur proposition de l’administrateur et du dirigeant, de l’étalement de la dette et de la poursuite de l’activité dans le cadre d’un plan de continuation.
2. L’association n’est pas viable en l’état mais un repreneur (association, groupe de l’économie sociale et solidaire, voire structure du secteur privé lucratif) est intéressé par la reprise de tout ou partie de l’activité. C’est la cession d’activité.
3. L’association n’est pas viable et aucun repreneur crédible ne s’est manifesté. C’est la liquidation judiciaire.
Située en Haute-Normandie, l’association Les Nids, important acteur du champ de l’enfance (avec plus de 800 salariés), a connu de graves difficultés économiques en 2010. Prise en tenaille entre une trésorerie fragilisée qui lui a fait craindre temporairement un dépôt de bilan (avant d’obtenir des garanties de soutien des banques partenaires) et un budget en-deçà de ses besoins, elle a été contrainte de passer au crible toutes ses dépenses de structure et de fonctionnement afin de réduire ses charges d’exploitation. Parallèlement à la renégociation des contrats (d’assurances, de maintenance…) et à la mutualisation de certains postes, sa gestion financière a été consolidée via la signature d’une convention d’orientation budgétaire avec le conseil général. Il n’y a eu aucun licenciement sec mais la masse salariale a été diminuée grâce à des départs non remplacés.
L’association a poursuivi la remise à plat de son fonctionnement pour allier contrôle des dépenses et redynamisation de sa politique associative en favorisant la proximité territoriale des réponses et la cohérence des parcours des enfants et des jeunes et en faisant appel à la générosité du public et au mécénat pour compenser la stagnation des financements publics. « Malgré les difficultés et les contraintes, nous avons montré que nous étions en capacité de réagir positivement tout en construisant des liens de qualité avec nos financeurs », témoigne Jérôme Palier, son directeur général. Une nouvelle convention d’orientation budgétaire devrait prochainement être signée pour 2014-2016. Permettra-t-elle de stabiliser la situation ?
(1) Parue en octobre 2012, la recherche lancée par le cabinet Deloitte est adossée à l’enquête « Paysage associatif en 2012 » menée par Viviane Tchernonog, chercheuse au CNRS, et attendue pour fin 2013 – Voir ASH n° 2817 du 5-07-13, p. 19.
(2) Voir ASH n° 2798 du 22-02-13, p. 24.
(3) Pour y voir plus clair, France Active prépare un guide sur les fusions et leurs alternatives dans le secteur associatif – A paraître prochainement.