Prévue depuis plusieurs années, la création de deux salles d’audience « délocalisées », aux abords de l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, pour les étrangers non admis sur le territoire ou en instance d’expulsion, est en passe de devenir réalité. Malgré l’opposition de plusieurs associations et syndicats de professionnels de la justice (1), qui dénoncent « une justice d’exception réservée aux étrangers », contraire aux principes fondamentaux d’indépendance et d’impartialité.
L’une de ces « annexes judiciaires », qui partage le bâtiment d’une caserne de CRS accolé au centre de rétention du Mesnil-Amelot, est destinée à accueillir, à partir du 30 septembre, les audiences des juges des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance (TGI) de Meaux compétents pour autoriser le maintien dans ce centre des étrangers en instance d’expulsion. L’autre, dans la même enceinte que la « zone d’attente » (ZAPI) de l’aéroport – où ont été placés pas moins de 6 000 étrangers en 2012 –, doit accueillir, dès le mois de décembre ou janvier prochain, les audiences des JLD du TGI de Bobigny, chargés d’autoriser le maintien dans cette zone des étrangers auxquels la police aux frontières (PAF) refuse l’accès au territoire.
Des constructions décidées au nom de l’efficacité et de la réduction des coûts, protestent les organisations de défense des étrangers, qui ne voient que pur prétexte dans la recherche de la « dignité des justiciables » qui n’auraient plus à être transportés par fourgons, parfois en famille, jusqu’aux audiences. L’isolement des bâtiments et le manque de transports pour y accéder compromettent le caractère public des débats et compliquent la venue des avocats qui doivent assurer la défense des personnes, arguent-elles. De plus, « la légalité de ces tribunaux est fragile, elle repose sur des considérations techniques relatives à l’accès du public et des personnes étrangères jugées », déjà définies par la Cour de cassation (2). Sur le fond surtout, « la justice y sera rendue chez l’une des parties, sous la responsabilité symbolique du ministère de l’Intérieur et des forces de police ».
Malgré un courrier de la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, en juin dernier, des motions de plusieurs ordres des avocats et du Conseil national des barreaux, ces projets n’ont pas été retirés. Dans un courrier du 18 juillet, la garde des Sceaux a répondu à Patrick Henriot, coprésident de l’ANAFÉ, qui l’avait particulièrement alertée, avec sept autres organisations, sur les dangers de l’ouverture de la salle d’audience dans la zone d’attente de l’aéroport, initialement prévue pour septembre. Contrairement à celle jouxtant le CRA du Mesnil-Amelot, son ouverture a été reportée. « Je tiens à vous rappeler que je ne suis pas à l’origine de cette ouverture, le ministère de la Justice s’étant engagé par courrier en date du 5 mai 2010 à utiliser ces locaux, faute de quoi il devrait rembourser l’intégralité des travaux avoisinant les 2,7 millions d’euros », fait valoir Christiane Taubira. Et d’ajouter que les magistrats du TGI de Bobigny étaient déterminés à utiliser ces locaux au plus vite. Elle rappelle cependant que l’utilisation de cette « annexe » est subordonnée à la signature d’une convention avec le ministère de l’Intérieur et au résultat des concertations menées par les chefs de juridiction avec les personnels concernés et les partenaires de la Justice, « notamment le barreau de Seine-Saint-Denis, très réticent au projet ». Les signataires du courrier doivent être « reçus à la cour d’appel de Paris le 26 septembre », indique Stéphane Maugendre, président du GISTI, tout en déplorant « une omniprésence de l’Intérieur dans ce projet ». En outre, « le contrôleur des lieux privatifs de liberté s’est également saisi du dossier ». Les dés ne semblent donc pas jetés, d’autant que la ministre n’a pas caché sa réticence à cette ouverture, le 10 septembre à l’occasion de sa « tournée » pour expliquer son projet de réforme pénale.
La question a également été abordée dans le cadre du processus de concertation mis en place par le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, notamment dans la perspective de la réforme du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Sur la rétention, les zones d’attente ou les alternatives à la rétention, objets d’une réflexion engagée sous la forme de groupes de travail, « nous ne savons pas dans quelle mesure les préoccupations et les revendications des associations seront prises en compte, souligne Brigitte Espuche, déléguée générale de l’ANAFÉ. Mais nous savons que la réforme du Ceseda, promise pour fin 2013, a été repoussée. » Celle-ci pourrait ne pas intervenir avant le premier semestre 2014.
(1) ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers), l’ANAFÉ (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers), le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, l’USMA (Union syndicale des magistrats administratifs) et RESF (Réseau éducation sans frontières).
(2) La Cour de cassation a déjà invalidé des salles d’audiences sur des sites de centre de rétention. Aujourd’hui, deux sont ouvertes à Marseille et à Coquelles, près de Sangatte (Pas-de-Calais).