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Dénicheurs de logements durables

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L’association Solincité, dans le Lot-et-Garonne, a créé fin 2012 une agence immobilière à vocation sociale. Son but : capter des logements privés dans un département mal doté en HLM pour y loger des personnes en difficulté sociale, en garantissant les impayés et les dégradations.

Dans le jardin de sa coquette maison de 110 m2 du centre de Marmande (Lot-et-Garonne), Isabelle Fasciaux, la quarantaine souriante, offre le café à Bérengère Clerget, gestionnaire locative à l’agence immobilière à vocation sociale (AIVS) de l’association Solincité (1). Les deux femmes se connaissent depuis plusieurs années. « Solincité et moi, c’est une longue histoire ! témoigne cette mère de trois garçons arrivée dans le département en 2010. Avec Bérengère, on s’appelle dès qu’il y a un souci. » Isabelle Fasciaux, allocataire du RSA, séparée de son conjoint et criblée de dettes, était menacée d’expulsion en raison de la vente du logement qu’elle occupait. « Nous avons été saisis par le CCAS [centre communal d’action sociale] de Tonneins et avons proposé une prise en charge par notre service d’insertion par le logement pour trois mois renouvelables, raconte Bérengère Clerget. Nous avons travaillé sur le budget, les meubles, les droits CAF à ouvrir. Au bout de six mois, elle a été relogée grâce à l’ALT [allocation de logement temporaire] et sa situation administrative et financière a pu être assainie. »

En 2011, avec l’aide de l’Agence nationale de l’habitat, Solincité loue à la famille Goret cette maison rénovée du centre de Marmande pour la sous-louer à Isabelle Fasciaux et à son nouveau compagnon, dans le cadre de l’intermédiation locative. Le loyer de 500 € par mois est plus bas que les prix du secteur (entre 600 et 650 € dans le centre de Marmande). « Avec le bail glissant [2], je suis locataire de plein droit depuis juin 2013 », annonce fièrement la mère de famille.

PROSPECTER ET CONVAINCRE

Les propriétaires sont, eux aussi, satisfaits de la formule. « Avant de rencontrer Solincité, mes beaux-parents de 87 ans, pour qui ce logement sert de complément de retraite, ont eu des locataires qui ne payaient pas leur loyer », raconte Annie Goret. L’agence nous a rassurés : elle vérifie les dossiers des locataires, paie le loyer à leur place pendant un an s’ils ne le font pas, s’occupe des petits travaux… Ça nous coûte 30 € par mois, mais c’est une sécurité morale et financière. C’est la meilleure des solutions ! Si des amis ont des problèmes avec des locataires, nous les orienterons sûrement vers l’AIVS de Solincité. » En contrepartie d’un loyer 30 % moins cher que celui du marché et d’honoraires de 6 % du montant brut du loyer, le propriétaire bénéficie de la garantie du paiement des loyers et de la prévention des dégradations grâce à un accompagnement rapproché. Pour cela, il faut prospecter les logements vacants susceptibles d’être loués à des ménages défavorisés et négocier leur location avec les propriétaires en mettant en avant les aides mobilisables pour d’éventuels travaux ou les avantages fiscaux liés à la location très sociale. « Il faut convaincre des propriétaires qui préfèrent souvent laisser des logements vides plutôt qu’avoir des locataires au RSA », précise Aline Couturier, directrice du pôle social de Solincité.

Le Lot-et-Garonne est le septième département le plus pauvre de France (15,5 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté), il offre très peu de logements sociaux à ses habitants (6,9 % du parc) et plus d’un quart de son parc privé est vétuste, voire indigne. La création d’une agence immobilière à vocation sociale constitue donc un bon moyen de trouver des solutions pour les personnes en situation de précarité visées par le plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD). Le but est de capter des logements du parc privé (dont 9 % sont vacants) pour les mettre à disposition de ceux qui en ont besoin. La création de l’agence, en décembre 2012, a cependant nécessité trois ans d’efforts. Forte de son expérience de gestion de logements en ALT, Solincité a d’abord répondu à un appel d’offres de l’Etat pour faire de l’intermédiation locative pour des personnes en situation d’expulsion, d’insalubrité ou de sortie de centre d’hébergement et de réinsertion sociale, dans le cadre d’une circulaire de 2009 (le volet logement du plan de relance économique de la France). Elle a été sélectionnée afin de lutter contre la vacance des logements en travaillant avec les bailleurs privés dans le Lot-et-Garonne. En trois ans, l’intermédiation locative a permis de reloger 120 ménages. « Le conseil général du Lot-et-Garonne a reconnu notre compétence sur le logement très social », se félicite Béatrice Magnan, directrice générale de l’association. Mais ce dispositif ne permettait pas d’activer les mandats de gestion (3), d’où l’idée de créer une structure ayant cette capacité. « Les administrateurs nous ont parlé de l’association du Prado à Bordeaux qui possédait une AIVS, poursuit la directrice. Nous sommes allés voir. »

LE SOUTIEN DE L’ÉTAT ET DU CONSEIL GÉNÉRAL

Côté finances, la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations soutient le projet au travers d’une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) financée sur objectifs à hauteur de 30 000 € par an sur trois ans, auxquels s’ajoutent 30 000 € du conseil général du Lot-et-Garonne. 6 000 € ont par ailleurs été sollicités auprès de la Fondation Abbé-Pierre. « L’Etat, comme le conseil général, a beaucoup appuyé la création de cette AIVS, car elle complète une gamme diversifiée d’accès au logement pour les personnes visées par le plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées, souligne Francis Garcia, chef du service inclusion sociale à la DDCSPP 47. Nous souhaitons aider au démarrage et à la montée en puissance de cette AIVS qui doit arriver à s’autofinancer. Mais nous pensons qu’il faut au moins trois ans pour permettre à une innovation de s’équilibrer. » « Notre objectif est de mobiliser 25 logements d’ici à fin décembre », annonce pour sa part Aline Couturier. Fin juillet, l’AIVS avait déjà enregistré six mandats de gestion et cinq promesses de signature, auxquels s’ajoutent la centaine de logements mis à la disposition des usagers de Solincité et confiés en gestion à l’AIVS. Pour 2013, son budget prévisionnel est de 92 500 €, dont 64 000 € de salaires et 5 890 € de carburant (un poste important en raison des nombreux déplacements). S’y ajoutent 15 000 € de la Fondation de France et 5 000 € de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) qui ont permis d’acheter le logiciel de gestion de l’agence et une voiture. « Nous avons recruté des agents immobiliers avec une fibre sociale car, en tant qu’éducateurs, nous n’avions pas assez de connaissances », reconnaît la directrice. Trois demi-équivalents temps plein en CDD et une mutualisation des compétences avec le pôle social (notamment l’intermédiation locative) permettent à la jeune structure de fonctionner.

UN PUBLIC DÉFAVORISÉ, MAIS AUTONOME

Se lancer dans le secteur concurrentiel aurait pu inquiéter les responsables de l’association. « Nous gérons déjà un village-vacances qui s’autofinance, rassure Béatrice Magnan. De plus, le service de vacances adaptées et celui d’aide à domicile ont l’habitude du secteur marchand. » « En passant dans le secteur marchand, on touche un autre public : pas seulement celui des titulaires des minima sociaux, mais aussi des personnes qui n’arrivent simplement pas à se loger en Lot-et-Garonne », complète Aline Couturier. Le public de l’AIVS est très divers : des titulaires de minima sociaux, des familles monoparentales disposant d’un emploi, des personnes travaillant à temps partiel, des personnes seules mais aussi des personnes dont la situation n’est que temporairement difficile et qui ne posent pas de problème de gestion locative… « L’AIVS s’adresse aux travailleurs pauvres ayant un minimum de revenus, sans problèmes sociaux trop marqués ou situation de surendettement non traitée. Un public autonome, de plus de 25 ans, à reloger après une expulsion, des aléas de santé, un changement de ressources ou à cause d’un habitat inadapté », précise la responsable. Pour que leur dossier soit accepté, leurs revenus annuels doivent se situer entre 8 160 € et 15 000 €. Pas question en effet de faire concurrence aux agences immobilières classiques en visant les cadres supérieurs !

« Nous proposons un logement comme une agence classique, mais avec un accompagnement sur toute la durée du bail, décrit Bérengère Clerget, gestionnaire locative de l’agence, titulaire d’un BTS profession immobilière et d’une carte professionnelle indispensable à la création d’une AIVS. Lorsque nous sommes sollicités pour une famille par un par­tenaire (CCAS, centre médico-social, assistante sociale du conseil général, etc.), nous prenons rendez-vous à domicile pour comprendre ses difficultés, puis nous l’aidons dans la recherche d’un nouveau logement en fonction de ses souhaits. S’il y a eu des problèmes avec le voisinage, on cherchera plutôt une maison individuelle. A une personne très isolée on proposera plutôt une maison-relais. Nous vérifions aussi avant le passage en commission d’admission que la personne est assez autonome. » La diversité des prestations proposées par Solincité vient renforcer l’action de l’AIVS en facilitant, pour certains ménages, les passerelles entre les dispositifs (intermédiation locative, ALT, maison-relais, etc.).

Pour monter les dossiers, Bérengère Clerget travaille en binôme avec Amélie Roux, monitrice-éducatrice à mi-temps sur l’intermédiation locative. Celle-ci réalise les évaluations autour de Marmande tandis que Bérengère Clerget s’occupe des secteurs d’Agen et de Villeneuve-sur-Lot. Parfois, avant de penser au relogement, il faut initier des mesures éducatives en lien avec l’assistante sociale référente de la famille. Le premier lundi de chaque mois, la commission de relogement réunit les salariés et la direction du service logement : les référents sociaux des résidences, l’éducateur du service insertion par le logement et les agents immobiliers. Depuis 2012, un dossier unique est présenté, quelle que soit l’orientation prévue : maison-relais, intermédiation locative ou AIVS. Une vingtaine de dossiers sont étudiés à chaque commission et seuls 10 % environ sont refusés. « Il nous faut entre 48 heures et un an pour trouver un logement en intermédiation locative, précise Bérengère Clerget. En 2012, nous avons dû arrêter de prendre de nouveaux dossiers pendant quatre mois, le temps de reloger ceux que nous avions déjà. »

UNE PRÉPARATION À L’ENTRÉE DANS LE LOGEMENT

L’agence immobilière bénéficie de deux agréments de l’Etat : l’un pour l’ingénierie sociale, financière et technique, et l’autre pour l’intermédiation locative et la gestion locative sociale. C’est cette gestion spécifique qui permet de garantir aux propriétaires le bon usage de leur bien. Les futurs locataires bénéficient d’une préparation à l’entrée dans le logement : démarches administratives, organisation de leur solvabilité par les aides au logement, explication des documents contractuels et des engagements qui en découlent, souscription à un contrat d’assurance. « Les locataires signent un contrat d’accompagnement qui prévoit que nous fassions des visites régulières tous les deux mois pour voir si tout se passe bien, précise Bérengère Clerget. Le fait que je ne sois ni assistante sociale ni éducatrice facilite les choses car je n’ai pas de droit de regard sur la situation des enfants ni sur le reste du budget. » Un agent d’entretien réalise les états des lieux, passe régulièrement dans le logement pour les petites réparations, voire fait parfois de la formation (comment déboucher un siphon ou redémarrer une chaudière…) « Cela sécurise propriétaire et locataire », affirme Bérengère. Quant à Amélie Roux, elle intervient en soutien pour cadrer le budget, donner un coup de pouce pour les meubles ou les prêts CAF au déménagement. « Je fais des visites régulières pour voir si le logement est bien entretenu et bien investi, indique la monitrice-éducatrice. J’ai ainsi vu une chambre d’enfant qui n’avait ni lit ni bureau, seulement un matelas par terre. Le relogement faisait suite à la séparation des parents. Nous avons cherché ensemble comment faire pour que la rentrée se passe dans de bonnes conditions. » Tout au long du bail, l’AIVS apporte une gestion personnalisée visant à prévenir tout risque lié à l’occupation du logement (impayé, dégradation ou troubles du voisinage).

Pascale Ahrens, recrutée en juin 2012 comme assistante en gestion locative, rend visite aux locataires chaque mois, entre le 6 et le 12, pour percevoir les loyers. Le jour de notre visite, elle avait rendez-vous avec Richard Raoux, mécanicien poids-lourd en CDD, sous-locataire depuis deux ans d’un appartement indépendant lié à la maison-relais de Tonneins, après avoir dû partir de chez sa mère avec qui il était en conflit. « J’ai les loyers de 45 logements à récupérer physiquement en espèces, car 99 % de nos locataires sont interdits bancaires et n’ont pas de chéquier, souligne cette ancienne éducatrice spécialisée venue des Pays-Bas, qui a aussi travaillé en tant que commerciale dans une agence immobilière. Je prends rendez-vous avec eux pour chercher le loyer d’un mois sur l’autre en regroupant les déplacements par zones : Tonneins, Marmande, Casteljaloux, sachant que le bureau est à Villeneuve-sur-Lot. Parfois, ils ne sont pas au rendez-vous… » Depuis sa création, l’AIVS a repris à son compte cette tâche gérée auparavant par les référents sociaux. « En tenant compte de la situation de la famille, ils étaient “trop gentils”, analyse l’assistante. Mais ce n’est pas forcément leur rendre service car les dettes s’accumulent. Et Solincité verse les loyers aux propriétaires à l’avance et ne peut pas se permettre de ne pas les récupérer. »

Si le parc privé est le principal objectif de l’AIVS, Solincité peut aussi prendre des mandats de gestion pour des collectivités. « Nous commençons à nous faire connaître, affirme Béatrice Magnan, et des petites communes rurales, qui sont démunies par rapport à des personnes avec des difficultés sociales, nous demandent de gérer leur parc social. »

Solincité : « dans l’innovation permanente »

Le siège de Solincité (Solidarité intégration citoyenneté territoires) est installé à Escassefort, un village de 500 habitants près de Marmande. Créée en 1972 par un enseignant qui voulait intégrer des enfants handicapés dans les écoles, l’association a évolué et s’est restructurée à partir des années 2000 autour de plusieurs pôles : foyers de vie pour adultes handicapés mentaux ; tourisme social ; pôle enfance ; service d’accompagnement à la personne ; pôle social avec un service d’intervention sociale et familiale à domicile et un service d’insertion par le logement.

« Nous sommes dans l’innovation permanente, avec une multitude de projets, souligne Aline Couturier, la directrice du pôle social. Nous allons vers les besoins, en fonction des politiques sociales. »

FOCUS Les AIVS en France

Une agence immobilière à vocation sociale (AIVS) est une structure à but social (association, union économique et sociale, société coopérative d’intérêt collectif…) qui possède les compétences d’agent immobilier pour les mettre au service de l’insertion par le logement de personnes en difficulté. « AIVS » est un label avec marque déposée, délivré par la Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement (FAPIL). Il existe 46 AIVS en France, qui gèrent 10 000 logements en mandat de gestion (12 000 en comptant la gestion en location/sous-location). Selon la FAPIL, les trois quarts des ménages bénéficiant de logements via les AIVS ont des revenus inférieurs au SMIC, un quart sont des familles monoparentales et la moitié des personnes isolées. La fédération met à la disposition de ses adhérents une assurance « impayé de loyer » et « dégradation » négociée avec la Macif et propose un logiciel spécifique de gestion d’agence immobilière ICS. Il existe d’autres structures de gestion locative sociale proposant des services similaires émanant des PACT nommées Clés.

Notes

(1) Solincité : 1, place Léopold-Renon – 47 350 Escassefort – Tél. : 05 53 20 34 00.

(2) Système qui permet d’accéder pleinement à un logement après une période de sous-location via un organisme ou une association.

(3) Acte par lequel un propriétaire (le mandant) donne à une autre personne (le mandataire, qui peut être agent immobilier, administrateur de biens, etc.) le pouvoir d’accomplir en son nom plusieurs actes juridiques comme la vente, la location ou la gestion d’un bien.

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