Retour sur une action atypique

Au cours de l’hiver 2006-2007, leur succès éclair avait surpris tous les observateurs : quelques semaines à peine après l’installation d’un campement sur les bords du canal Saint-Martin, la mobilisation emmenée par Les Enfants de Don Quichotte débouchait sur l’adoption d’une loi réclamée depuis longtemps par les associations, consacrant le droit au logement opposable. Un tel phénomène ne pouvait qu’intriguer le sociologue Patrick Bruneteaux, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des questions de pauvreté. Fruit d’une enquête de terrain puis d’un travail plus réflexif, l’ouvrage collectif Les Enfants de Don Quichotte décortique les mécanismes et ingrédients de cette action au « format improbable » et à la clôture « sans accroc, aussi étonnante que son jaillissement ». De la figure charismatique d’Augustin Legrand au rapprochement des riverains et de sans-domicile réhumanisés, de l’engouement des médias à l’irruption des associations spécialisées, les auteurs examinent, strate par strate, tous les ingrédients de l’entreprise inédite et atypique des Enfants. En particulier, on y découvre l’étonnante évolution des relations entre le collectif et les associations gestionnaires : d’abord gênées par la « dramaturgie de la scandalisation » portée par Augustin Legrand – « distillant de la gêne dans un monde opaque qui gérait ses pauvres, habitué à la maltraitance institutionnelle des exclus » –, ces dernières finissent par adhérer au discours du « grand procès public contre l’injustice »… avant de prendre la main sur les revendications. Une fréquentation qui, au moins, aura eu le mérite de faire redécouvrir une parole militante que certaines « n’avaient presque jamais eue »… à défaut d’avoir radicalement transformé les conceptions à l’œuvre. « Pourquoi n’y a-t-il jamais eu aucune réflexion sur les possibilités d’usage de cette énergie de mobilisation dans un travail social renouvelé ? », s’interroge ainsi Patrick Bruneteaux en conclusion. Une « énergie de démocratie participative » qui « aurait insufflé un peu de droits des usagers, pour ne pas dire de contre-pouvoir dans les logiques pyramidales de prise en charge », finalement disparue avec le démontage des tentes.