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Pour une démocratie accessible

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En 2012, le conseil général du Val-de-Marne a initié une consultation citoyenne de personnes handicapées mentales et psychiques. Baptisée « Mes idées aussi », cette initiative a débouché sur 78 actions et sera prolongée sur Internet.

Ce lundi 17 juin 2013, la salle du conseil de l’Hôtel du département du Val-de-Marne n’a pas son allure habituelle. Si Christian Favier, le président (Front de gauche) du conseil général siège bien à sa place, l’assistance est très diverse. Dans la salle se côtoient des élus, des responsables de diverses directions du conseil général, des personnes handicapées psychiques et mentales ainsi que des professionnels des deux associations qui les accompagnent. Tous sont là pour la restitution des ateliers citoyens « Mes idées aussi ». Durant toute la matinée, les 78 actions lancées à la suite des 158 recommandations issues de cette consultation directe de personnes handicapées mentales et psychiques vont être détaillées (1). Quatre grands thèmes sont examinés : « Etre aidé vers l’autonomie » ; « Se déplacer dans la ville » ; « Le regard des autres » ; « Le logement ». Certaines recommandations ont déjà été réalisées, d’autres sont en cours, d’autres encore à l’étude. Enfin, certaines ne sont pas réalisables car trop coûteuses ou ne relevant pas de la compétence du département. A chaque fois, le responsable de la direction concernée explique la décision prise. La parole est ensuite donnée dans la salle aux 26 participants des ateliers citoyens. Tous se félicitent de l’attention portée à leur parole et les questions ne manquent pas. Un homme d’une quarantaine d’années interpelle ainsi l’assistance sur son manque d’autonomie financière. « Je ne peux même pas gérer moi-même mon argent de poche », dénonce-t-il. Après de nombreuses questions sur les régimes de tutelle et de curatelle, la responsable de la direction de l’action sociale propose qu’un travail d’information soit mené avec un juge des tutelles auprès des professionnels intervenant dans les structures accueillant des personnes handicapées mentales ou psychiques.

UN ACCOMPAGNEMENT VERS LA CITOYENNETÉ

Cette demi-journée de juin a conclu une consultation démarrée au printemps 2012 à l’initiative de la direction des relations à la population (DRP) et de celle des solidarités envers les personnes âgées et handicapées (DSPAPH). L’idée était née après que le conseil général eut participé au projet d’un réseau de collectivités européennes sur les obstacles à la citoyenneté des personnes handicapées mentales et psychiques. Une formation de cinq jours avait alors été délivrée aux professionnels de l’Afaser et de l’ETAI (2), deux associations du département qui interviennent dans ce domaine. « Elle visait à fournir aux professionnels de nouveaux outils pour accompagner le public pris en charge dans leurs structures vers la citoyenneté », raconte Julie Mallegol, chargée de projet européen à la direction de la solidarité, qui a animé cette formation avec Sophie Largeot, chef de projet « démocratie participative » à la DRP.

Le département a décidé d’aller plus loin en initiant une consultation directe des personnes handicapées mentales et psychiques. « Il était pour nous important de faire participer à la vie citoyenne les personnes qui en sont le plus éloignées », explique Brigitte Jeanvoine, vice-présidente du conseil général chargée des solidarités aux personnes âgées et handicapées. Restait à organiser les modalités de cette concertation. « Il a fallu faire passer au conseil général le message que cela demanderait beaucoup de travail pour ne pas risquer de confisquer la parole des personnes handicapées. En effet, celles-ci ont tendance à considérer qu’elles ne sont pas légitimes et à réserver parole et savoir à l’autorité », souligne Ariane Vienney, directrice du service habitat de l’Afaser. Plusieurs rencontres ont donc rassemblé des professionnels des deux associations avec Julie Mallegol et Sophie Largeot. « Il était prévu initialement de montrer une exposition aux personnes handicapées volontaires et de parler ensuite de leurs difficultés. Mais ce mode de fonctionnement n’est pas du tout adapté à des gens pour qui l’abstraction est en général très difficile, raconte Estelle Ferreira, psychologue du service habitat de l’Afaser. Un énorme travail avec les équipes a donc été nécessaire pour rendre cette concertation accessible aux usagers. »

VEILLER À LA COMPRÉHENSION DE CHACUN

Pour favoriser un véritable échange, il a ainsi fallu multiplier les supports, afin de s’adapter à un public dont les capa­cités d’expression et d’élaboration sont très hétérogènes. Même si le langage « facile à lire », qui autorise une simplification des modes d’écriture, a été privilé­gié, ce n’était pas suffisant. La lecture n’étant maîtrisée que par quelques parti­cipants, pictogrammes et photographies ont été largement utilisés. « Les photographies, plus concrètes, sont davantage adaptées aux personnes qui ont le plus de problèmes à manier l’abstraction. » Il a aussi fallu déterminer un moyen de s’assurer à chaque étape de la compréhension de chacun. Le système retenu : un carton rouge pour signifier son désaccord et un vert pour approuver. « Nous avons agrémenté chacun de ces cartons d’un smiley souriant ou mé­content. Parmi notre public, certaines personnes sont daltoniennes et ne distinguent pas le vert du rouge ou ne connaissent pas les couleurs », précise la psychologue. Enfin, rares étant les participants à pouvoir écrire, il a été décidé d’utiliser des Post-it sur lesquels les paroles et propositions des participants seraient retranscrites littéralement.

Une fois conçus les outils, Julie Mallegol et Sophie Largeot se sont déplacées pour présenter ces « ateliers citoyens » aux usagers des différents services de l’Afaser et de l’ETAI. « Nous avons cherché des moments où le maximum de personnes étaient présentes. L’accueil a été très positif, nos usagers étaient heureux qu’on leur donne la parole », se souvient Ariane Vienney. Pour susciter de vrais échanges, le groupe de volontaires a été limité à une trentaine de participants pour l’ensemble des deux associations. « La présence aux cinq ateliers organisés à cheval entre juin et juillet 2012 étant impérative, nous avons dû écarter les personnes qui n’étaient pas là pendant cette période. » La disponibilité n’a toutefois pas été le seul critère. « Parmi les personnes volontaires, nous avons écarté celles qui ne s’expriment presque pas ou ont des problèmes de compréhension trop importants », indique Agnès Petit, aide médico-psychologique au service habitat de l’Afaser. Un autre impératif : obtenir une certaine diversité des profils (âge, sexe, type de handicap, activité en établissement et service d’aide par le travail, etc.). Finalement, un groupe de 26 personnes handicapées a été constitué : 14 de l’Afaser et 12 de l’ETAI.

UN PROGRAMME DÉTAILLÉ ET RASSURANT

Symboliquement, le premier atelier s’est déroulé en juin 2012 au cœur de l’Hôtel du département, dans la salle du conseil, en présence de Brigitte Jeanvoine. « Cela a permis de matérialiser le conseil général, d’expliquer le rôle des élus, la manière dont se prennent les décisions, de préciser ses compétences, même si le vocabulaire technique a été simplifié », raconte Julie Mallegol. Une attention particulière a été portée au programme distribué aux participants. Décrivant en détail toutes les étapes de la journée, il alliait écrit et pictogrammes. « Le fait que tous les temps de la journée, jusqu’aux pauses, soient mentionnés a permis d’éviter des montées d’angoisse », insiste Estelle Ferreira. Ce programme a également tenu compte des difficultés de concentration, avec des temps plus denses le matin et plus ludiques l’après-midi, offrant la possibilité d’introduire des respirations.

Les règles de distribution de la parole ont aussi été précisées aux participants par Julie Mallegol et Sophie Largeot, les véritables animatrices de ces ateliers. Pas question de se laisser emporter par des récits d’expériences personnelles peu en rapport avec le sujet. En cas de digressions, le cadre était systématiquement rappelé. Les animateurs et éducateurs des deux structures restaient, eux, plutôt en retrait. « En grand groupe, nous avions plutôt un statut d’observateurs. Beaucoup de travaux avaient toutefois lieu en petits groupes, là nous pouvions jouer un rôle d’animateurs. Mais l’essentiel de notre travail était surtout la prise de notes », relate Yannick Dubois, animateur à l’accueil de jour de l’ETAI.

Le cadre de la consultation ayant été posé, les participants ont été invités à s’exprimer, lors d’une deuxième séance, sur chacun des quatre thèmes prédéfinis, à l’aide de photographies. Un premier temps d’échanges consistant alors à collecter les expériences individuelles de chacun d’entre eux. « Ces discussions ont permis d’établir un premier diagnostic des problèmes rencontrés », raconte Julie Mallegol. Puis une troisième séance a mis en évidence combien ces expériences individuelles étaient partagées collectivement. Pour cela, les animatrices ont notamment utilisé la technique du débat en mouvement : chaque participant se positionne par rapport à une affirmation en indiquant « d’accord », « pas d’accord » ou « ne sait pas ». Au fur et à mesure de l’échange, ils ont pu changer de position. « Cette technique aide à construire une argumentation. La capacité à argumenter de nombreux participants nous a d’ailleurs surprises », avoue l’animatrice. Sur des Post-it, les problèmes rencontrés ont été notés littéralement.

Durant les quatrième et cinquième journées, il s’est agi de passer du diagnostic aux propositions concrètes. Les Post-it de la séance précédente ont été regroupés par thèmes par les participants eux-mêmes, et 158 recommandations ont ainsi pu être élaborées afin d’être transmises au conseil général. Puis d’être commentées lors de la restitution finale, le 17 juin. « Beaucoup de recommandations dépassaient le seul champ du handicap et étaient universelles. Quand les problèmes d’accessibilité étaient évoqués, il était, par exemple, souvent fait référence aux personnes âgées », note Brigitte Jeanvoine.

Travailleuse handicapée à l’ESAT de l’Afaser et vivant en foyer, Florence Reusse l’affirme : participer à cette consultation s’est révélé très enrichissant. « Tous les thèmes m’intéressaient, mais j’étais particulièrement sensible à celui sur le regard des autres. J’ai d’ailleurs beaucoup poussé pour qu’il prenne plus d’importance. Je voulais que les gens arrêtent de se moquer de ceux qui sont différents. » Pour des personnes handicapées qui essuient souvent le mépris des « valides », l’initiative « Mes idées aussi » a représenté, en outre, une façon de regagner de l’estime de soi. « Le fait que non seulement des élus leur donnent la parole, mais aussi que des actions en découlent a été très important », se félicite Danièle Assinare, chef des services accueil de jour à l’ETAI. D’autant que cette initiative a reçu le prix Coup de cœur des collectivités accessibles, en novembre 2012, lors du Salon des maires et des collectivités locales. Un grand moment pour les volontaires, invités par Brigitte Jeanvoine à monter ensemble à la tribune afin de recevoir ce trophée. « Des personnes qui ne maîtrisent pas les codes de la parole ont alors réussi à faire passer une énorme émotion à une assemblée peu habituée aux handicaps mentaux », raconte l’élue.

UNE INCITATION À FAIRE ÉVOLUER LES PRATIQUES

De même, les articles publiés à l’occasion dans le magazine Val-de-Marne ont été très valorisants pour les participants vis-à-vis de leurs familles et des professionnels qui les encadrent. Parmi ces derniers, beaucoup avouent d’ailleurs leur surprise devant les capacités d’élaboration et d’expression de ces personnes handicapées mentales ou psychiques. A tel point que certains ont fait évoluer leurs pratiques. « Dans mon atelier polyvalent qui travaille sur le lien social, nous éditons un petit journal, détaille Yannick Dubois, animateur d’accueil de jour. Nous devions modifier la couverture. Auparavant, j’aurais soumis mes différentes versions au petit noyau de quatre ou cinq personnes impliquées. Là, j’ai organisé un vote avec l’ensemble des participants. » De plus, des techniques d’animation ont été reprises dans les différentes structures des associations impliquées : « Entre autres, lors des entretiens avec des personnes qui ne s’expriment pas, j’utilise maintenant les cartons rouges et verts. Cela a d’abord suscité l’incrédulité des familles, qui pensaient que les personnes handicapées ne l’utiliseraient pas à bon escient. En fait, cela fonctionne parfaitement », se félicite Danièle Assinare.

Ce soutien actif à la vie citoyenne de personnes handicapées mentales ou psychiques, qui va être étendu grâce à Internet (voir encadré), a débouché sur d’autres initiatives. Certains de ses membres ont ainsi assisté à une visite de la dalle Félix-Eboué, à Créteil, afin de donner leur avis sur son aménagement. Et un volontaire siège désormais à la commission « accessibilité » de la ville du Kremlin-Bicêtre. Mais surtout, à la suite de cette opération, la participation démocratique pourrait s’améliorer dans les établissements, et notamment dans les conseils de la vie sociale (CVS) créés par la loi de 2002. « La démocratie au sein de la structure est souvent difficile à faire vivre, la participation des usagers au CVS étant laborieuse », regrette Danièle Assinare. Or les participants à « Mes idées aussi » se saisissent mieux de ces instances. La démocratie au sein des structures recevant des personnes handicapées devrait d’ailleurs faire l’objet des attentions du conseil général. « Nous intervenons en appui à l’évaluation interne des établissements, explique Brigitte Jeanvoine. Désormais, nous veillerons à l’expression des personnes en situation de handicap et aux moyens utilisés pour la susciter. » Cette boîte à outils démocratique pourrait aussi être utilisée en direction d’autres publics. « Elle pourrait être réutilisable avec des populations non francophones, elles aussi écartées des instances de consultation. »

INTERNET Une consultation élargie

En prolongation des ateliers « Mes idées aussi », une plate-forme de débat numérique a été créée en 2013. Son objectif : « Etendre la consultation à plus de personnes handicapées hébergées ou vivant dans leurs familles et toucher davantage de structures », explique Brigitte Jeanvoine, vice-présidente du conseil général du Val-de-Marne. Cette consultation numérique reprend les thèmes abordés lors des ateliers, en tentant d’aller plus loin. « Les questions posées partent des recommandations retenues dans le cadre de “Mes idées aussi” : comment simplifier les démarches administratives ? quel message faire passer dans une campagne d’information sur le handicap ? », précise Julie Mallegol, chargée de projet européen à la direction de la solidarité du conseil général. Pour élaborer cet outil, un travail de coconstruction a été mené avec Concert urbain, association spécialisée dans le débat numérique. Puis la plate-forme a été réalisée par les services du département.

Début juin, une maquette a été présentée aux équipes et testée lors d’une demi-journée organisée avec l’Afaser et l’ETAI. Sur cette plate-forme, afin de contourner l’obstacle de l’écrit, les questions ont été enregistrées en vidéo, les contributeurs étant invités par un pictogramme à réagir en direct. Ils peuvent aussi voter sur des thèmes ou commenter les messages des autres. Un fonctionnement qui ne devrait pas surprendre les plus jeunes. « Lors de la phase de test, nous avons pu nous rendre compte que nombreux étaient ceux qui, sans maîtriser l’écrit, s’orientaient très bien sur Internet. » Après son lancement officiel en septembre, cette consultation numérique devrait durer de quatre à six mois. « Un premier bilan devrait avoir lieu au bout de un ou deux mois. Les tests se sont bien passés, mais il va falloir voir comment ça prend… », conclut Julie Mallegol.

Notes

(1) Cf. la vidéo en ligne sur le site du CG 94 : http://tval.cg94.fr/25452-mes-idees-aussi.html.

(2) Afaser : 1, avenue Marthe – 94500 Champigny-sur-Marne – Tél. 01 45 16 15 15 – www.afaser.fr. ETAI : BP 58 – 16, rue Anatole-France – 94272 Le Kremlin-Bicêtre cedex – Tél. 01 46 70 19 22 – association@etai.asso.fr – www.etai.asso.fr.

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