Après avoir diffusé deux circulaires visant à redresser la courbe du nombre de naturalisations et rompre avec la politique conduite en la matière sous le mandat de Nicolas Sarkozy (1), le gouvernement enfonce le clou avec la publication de deux décrets.
Le premier assouplit les règles applicables en matière de contrôle du niveau de langue et de connaissance des institutions. Le second expérimente dans plusieurs départements une nouvelle organisation pour l’examen des demandes. L’idée étant d’essayer d’unifier les pratiques actuellement très hétérogènes des préfectures.
Les postulants à la nationalité française « à raison du mariage » doivent toujours justifier d’une connaissance de la langue française « caractérisée par la compréhension des points essentiels du langage nécessaire à la gestion de la vie quotidienne et aux situations de la vie courante ainsi que par la capacité à émettre un discours simple et cohérent sur des sujets familiers dans [leurs] domaines d’intérêt ». L’exigence du « niveau B1 » du cadre européen commun de référence pour les langues établi par le Conseil de l’Europe, est maintenue (2). A cet égard, le décret renvoie à un arrêté le soin de définir les diplômes permettant de justifier d’un niveau égal ou supérieur au niveau requis. A défaut d’un tel diplôme, le déclarant peut justifier de la possession du niveau requis par la production d’une attestation délivrée soit par un organisme reconnu par l’Etat comme apte à assurer une formation « français langue d’intégration », soit à l’issue d’un test linguistique certifié ou reconnu au niveau international et figurant sur une liste fixée par un arrêté du ministre chargé des naturalisations.
Nouveauté : sont dorénavant dispensées de la production d’un diplôme ou d’une attestation justifiant d’un niveau de langue égal ou supérieur à celui exigé les personnes titulaires d’un diplôme délivré dans un pays francophone à l’issue d’études suivies en français. Bénéficient également désormais systématiquement de cette dispense les personnes souffrant d’un handicap ou d’un état de santé déficient chronique ainsi que les personnes âgées d’au moins 60 ans. Auparavant, cette dispense n’était accordée qu’aux personnes qui, « en raison de leur âge, d’un état de santé déficient chronique ou d’un handicap, ne sont pas en mesure d’accomplir les démarches nécessaires à la production d’un diplôme ou d’une attestation ».
Toutes ces personnes font tout de même toujours l’objet d’un entretien individuel avec un agent de la préfecture, destiné à vérifier qu’ils maîtrisent un niveau de langue correspondant au niveau B1. Il en est de même pour les postulants qui produisent une attestation justifiant d’un niveau inférieur à ce dernier. « L’administration peut se fonder sur le déroulement de cet entretien pour conclure que le déclarant possède le niveau linguistique requis », indique le décret.
Au-delà d’une connaissance de la langue française, tout candidat à la naturalisation doit également justifier d’une connaissance de l’histoire, de la culture et de la société françaises correspondant à un certain niveau. La barre était fixée auparavant au niveau de fin d’études primaires. Le nouveau décret supprime cette référence et précise les connaissances attendues. Ainsi, le demandeur doit dorénavant démontrer qu’il dispose de connaissances sur :
→ les grands repères de l’histoire de France. Le candidat doit avoir « une connaissance élémentaire de la construction historique de la France qui lui permette de connaître et de situer les principaux événements ou personnages auxquels il est fait référence dans la vie sociale » ;
→ les principes, symboles et institutions de la République. L’intéressé doit connaître « les règles de vie en société, notamment en ce qui concerne le respect des lois, des libertés fondamentales, de l’égalité, notamment entre les hommes et les femmes, de la laïcité, ainsi que les principaux éléments de l’organisation politique et administrative de la France au niveau national et territorial » ;
→ l’exercice de la citoyenneté française. « Il est attendu du postulant qu’il connaisse les principaux droits et devoirs qui lui incomberaient en cas d’acquisition de la nationalité, tels qu’ils sont mentionnés dans la charte des droits et devoirs du citoyen français », indique le texte ;
→ la place de la France dans l’Europe et dans le monde. Le demandeur doit montrer qu’il dispose d’une « connaissance élémentaire des caractéristiques de la France, la situant dans un environnement mondial, et des principes fondamentaux de l’Union européenne ».
Les domaines et le niveau des connaissances attendues seront illustrés dans un livret du citoyen.
Signalons, enfin, que le questionnaire à choix multiples de culture générale – prévu par un décret de janvier 2012 et jamais appliqué – est officiellement supprimé.
Le second décret est une forme de réponse au rapport du député (PS) Patrick Mennucci qui, il y a près d’un an, plaidait pour une réforme de la gestion politico-administrative de la nationalité (3). Le parlementaire proposait en particulier de revenir sur la déconcentration des procédures, jugée responsable d’inégalités géographiques marquées d’accès à la nationalité française. Il suggérait notamment de mutualiser les moyens des préfectures en créant des plateformes interdépartementales sur le modèle de ce qui a été fait pour l’accueil des demandeurs d’asile.
Le décret, complété par un arrêté, prévoit ainsi d’expérimenter dans plusieurs départements :
→ d’une part, l’instruction à un niveau interdépartemental des demandes de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française et des déclarations de nationalité souscrites à raison du mariage qui sont actuellement instruites par chaque préfet de département ;
→ d’autre part, une nouvelle procédure de contrôle de l’assimilation des postulants en confiant à une commission, et non plus à un seul agent de préfecture, la mission de conduire avec chaque postulant ou déclarant un entretien.
Concrètement, deux plateformes régionales d’instruction des demandes sont ainsi expérimentées en Lorraine (à Nancy) et en Franche-Comté (à Besançon) depuis le 1er septembre. Une troisième le sera en Picardie (à Beauvais) à compter du 1er janvier 2014 (4). Leur mission : recevoir et instruire les dossiers, les préfets de département demeurant compétents pour prendre les décisions sur la base de la proposition qui leur aura été transmise par la plate-forme.
Nancy sert également de laboratoire pour tester, pour les départements de la Meurthe-et-Moselle, de la Meuse, de la Moselle et des Vosges, l’entretien d’assimilation par une instance collégiale. Cette « commission citoyenne d’assimilation » réunit, autour d’un fonctionnaire de la préfecture, deux bénévoles issus de la société civile, choisis par l’administration pour leur capacité à apprécier un parcours d’intégration. Ces deux personnalités qualifiées sont astreintes à une obligation de confidentialité, précise le décret.
Ces expérimentations s’achèveront le 31 décembre 2014. Elles seront évaluées localement mais aussi nationalement par l’inspection générale de l’administration. Si l’évaluation est positive, ce mode d’organisation sera généralisé en 2015, a indiqué le ministre de l’Intérieur, le 28 août, en présentant la réforme en conseil des ministres.
(2) Sur le cadre européen commun de référence pour les langues, voir ASH n° 2730 du 28-10-11, p. 38.
(4) Les départements concernés sont plus précisément les suivants : Aisne, Doubs, Jura, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle, Oise, Haute-Saône, Somme, Vosges, Territoire de Belfort.