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Changement de cap pour la réinsertion des condamnés ?

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Si le projet de loi annoncé par le Premier ministre tient la promesse de créer une nouvelle peine en milieu ouvert, il suscite déjà certaines réserves. Et sa mise en œuvre risque d’être contrainte par l’étau budgétaire.

Entre avancées attendues de longue date et décisions à revoir, les arbitrages annoncés par le Premier ministre sur le projet de loi « de lutte contre la récidive » (voir ce numéro, page 5) reçoivent un accueil mitigé des acteurs judiciaires et ceux de la réinsertion des détenus. L’abrogation des peines plancher, la fin de la révocation auto­matique des sursis, la création de la « contrainte pénale », l’examen de la situation des condamnés aux deux tiers de la peine en vue d’une libération conditionnelle « sous contrainte » dessinent les contours de la nouvelle orientation promise depuis la conférence de consensus sur la prévention de la récidive de février dernier (1). Autant de mesures qui « répondent à la nécessité de revenir au principe d’individualisation de la peine dont nous demandions le rétablissement après dix années de politique sécuritaire », approuve le Syndicat de la magistrature. De même, le projet de loi met l’accent sur l’exécution des peines en milieu ouvert, avec un suivi socio-éducatif renforcé pour favoriser la réinsertion.

Contrainte pénale limitée

Parmi les points qui déçoivent cependant: le champ d’application de la « contrainte pénale », plus restrictif que celui préconisé par le jury de la conférence de consensus. La peine concernerait les délits passibles d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans. « Ce seuil, qui n’existe pas pour le sursis avec mise à l’épreuve va, par exemple, exclure certains délits commis avec circonstances aggravantes, et ne prend pas en compte les condamnés à de plus longues peines qui auraient aussi besoin d’un accompagnement », juge Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature. Dans ce contexte, la réforme sera-t-elle en mesure d’accompagner les plus fragiles ? Autre critique : le maintien des dispositifs de probation existants sans suppression du sursis avec mise à l’épreuve, risquerait de nuire à la cohérence et à la lisibilité du système. ?

Des absences – comme l’abrogation de la rétention de sûreté – et des reculs sont même dénoncés. Parmi ces derniers : les aménagements de peines ab initio, c’est-à-dire décidés dès le prononcé de la peine, ne devraient plus concerner les peines de deux ans (comme l’a prévu la loi pénitentiaire de 2009) mais celles d’au maximum un an pour les primo-délinquants et six mois pour les récidivistes. Une décision perçue comme un arbitrage en faveur du ministre de l’Intérieur, qui avait fait valoir ses réticences au projet de loi. Le gouvernement affiche « une plus grande appétence aux courtes peines de prison que ses prédécesseurs, en dépit de leurs effets désocialisants et contre-productifs », s’insurge l’Observatoire international des prisons. Pour l’organisation, « c’est le non-choix entre le “tout-carcéral” et le pari de la probation qui apparaît ». En clair, la recherche d’un compromis pourrait nuire à la pertinence de la réforme.

« Fermeté éclairée »

Une critique que ne partage pas le ­criminologue Pierre Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS et ardent promoteur de la « contrainte pénale communautaire ». Décevant pour ceux qui ont pu l’espérer « libertaire », le texte est marqué par la volonté « d’une fermeté éclairée qui n’a pas grand chose à voir avec la fermeté proposée par les néo-conservateurs », forcément eux aussi insatisfaits du texte. Le retour en arrière sur les aménagements de peine ab initio ? « Plus de 10 000 personnes en détention sont en train de purger une peine de moins d’un an, soit quasiment l’équivalent du nombre de détenus en surnombre, explique-t-il. Il y a déjà beaucoup à faire sur les aménagements de peine tels que prévus avant la loi pénitentiaire de 2009 ! » Concernant la contrainte pénale, le chercheur considère – à l’instar du rapport de Dominique Raimbourg (PS) sur la lutte contre la surpopulation carcérale (2) –, qu’il serait plus judicieux de l’expérimenter pour un certain nombre de délits pour lesquels elle serait appliquée comme peine maximale. Avec la perspective, à terme, de créer un système de réponse pénale reposant sur « le triptyque amende – contrainte pénale qui remplacerait toutes les alternatives à l’incarcération – emprisonnement », ajoute Pierre Victor Tournier. Une révolution culturelle, convient-il, qui prendra nécessairement du temps. Par ailleurs, même une fois le texte stabilisé et présenté en conseil des ministres, des questions seront laissées « ouvertes au débat parlementaire ». Un débat dont le calendrier – sujet également sensible à l’approche des élections municipales – n’est pas encore tranché.

En première ligne, les personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation s’inquiètent des moyens de mise en œuvre. Pour 2014, 300 recrutements ont été annoncés pour ces services, et 150 pour 2015. Les syndicats, eux, estiment à bien plus de 1 000 le nombre de postes supplémentaires nécessaires pour mener à bien leurs missions actuelles. Si, comme annoncé par le Premier ministre, « l’objectif est de ramener le ratio de dossier par conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation à 40, on est loin du compte, relève Olivier Caquineau, secrétaire général adjoint du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (Snepap)-FSU. Nous attendons la mise en œuvre d’un programme pluriannuel de recrutements pluridisciplinaires. » Même préoccupation du côté de la CGT pénitentiaire. « Actuellement, nous sommes plutôt à une moyenne de 130 dossiers par agent », précise Delphine Colin, référente nationale des travailleurs sociaux. Et si les chiffrages divergent, « notre objectif n’est pas de faire de la surenchère. Nous préférerions ne pas avoir besoin de moyens supplémentaires et pouvoir accompagner les personnes qui en ont besoin ! De ce point de vue, le projet de loi aurait dû prévoir la dépénalisation de certaines infractions. »

Les moyens de la réforme

La crainte est grande de voir l’ambition de la réforme buter sur la réalité budgétaire. « La réussite de la contrainte pénale dépendra de sa lisibilité et de sa visibilité. Le placement extérieur ou le placement sous surveillance électronique, on sait d’expérience que ça marche, il ne faut pas mégoter sur les moyens ! », estime Eric Pliez, trésorier de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), par ailleurs directeur général de l’association Aurore. La FNARS regrette que le projet de loi ne hisse pas encore cette nouvelle peine « à la même hauteur que la prison ». Et préfèrerait une « mesure de probation », qui insiste davantage, dans son intitulé comme dans son contenu, sur la dimension d’insertion. Au-delà du travail législatif, les questions de la place dévolue aux associations chargées de la réinsertion des personnes sous main de justice, ainsi que celles de l’accès aux droits sociaux des détenus et de l’affirmation de l’identité professionnelle des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ne tarderont pas à se poser.

Notes

(1) Voir ASH n° 2799 du 1-03-13, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2795 du 1-02-13, p. 17.

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