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Médiation au sein de la cité

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A Saint-Denis, au nord de Paris, le centre La Place Santé associe des médecins généralistes et des médiatrices diplômées pour faciliter l’accès des habitants aux soins et à la santé. En ligne de mire, l’autonomisation d’une population fragile.

Debout dans le petit bureau dévolu aux entretiens, Zahia Bensekhri compulse une pile de documents. Médiatrice santé au sein de l’Association communautaire santé bien-être (ACSBE) La Place Santé (1), à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), elle assure ce matin la permanence destinée aux habitants du quartier. Son interlocutrice, une mère de famille qui fréquente régulièrement le centre, doit fournir une quittance de loyer à la mairie pour inscrire sa fille en centre de loisirs. « Tu es sûre que tu me l’avais donnée, ta quittance ? Je ne retrouve pas la copie. Il faudrait que tu me la rapportes », recommande Zahia Bensekhri. La mère de famille hoche la tête, puis baisse la voix. « Tu sais, aussi, je voulais t’en parler… Le médecin a dit qu’il va enlever le bouchon », murmure-t-elle en désignant son ventre d’une main colorée par le henné. « Le stérilet ? C’est vrai que tu ne le supportais pas très bien », commente la médiatrice. Le temps de vérifier les derniers versements de la caisse d’allocations familiales à la famille, Zahia Bensekhri accueille la visiteuse suivante. Robe en tissu wax bleu et jaune, la tête ceinte d’un foulard gris orné de perles, elle est venue comme chaque mois pour effectuer son actualisation auprès de Pôle emploi. « Ce mois-ci tu n’as rien eu, c’est ça ? », se fait confirmer Zahia Bensekhri, tandis que le serveur vocal de Pôle emploi déroule son incompréhensible verbiage administratif. La femme a également apporté un dossier qu’elle craint de ne pas remplir correctement. « Tu dois indiquer toutes les années où tu as travaillé, explique la médiatrice. Comme ça, tu pourras toucher le chômage jusqu’à 65 ans, si tu y as droit, puis accéder à une retraite complète. Il faut que tu tiennes encore deux ans. Si tu prends la retraite maintenant, tu ­n’auras presque rien. Tu as compris ? » La femme se lève, visiblement soulagée. « Alors ma fille, merci beaucoup, hein, c’est très gentil », sourit­elle en quittant la pièce.

AU-DELÀ D’UNE SIMPLE OFFRE DE SOINS

Situé en plein cœur du quartier Franc-Moisin Bel-Air, une zone urbaine sensible d’environ 10 000 habitants, le centre de santé communautaire La Place Santé a ouvert ses portes en octobre 2011. Implanté au pied des tours, il incarne et prolonge l’action de l’ACSBE, créée en août 1992 après un diagnostic de santé réalisé sur le quartier. Son ambition ? Améliorer la santé des habitants du quartier, à travers une coproduction de l’acte de santé : promotion de l’usager comme acteur principal de sa santé, coopération entre les différents acteurs, gouvernance partagée. Rien à voir, donc, avec un simple dispensaire. Certes, dans ce quasi-désert médical, La Place Santé a permis de renforcer une offre de soins qui faisait défaut : cinq médecins généralistes y exercent à temps partiel, dont trois disposent de compétences en gynécologie. Mais le projet du centre va bien au-delà. Outre les interventions d’une musico-thérapeute et d’une diététicienne, son fonctionnement repose sur le travail de cinq médiatrices aux missions variées : assurer l’accueil, l’écoute, l’information, l’orientation, la médiation auprès des institutions et des professionnels du champ sanitaire et social, proposer un accompagnement individuel des situations, ou encore animer des actions collectives.

FAIRE ÉMERGER UNE DEMANDE NON EXPRIMÉE

A l’entrée dans la structure, les usagers sont reçus par une médiatrice d’accueil. Le cadre est chaleureux et convivial : la salle d’attente a été aménagée comme un petit café, avec des boissons, des photos, des panneaux d’exposition. Selon les demandes, les visiteurs sont orientés vers le secrétariat médical ou pris en charge par la médiatrice d’accueil. Celle-ci informe les nouveaux venus des différentes activités du lieu, distribue la liste des ateliers collectifs et propose un premier niveau de réponse : compréhension d’un courrier, aide à la constitution d’un dossier administratif, etc. « L’accueil se veut totalement ouvert et inconditionnel, insiste Hélène Zeitoun, la directrice. Les usagers n’ont pas besoin de prétexte pour franchir la porte : on peut venir juste pour prendre un café ou lire le journal. » A charge pour la médiatrice d’accueil de faire émerger, le cas échéant, une demande non exprimée et de passer la main aux collègues pour des entretiens individuels. En 2012, toutes catégories confondues – consultations médicales, accompagnement social, ateliers collectifs, simples visites… –, La Place Santé a ainsi enregistré près de 9 900 passages.

Ce matin-là, l’accueil est presque désert. Seules quelques femmes patientent pour leur entretien individuel, et pas un seul homme dans les parages : ceux-ci ne représentent en moyenne que quatre consultants sur dix et fréquentent peu les ateliers proposés par l’association. « Nous supposons qu’ils ont d’autres occasions de se retrouver à l’extérieur, d’autres lieux de sociabilité, comme le café », explique Hélène Zeitoun. Pour Zahia Bensekhri, le dernier rendez-vous de la matinée sera le plus long. « Je connais Zahia depuis des années, confie une quinquagénaire au visage doux et fatigué en s’installant dans le bureau d’entretien. Je viens souvent, à chaque fois qu’il y a des papiers à faire. J’ai peur de me tromper. » Aujourd’hui, elle est venue avec un devis d’orthodontie pour sa fille de 15 ans. « J’ai fait le calcul, presque 3 000 € pour trois ans. Je n’ai pas de mutuelle, juste la sécurité sociale. C’est trop cher. » Faute de place disponible au centre municipal de santé, elle a consulté un cabinet privé du centre-ville. « Il faut que tu demandes la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ou l’aide à la complémentaire santé, insiste la médiatrice. On va s’en occuper. Et tu veux que j’essaie de te décrocher un rendez-vous ailleurs ? » Après de multiples tentatives, elle parvient à obtenir une place à la polyclinique d’Aubervilliers. La femme doit également compléter un dossier de demande d’allocation aux adultes handicapés (AAH). « Il faut expliquer pourquoi je demande, et j’ai beaucoup de mal à m’exprimer. » Son histoire est douloureuse. Licenciée de son emploi pour cause médicale, blessée à l’œil par un pétard un soir d’été, elle se bat contre la dépression. Et, depuis peu, on lui a diagnostiqué une fibromyalgie. « C’est quoi, exactement ? l’interroge Zahia Bensekhri en parcourant des certificats médicaux. Attends, je vais voir avec le médecin pour traduire ça en langage normal. »

L’articulation entre soins et médiation constitue un point central du projet de La Place Santé. Une coopération entre médecins et médiatrices qui se déroule dans le strict respect de leurs secrets professionnels respectifs. Avec l’accord du patient, les médiatrices peuvent ainsi participer aux consultations médicales. « Tous métiers confondus, l’équipe du centre parle 18 langues et dialectes, du bambara au soninké en passant par le créole et le berbère, souligne Stéphanie Musso, chargée de mission en santé communautaire. Mieux comprendre le diagnostic et le traitement permet de limiter les risques de mauvaise observance ou de renoncement aux soins, mais aussi d’améliorer la compréhension du système de santé, et donc d’autonomiser les usagers. » Les médecins peuvent également solliciter les médiatrices pour accompagner les patients dans leurs démarches, et contribuent à l’animation de certains ateliers collectifs. De retour du bureau d’un des généralistes, Zahia Bensekhri saisit un stylo pour compléter le dossier de demande d’AAH. « Douleurs musculaires et articulaires diffuses, étendues à toutes les régions du corps », écrit-elle.

UNE PRÉSENCE PÉRENNE ET BIEN ANCRÉE

En 2012, les médiatrices ont reçu 459 familles dans le cadre des accompagnements individuels. Une enquête qualitative conduite par Stéphanie Musso a permis de lister toutes les démarches administratives effectuées dans ce cadre : accès à la couverture maladie, demandes d’aides financières auprès des caisses, orientation vers les centres de bilan de santé, mise en relation avec la médecine du travail, médiation avec les employeurs en cas d’arrêt maladie, reconnaissance du handicap. Mais les interventions ne se limitent pas à la santé. Le soutien et l’orientation débordent dans les domaines du logement, de l’emploi, du transport, de l’accès à l’éducation ou encore du soutien à la parentalité. « L’objectif, en principe, est de se centrer sur l’accès à la santé et de renvoyer vers nos partenaires pour tout le reste, reconnaît Zahia Bensekhri. Mais si on arrête de faire le pointage par téléphone auprès de Pôle emploi, qui s’en occupera ? » D’autant plus qu’avec « le développement d’Internet, les démarches sont de plus en plus complexes », souligne sa collègue Augustine Ibomabeka. « On a l’impression de remplacer les institutions. Il faut télécharger les formulaires, les notices pour les remplir, et quand on téléphone, on n’a jamais d’interlocuteur, seulement un serveur vocal. » De fait, les médiatrices de l’ACSBE sont les travailleuses sociales les mieux repérées et les plus accessibles sur le quartier. « Elles sont présentes depuis longtemps, donc bien ancrées », assure Hélène Zeitoun. Les permanences des assistantes sociales de la ville n’ont, elles, lieu que le matin et pâtissent du fait que les professionnelles y connaissent un certain turn-over.

La demande de soutien moral, elle, s’exprime rarement de but en blanc. Elle apparaît plutôt pendant les entretiens ou, de façon informelle et détournée, au cours des ateliers collectifs. Chaque lundi matin, par exemple, un petit déjeuner est ainsi offert aux usagers, l’occasion d’évoquer les activités de la structure, mais aussi les événements du quartier, l’actualité nationale, etc. Un atelier consacré à l’estime de soi et animé par une médiatrice se déroule un après-midi par mois. Soins de beauté, goûter… Les femmes s’aident mutuellement et bénéficient de l’interven­tion de la musicothérapeute sur un temps de relaxation. Mais c’est au cours des journées « Bien-être ensemble » que les langues se délient souvent le plus spontanément. Une fois par mois, un groupe de femmes se retrouve dès 9 heures pour préparer un repas, proposé par l’une d’entre elles. Ce matin-là, elles sont six à s’affairer autour d’un îlot de cuisine en Formica, au rez-de-chaussée d’un bâtiment de la cité, place des Sports. Au menu, un repas turc : boulgour aux poivrons, salade de pommes de terre et d’œuf, poulet grillé au four, böreks au ­fromage et aux épinards. Les courses ont été faites la veille avec la médiatrice référente, Asta Touré. « Ici, la nourriture est utilisée comme outil de médiation entre les différentes cultures », précise-t-elle. Vers midi, le groupe s’enrichit d’autres participantes, venues dresser la table et installer les chaises. Après le repas, un débat les attend. Animé par un médecin de La Place et la musicothérapeute, il portera sur la dépression. « Sida, cholestérol, suivi gynécologique, sexualité, stress… Les thèmes abordés sont toujours fixés en début d’année, sur proposition des femmes, insiste Asta Touré. Certaines entament la discussion dès la préparation du repas. D’autres attendent le débat, d’autres encore ne parlent jamais, mais enregistrent toutes les informations. » Quand le besoin d’une écoute plus technique émerge, les médiatrices s’efforcent d’orienter la personne vers des professionnels extérieurs. Mais les ressources accessibles restent limitées, les centres médico-psychologiques du département étant débordés.

Pour assurer toutes ces missions, l’entretien des partenariats est capital – il fait d’ailleurs partie de la méthodologie d’intervention des médiatrices. Le réseau développé depuis vingt ans par l’ACSBE (maison de la santé, centre social municipal, ludothèque associative Les Enfants du jeu, association des femmes du Franc-Moisin, association de prévention spécialisée Canal, etc.) est riche et étoffé, mais pas toujours facile à animer. Par manque de temps, notamment. « Autrefois, nous parvenions davantage à accompagner les familles sur place, auprès des institutions, se rappelle Augustine Ibomabeka. Mais avec l’augmentation des demandes, cela devient plus difficile. » D’autant que les antennes et permanences des administrations ferment les unes après les autres. « C’est dommage, car le contact direct reste le meilleur moyen d’obtenir des informations, de se documenter », regrette-t-elle. Ce matin, tandis que sa collègue se chargeait des rendez-vous, Augustine Ibomabeka s’est ainsi rendue à la dernière permanence de l’assurance maladie avant les congés d’été. « J’avais besoin de renseignements sur la CMU et je voulais avancer dans un projet d’information collective sur les démarches administratives pour la rentrée. » Un atelier reconduit trois années de suite et centré sur cinq thématiques principales : CMU, CMU-C, aide médicale de l’Etat (AME), revenu de solidarité active (RSA) et droit au logement. « Il ne s’agit pas d’aborder des situations individuelles, mais de cibler des personnes débrouillardes et de les amener à se familiariser avec la logique des différentes institutions », insiste Augustine Ibomabeka. L’objectif étant de permettre à ces habitants formés de devenir, à leur tour, des relais dans le quartier. Mais le plein développement de l’atelier a buté sur le degré d’implication des partenaires, réticents à organiser des visites dans leurs locaux. « Les institutions sont prêtes à se déplacer, mais pas à dévoiler leur envers du décor », constate l’ACSBE dans son rapport d’activités.

UN PROJET MÛRI AVEC LES HABITANTS

Dommage, car le projet de l’association repose précisément sur cette appropriation de l’univers administratif, fondement d’une véritable autonomisation. « L’empowerment se situe au cœur de tout notre fonctionnement », martèle ainsi Hélène Zeitoun. Et ce, jusque dans les rouages de La Place Santé. Depuis son origine, le projet a en effet été co-construit avec les habitants du quartier, réunis au sein du comité d’habitants usagers citoyens (CHUC), animé une fois par mois par Zahia Bensekhri et Hélène Zeitoun. Ses membres ont ainsi visité des centres au projet analogue (tel le café social de Belleville), participé à la rédaction du règlement intérieur de La Place, ou encore proposé des animations collectives. « Retrouver sa capacité d’agir, c’est une démarche progressive, affirme Zahia Bensekhri. Les femmes d’ici ont déjà leurs problèmes. Petit à petit, elles apprennent à se libérer. A cheminer individuellement, pour prendre conscience qu’elles portent quelque chose de collectif. » L’association joue un rôle actif dans cette maturation. Elle amène ainsi les membres du CHUC – principalement des femmes – à partager leur expérience avec des chercheurs ou d’autres collectifs similaires, mais aussi à se former, notamment auprès de l’institut Renaudot, centre de ressources en santé communautaire. Un parcours que les médiatrices elles-mêmes connaissent bien pour l’avoir vécu : à force de ténacité, ces anciennes femmes-relais, souvent bénévoles, sont désormais toutes titulaires du titre professionnel de technicien médiation services (voir encadré). Pour Stéphanie Musso, ce passage par la qualification atteste du « caractère professionnel » de leur activité. « C’est un vrai métier, avec une vraie qualité de service. » Reste à consolider le modèle de l’association, en particulier en assurant la pérennité de ces postes, qui relèvent actuellement de contrats adultes-relais renégociés tous les trois ans. Pas facile avec un budget annuel limité à 800 000 € provenant de différentes sources (Etat, région, fondations, sécurité sociale…) pas toujours pérennes. « On en est à cinq renouvellements, pointe Hélène Zeitoun. Cela n’a pas de sens. Nos médiatrices maîtrisent le projet de l’ACSBE, nos méthodologies d’intervention, elles se forment en permanence. Et leur projet de carrière, c’est de rester ici. Au plus près des habitants. »

FOCUS Le technicien médiation services

Inscrit depuis 2004 au Répertoire national des certifications professionnelles, le titre professionnel de technicien médiation services (TMS) vise à structurer et à professionnaliser le secteur de la médiation sociale, né dans les années 1990 d’initiatives de bénévoles ou d’associations dans les quartiers de la politique de la ville, en particulier à travers des groupes de femmes-relais. De niveau IV, ce titre est composé de trois certificats de compétences professionnelles : participer à des réseaux professionnels et contribuer à une veille sociale territoriale ; assurer un service de médiation ; faciliter et organiser des activités support à la médiation sociale. Il est accessible par la formation continue, en contrat de professionnalisation ou via la validation des acquis de l’expérience (VAE). Le métier dispose depuis peu de son propre code Rome (K1204, médiation sociale et facilitation de la vie en société), mais n’apparaît pas dans les conventions collectives du secteur social et médico-social.

Notes

(1) ACSBE – La Place Santé : 17, rue de Lorraine, 93200 Saint-Denis – Tél. 01 48 09 09 15 – http://acsbe.asso.fr.

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