Comment les majeurs protégés vivent-ils leur mesure de protection ? Pour le savoir, le centre régional pour l’enfance et l’adolescence inadaptées (CREAI) Nord-Pas-de-Calais et l’université Charles-de-Gaulle Lille-3 ont réalisé une étude qualitative auprès de 23 personnes (15 hommes et 8 femmes) vivant en autonomie, en établissement ou au domicile de leurs parents (1). L’échantillon de personnes rencontrées présente une forte hétérogénéité en termes d’âge et de handicap ou d’état de santé, mais il ne s’agit pas là de variables discriminantes dans les réponses obtenues, par exemple en ce qui concerne la compréhension de la mesure, constatent Muriel Delporte, Anne-Sophie Duez et Celina Tourlouse. « Les personnes qui ne savent pas quelle est leur mesure ni en quoi elle consiste ne sont pas forcément des personnes porteuses d’un handicap susceptible d’altérer leurs capacités de compréhension ou de mémorisation », précisent les chercheuses. Elles relèvent d’ailleurs un manque de connaissances global des majeurs quant au dispositif de protection en général ou à leur situation en particulier – ancienneté et nature de la mesure, motif de son attribution, type de mandataire (2).
Mais cette ignorance ne paraît pas avoir d’impact important sur le vécu de la mesure. « Certaines personnes savent que quelqu’un s’occupe d’elles, que la mesure leur permet d’être à l’abri de la précarité, et cette information est suffisante en soi », notent les chercheures. La sécurité que confère la protection joue beaucoup en sa faveur. Plusieurs personnes expliquent que grâce à la mesure elles ont pu sortir de l’endettement, arrêter de boire, trouver un logement, renouer des relations familiales. La mesure de protection permet ou a permis de ne plus « s’enliser » ou de « remonter », voire constitue une sorte de garantie de pouvoir toujours « s’en sortir ». Mais précisément, plusieurs personnes, jugeant que la mesure a été efficace pour les aider à se dégager de situations difficiles, désirent qu’il y soit désormais mis fin. « Elles vivent la mesure comme un obstacle à la normalité, à la réalisation de leur projet de vie, et souhaitent la mainlevée, parfois de façon progressive en commençant par un allégement : elles verbalisent leur besoin d’être accompagnées vers l’autonomie », commentent les auteures.
Dans le domaine des relations avec le mandataire – dont le manque de disponibilité et le turnover sont déplorés –, les attentes sont variables. Certains majeurs protégés opèrent une distinction claire entre la gestion administrative et financière, qui concerne le professionnel, et leur vie privée, qui doit le rester ; d’autres n’hésitent pas à aborder tous les sujets avec lui, y compris les plus intimes. Quoi qu’il en soit, s’en remettre au mandataire pour gérer ses affaires ne signifie pas s’en désintéresser. Les personnes souhaitent un droit de regard et de participation : « Elles ont besoin d’avoir accès à leur compte même si elles n’en maîtrisent pas tous les détails » et acceptent d’ailleurs les refus d’argent s’ils sont explicités. Plus globalement, les intéressés expriment leur satisfaction quand ils sont consultés sur des décisions. La volonté d’implication des majeurs protégés est néanmoins à nuancer : le fait de ne plus avoir à gérer leurs finances et leurs démarches administratives est, pour certains, un réel soulagement, qui participe à leur bien-être.
(1) « Etude Majeurs protégés : vivre une mesure de protection juridique » – Les cahiers de la DRJSCS, DRJSCS Nord-Pas-de-Calais – Mai 2012 – Disponible sur
(2) 14 personnes ont une mesure exercée par un mandataire associatif, une par un mandataire privé, deux par un préposé d’établissement et six ne savent pas par quel type de professionnel.