Dans la foulée de la fin des concertations avec les partenaires sociaux, le Premier ministre a, le 27 août, dévoilé les grandes lignes de la future réforme des retraites qui sera soumise au conseil des ministres le 18 septembre et à l’Assemblée nationale dès le 7 octobre. Une réforme – accueillie très diversement (1) – censée « rétablir durablement l’équilibre » des régimes de retraite et qui s’appuie sur les travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR) (2) et de la commission pour l’avenir des retraites (3). Rappelons que le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus s’élève aujourd’hui à 15 millions et sera de 20 millions en 2035. L’espérance de vie à 60 ans devrait, quant à elle, continuer à augmenter et atteindre un peu plus de 25 ans pour les hommes et 30 ans pour les femmes en 2035. Conséquence : un besoin de financement d’environ 21 milliards d’euros d’ici à 2020 – 7,6 milliards pour le seul régime général – et de 27 milliards d’ici à 2035.
Pour assurer l’équilibre des régimes de retraite en 2020, le gouvernement a décidé que la cotisation d’assurance vieillesse due par les actifs et par les entreprises augmentera de 0,15 point en 2014, puis de 0,05 point chacune des trois années suivantes. « Au final, illustre-t-il, quand la hausse de la cotisation aura atteint 0,3 point [en 2017], elle représentera un effort d’environ 4,50 € par mois. » Tous les régimes de retraite seront concernés, « selon des modalités propres ». En outre – promesse faite au Medef en contrepartie de cette hausse de cotisation –, Jean-Marc Ayrault s’est engagé, dans le cadre des travaux du Haut Conseil pour le financement de la protection sociale, à mener une réflexion pour que la future réforme du financement de la protection sociale (4) pèse moins sur le coût du travail et donc sur l’emploi. Une évolution qui devrait s’amorcer en 2014, a-t-il assuré.
Le Premier ministre a également annoncé que la durée de cotisation nécessaire pour l’obtention d’une pension de vieillesse à taux plein évoluerait de un trimestre tous les trois ans entre 2020 et 2035. Elle passerait ainsi de 41 ans et trois trimestres pour les assurés nés en 1958 – qui atteindront l’âge légal de départ à la retraite (62 ans en 2020) – à 43 ans pour ceux nés en 1973. Une mesure qui s’appliquera aux salariés et aux fonctionnaires.
Par ailleurs, la majoration de pension de 10 % des retraités ayant eu trois enfants ou plus devrait bientôt être soumise à l’impôt sur le revenu. Un dispositif que le gouvernement veut en outre refondre pour qu’il « bénéficie davantage aux femmes et puisse intervenir dès le premier enfant ». Pour les retraités actuels et ceux qui partiront à la retraite d’ici à 2020, les règles ne seront pas modifiées, a-t-il assuré. Au-delà de cette date, « la majoration actuelle sera progressivement plafonnée et transformée en majoration forfaitaire par enfant » et « bénéficiera principalement aux femmes ».
A noter : la revalorisation des pensions de vieillesse devrait à l’avenir intervenir le 1er octobre de chaque année (et non plus le 1er avril).
Dans un rapport publié en début d’année (5), le COR a jugé que le dispositif de retraite anticipée pour pénibilité créé en 2010 (6) n’était pas à la hauteur des enjeux. Aussi, afin de mieux prendre en compte la pénibilité au travail, un « compte personnel de prévention de la pénibilité » devrait être créé dès 2015. Ouvert pour tout salarié du secteur privé exposé à des conditions de travail réduisant l’espérance de vie, il permettra, selon Matignon, de cumuler des points en fonction de l’exposition à un ou plusieurs facteurs de pénibilité. Chaque trimestre d’exposition donnera droit à un point ou à deux points en cas d’exposition à plusieurs facteurs, le nombre total des points étant plafonné à 100. Ceux-ci pourront être utilisés pour :
→ suivre des formations permettant au salarié de se réorienter vers un métier moins pénible ;
→ financer un maintien de rémunération lors d’un passage à temps partiel en fin de carrière ;
→ bénéficier de trimestres de retraite.
Le barème de conversion des points en trimestres de formation, temps partiel et retraite devrait être le suivant : 10 points donnent droit à un trimestre, sachant que les 20 premiers points devraient être obligatoirement consacrés à la formation (7).
Coût du dispositif, selon le gouvernement : « moins de un milliard d’euros à l’horizon 2020 et quelque 2 à 2,5 milliards à l’horizon 2035 ». Pour le financer, il entend instaurer en 2016 une nouvelle cotisation à la charge des employeurs, qui sera modulée en fonction de la pénibilité propre à chacune des entreprises. Selon Marisol Touraine, qui s’exprimait le 28 août sur RTL, le dispositif « ne sera pas rétroactif ».
Afin de rendre le système des retraites « plus juste » pour les femmes, le gouvernement entend mieux prendre en compte les trimestres d’interruption au titre du congé maternité. A compter du 1er janvier 2014, devraient ainsi être validés autant de trimestres que de périodes de 90 jours de congé maternité (au lieu de 60 jours). Et tous les trimestres de congé maternité devraient être réputés cotisés.
Pour les assurés exerçant une activité professionnelle à temps très partiel – essentiellement les femmes –, les règles de validation d’un trimestre seront modifiées, indique Matignon. Dès le 1er janvier 2014, ils devront, au minimum, justifier l’équivalent de 150 heures rémunérées au SMIC pour pouvoir valider un trimestre (contre 200 heures aujourd’hui). Afin de limiter les effets d’aubaine dont bénéficient actuellement les salariés percevant une rémunération élevée, le Premier ministre a précisé qu’un plafond serait institué : « ne seront [alors] prises en compte pour le calcul de la durée que les cotisations portant sur un revenu mensuel inférieur à 1,5 SMIC ». En outre, il devrait être possible de reporter des cotisations non utilisées pour valider un trimestre sur l’année suivante.
Autres mesures de justice, en faveur des jeunes cette fois, selon Jean-Marc Ayrault : permettre aux apprentis et aux jeunes en alternance de valider tous leurs trimestres d’apprentissage. A l’heure actuelle, explique-t-il, les apprentis cotisent sur une assiette forfaitaire inférieure à leur rémunération et trop faible pour leur permettre de valider une durée d’assurance vieillesse au moins égale à celle de leur contrat. « L’assiette de cotisation des apprentis sera [donc] réformée afin de leur permettre de valider à l’avenir un nombre de trimestres de retraite correspondant au nombre de trimestres travaillés, quelle que soit leur rémunération », a annoncé le chef du gouvernement. Par ailleurs, il souhaite donner la possibilité aux jeunes entrant dans la vie active de racheter, à un tarif préférentiel, des trimestres d’assurance. Certes, les assurés peuvent déjà racheter des trimestres au titre de leurs études supérieures depuis 2003, le tarif du rachat variant selon l’âge et le niveau de revenu. Mais « il est relativement élevé pour des jeunes entrant dans la vie active, ce qui le rend très peu utilisé », reconnaît Jean-Marc Ayrault. Aussi propose-t-il que ces jeunes puissent racheter, à un tarif préférentiel, quatre trimestres au maximum « dans un délai de cinq ou dix ans suivant la fin des études ».
Un geste est également fait en direction des assurés ayant eu des « carrières heurtées ». Comme les périodes de chômage indemnisé, les périodes de formation professionnelle seront assimilées à des périodes d’assurance, a indiqué le gouvernement, précisant qu’un trimestre serait validé pour chaque période de 50 jours de stage. En outre, a-t-il souligné, « afin d’éviter que l’alternance entre chômage non indemnisé et emploi se traduise par de moindres validations de droits, les périodes de chômage non indemnisé seront validées continûment si l’assuré reste inscrit à Pôle emploi, même en cas de reprise d’emploi ». Enfin, pour mieux prendre en compte les accidents de carrière pour les assurés ayant eu une carrière longue, ces derniers bénéficieront, à compter du 1er janvier 2014, de deux trimestres supplémentaires de chômage et de deux trimestres d’invalidité.
Enfin, actuellement, le minimum contributif n’est versé à l’assuré que si l’ensemble de ses retraites personnelles légalement obligatoires est inférieur à 1 028,17 € mensuels. En cas de dépassement, le minimum contributif est écrêté. Le gouvernement entend porter ce seuil à 1 120 € à compter du 1er janvier 2014.
Le gouvernement entend faciliter l’accès à la retraite anticipée des personnes handicapées. Celles-ci peuvent aujourd’hui liquider une pension de vieillesse à taux plein dès l’âge de 55 ans, sous réserve de justifier de la durée d’assurance requise pour leur génération, et de la qualité de travailleur handicapé ou d’un taux d’incapacité permanente de 80 %. Un taux qu’il entend abaisser à 50 % pour « ne pas léser certains assurés », explique Jean-Marc Ayrault. Et, pour ceux qui justifieraient de ce nouveau taux, il propose d’ouvrir dès 62 ans (contre 65 ans) l’accès à une pension à taux plein sans condition de durée d’assurance.
Autre proposition du Premier ministre : accorder aux assurés ayant eu à leur charge un adulte lourdement handicapé une majoration de leur durée d’assurance de un trimestre par période de 30 mois de prise en charge à temps complet, dans la limite de huit trimestres. Il souhaite aussi supprimer la condition de ressources que doivent remplir les aidants familiaux d’un enfant ou d’un adulte handicapés pour pouvoir être affiliés à l’assurance vieillesse des parents au foyer (8).
(1) Seule la CFDT se félicite du projet gouvernemental. La CFTC, elle, juge les mesures « acceptables ». Quant aux autres syndicats et au MEDEF, ils qualifient ce projet de « non-réforme ».
(2) Le conseil a en effet rendu deux rapports, l’un sur les projections financières à moyen et long terme, l’autre sur l’état des lieux du système de retraite – Voir respectivement ASH n° 2789 du 28-12-12, p. 8 et n° 2795 du 1-02-13, p. 14.
(7) Pour les salariés proches de l’âge de la retraite qui ne pourraient accumuler suffisamment de points, les points acquis seront doublés et le minimum de 20 trimestres de formation ne s’appliquera pas.
(8) Pour une présentation détaillée de ce dispositif, voir ASH n° 2765 du 22-06-12, p. 43.