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L’association France Parrainages recrute des bénévoles pour soutenir des enfants confrontés à de grandes difficultés sociales. Son antenne lilloise, qui suit plus de 200 jeunes, travaille en lien étroit avec les institutions de la protection de l’enfance du Nord.

C’est une énorme valise, au milieu de la cour de la maison des enfants (MDE) de Croix, dans la banlieue de Lille. Celle de Karine, 16 ans, qui part en vacances pour un mois en compagnie de sa marraine, Sophie Oger, après un passage facile en 1re S. Elles se connaissent depuis trois ans, grâce à l’association France Parrainages (1). « Karine est arrivée chez nous à l’âge de 6 ans, avec un retour chez sa mère entre 2007 et 2008 », se souvient Sylvie Lemière, éducatrice de jeunes enfants et chef de service de la MDE. La décision a été prise de mettre en place un parrainage quand une éducatrice, avec qui Karine avait noué un lien fort, est partie. L’adolescente avait alors exprimé le besoin d’un tête-à-tête avec un adulte, si possible une femme célibataire. Il aurait été envisageable de la placer chez une assistante familiale – « mais je ne me sentais pas à l’aise en famille d’accueil », témoigne-t-elle.

DANS LE RESPECT DE LA VOLONTÉ DES FAMILLES

Le principe du parrainage consiste à mettre en lien un référent adulte avec des enfants et des familles qui en expriment le besoin. Ce référent est bénévole. Une dimension importante, pour des jeunes qui comprennent la force de cet engagement. Denis Williame, éducateur spécialisé, de l’équipe France Parrainages du Nord (2), explique : « En Afrique, un proverbe dit qu’un enfant, pour grandir, a besoin de tout un village autour de lui. Le parrain est l’un des habitants de ce village. » Pour Sylvie Lemière, le parrainage est aussi une façon de ne pas empiéter sur la volonté des familles. « Beaucoup de parents ne sont pas prêts à laisser partir leurs enfants vivre chez une assistante familiale à cause des enjeux de rivalité, explique-t-elle. Le parrainage est une troisième voie. » Les parents gardent en effet toute leur place puisque le dispositif ne peut se mettre en place qu’avec leur accord. Souvent, toutefois, l’institution à qui l’enfant est confié fait le premier pas. « On compte 9 000 enfants placés dans le Nord, indique Colette Devaux, éducatrice spécialisée devenue responsable de l’équipe France Parrainages après avoir travaillé en assistance éducative en milieu ouvert (AEMO). Sur les 206 enfants que nous accompagnons, 157 sont dans ce cas. » Une spécificité propre au département du Nord, qu’on ne retrouve ni en Ile-de-France, ni dans le Loiret, ni en Picardie, ni en Bretagne, où France Parrainages est également présente. Colette Devaux est d’ailleurs à l’origine de l’ouverture de l’antenne nordiste, en 2002 : « J’étais à la recherche d’une aide pour une maman toxicomane. J’ai contacté l’association, qui m’a dit qu’elle n’avait pas de relais dans le Nord mais qu’elle cherchait à s’y implanter. »

Tous les profils sont acceptés en vue d’un parrainage : enfants placés, suivis en AEMO, pupilles, jeunes handicapés, mineurs isolés… Avec des situations parfois très lourdes, comme ces six enfants d’une même fratrie placés en accueil provisoire après une tentative de suicide de leur mère, celle-ci affirmant ne plus pouvoir s’en occuper. La seule condition est que l’intérêt du jeune reste le critère déterminant. Car le parrainage n’est pas fait pour suppléer à des problèmes d’effectifs, le week-end, dans un internat. « Cela peut cependant arriver », reconnaît Colette Devaux. A Lille, en plus de la chef de service, l’association compte quatre éducateurs spécialisés et une secrétaire. Son budget est de 420 000 € par an, dont 150 000 € en provenance du conseil général. Chaque semaine, lors de la réunion d’équipe, les travailleurs sociaux se répartissent les nouvelles situations et prennent contact avec le travailleur social à l’origine de la demande. Une rencontre avec la famille est alors programmée pour lui expliquer le fonctionnement du parrainage et vérifier son accord. Des outils de communication – une vidéo et une bande dessinée – sont utilisés afin de désamorcer les angoisses. « Les parents doivent mûrir le projet, précise Colette Devaux. Nous leur demandons en particulier quels parrains ils imaginent pour leur enfant. » Certains ne souhaitent pas de « gens bourgeois », sans doute par crainte d’un décalage trop grand avec leur propre milieu. D’autres voudraient un parrain ou une marraine plus âgés, en quelque sorte des grands-parents de substitution. On évoque aussi la personnalité et les hobbies du jeune. Est-il calme, réservé, dynamique, etc. ? Les questions sensibles sur la religion et la culture familiale ne sont pas évitées. Les éducateurs posent également quelques règles. Par exemple, la même personne ne peut pas parrainer toute une fratrie, seulement un des enfants. Des frères et des sœurs peuvent ainsi avoir chacun un parrain différent. « Nous trouvons que c’est mieux. Ce temps de séparation peut être important, pour se retrouver, se raconter », analyse Colette Devaux.

Une fois les bases posées, les jeunes, qui ont souvent hâte de commencer, doivent faire preuve de patience car les demandes de parrainage sont plus nombreuses que les bénévoles prêts à parrainer. Une centaine de jeunes se trouvent actuellement en liste d’attente pour une quarantaine de parrains en cours de recrutement. D’autant qu’il existe le filtre d’une sélection obligatoire. L’association recrute toute l’année, à raison de trois réunions d’information par mois. En ce soir de juin, on trouve autour de la table des gens de toutes sortes. La chef de service évoque d’abord l’état d’esprit des parents qui veulent que leurs enfants s’en sortent. Elle cite l’exemple de la mère d’un tout petit, qui souhaite reprendre des études. Une participante l’interrompt : « Mais alors, c’est seulement pour faire la nounou ? » Colette Devaux rassure : « Il faudra bien sûr poser des limites, mais c’est surtout un soutien qu’elle demande. » Avant d’insister sur le fait que le rôle du parrain ou de la marraine n’est pas de « gâter » son filleul : « Vous n’êtes pas là pour jouer au père Noël ou l’habiller de neuf. »

NI ADOPTION NI ALTERNATIVE À LA PARENTALITÉ

L’équipe de France Parrainages navigue en permanence entre deux écueils : d’un côté, des parents ou des institutions tentés d’instrumentaliser le parrain ; de l’autre, des parrains trop intrusifs dans la vie du jeune et de la famille. Le cadre du parrainage doit donc être clair et compris par tous : il ne s’agit en aucun cas d’une adoption, ni même d’une alternative à la parentalité. « Nous sommes très attentifs à la place que les parrains doivent laisser aux parents. Nous évaluons également leurs capacités à se laisser bousculer par d’autres situations que la leur », précise Colette Devaux. Car, souvent, les volontaires ne connaissent pas le domaine social et n’imaginent pas ce qu’ont vécu les enfants ni les difficultés que rencontrent les familles. Pour eux, il s’agit bien souvent d’un autre monde. Colette Devaux aborde le sujet sans gants devant les volontaires : « Il faut avoir une curiosité culturelle et une ouverture au social, car l’enfant vient d’un milieu en général plus pauvre où les références ne sont pas les mêmes. » Comme dans le cas de cette petite fille qui, emmenée à une fête de famille par sa marraine, avait demandé à la cantonade : « Alors, qui va en prison, ici ? »

LA PRÉSERVATION DU SECRET PROFESSIONNEL

En fin de réunion, Colette Devaux distribue un questionnaire pour ceux qui souhaitent entrer dans le circuit de recrutement. Tous les modèles familiaux sont acceptés : les couples mariés, ceux qui vivent en concubinage, les couples homosexuels, les célibataires, les familles nombreuses ou recomposées… La chef de service prend rendez-vous avec le bénévole pour un premier entretien afin de cerner sa personnalité et ses motivations. Puis un deuxième entretien a lieu pour affiner ce qui pourrait mettre en difficulté les parrains potentiels. Par exemple, les réactions d’un adolescent en crise, les confidences d’un enfant victime de maltraitances sexuelles, un handicap physique ou mental lourd… « Je demande toujours à un éducateur spécialisé de venir avec moi lors de ces deux entretiens, et pas forcément le même », précise la responsable. D’abord, pour ne pas s’en tenir à la subjectivité d’un seul regard ; ensuite, pour que d’autres professionnels connaissent le dossier. Ce n’est qu’après, en réunion d’équipe, que la candidature est validée ou non. Les réticences sont librement abordées. « Je pense à ce couple qui veut un enfant sans famille. A mon avis, ils sont plutôt dans une démarche d’adoption », commente Colette Devaux. Un nouveau rendez-vous est alors programmé avec le couple.

C’est seulement à la fin de ce parcours sélectif, qui vise à assurer la qualité du parrainage, que l’équipe réfléchit à l’adéquation des profils. Quel parrain pour quel enfant ? Marie (3) a du temps à donner. Ses enfants sont grands et ont quitté la maison. Elle voudrait aider une jeune mère avec un bébé. « J’ai une mère de 19 ans avec un bébé de 24 mois », signale Delphine Bodic, éducatrice spécialisée. Il faudra juste veiller à poser des limites aux demandes des parents, car Marie pourrait « avoir des difficultés à dire non », analyse l’équipe, qui se donne le temps de la réflexion. Une fois la décision prise, le parrain est averti et l’éducateur spécialisé qui connaît le mieux la situation de l’enfant lui en trace les grandes lignes, mais sans entrer dans les détails. « Nous ne partageons pas tout le dossier, précise Colette Devaux. Il ne s’agit pas de rompre ici pour un tiers, fût-il prêt à laisser entrer l’enfant dans son cercle familial, le secret professionnel nécessaire. » L’éducateur spécialisé prévient aussi le référent social de l’enfant et la famille.

Delphine Bodic a justement rendez-vous ce jour-là au domicile d’Isabelle Carbon, un petit appartement où cette mère de famille vit seule avec ses trois enfants. Elle connaît bien France Parrainages. Sa fille aînée est déjà parrainée et a noué des liens forts avec sa marraine. « Le parrainage a été très positif pour ma fille, j’ai souhaité la même chose pour mon second, Matis. Je voudrais trouver des gens bien car ce n’est pas évident de s’occuper de trois enfants en même temps. » Matis est un remuant petit bonhomme de 7 ans. Delphine se penche vers lui, sous le regard complice de la maman. « Tu vas pouvoir aller chez Philippe et Sandrine, ils ont une fille de 16 ans et un garçon de 13 ans. Ça te va, des grands enfants ? » Matis hoche sa bouille toute ronde. L’éducatrice poursuit : « Mais comme il y a les grandes vacances, tu ne les verras que fin août, dans deux mois, quand tu reprendras l’école. » Elle prévient : « Chez tes parrains, il y a des règles, peut-être d’autres que chez maman. Tu seras peut-être surpris au début. »

La première réunion entre enfant, parent(s) et parrain se tient au siège de l’association, un lieu neutre, en présence de l’éducateur spécialisé qui suit le dossier. Cette prise de contact permet aussi de signer la convention et les autorisations de soins et de transports nécessaires. Un calendrier est tout de suite mis en place car, en général, l’enfant souhaite que le parrainage commence au plus vite. Habituellement, on débute par une journée d’accueil puis, si tout se passe bien, une journée et une nuit, puis un week-end complet. Ensuite seulement viennent des vacances en commun, lorsque la confiance est installée. Les éducateurs de l’association assurent un suivi avec des points réguliers et sont toujours prêts à répondre aux questions, notamment à celles des travailleurs sociaux qui suivent l’enfant en institution et peuvent alerter France Parrainages sur d’éventuelles difficultés. C’est arrivé à la MDE de Croix pour un parrainage où le courant n’est pas passé entre l’enfant et le parrain. « C’était un couple homosexuel, et, en dépit de nos précautions, le jeune ne s’y est pas retrouvé, confie Sylvie Lemière, la chef de service. Quand la situation est complexe, nous alertons le centre de parrainage. Souvent, les observations des parrains et marraines rejoignent les nôtres. Nous nous mettons alors autour de la table. »

De fait, les échecs sont rares. L’antenne de Lille affiche seulement trois ou quatre cas en onze années d’existence. Ce qui n’empêche pas tous les parrains de s’interroger, à un moment ou à un autre, sur ce qu’ils apportent à l’enfant. Pour cette raison, l’association organise régulièrement des groupes de parole, afin de partager les expériences. Ce jeudi soir, la thématique est l’adolescence en crise. Dominique Guévenoux, psychanalyste, s’attache à rassurer : « Le parrain apporte un temps et un espace pour parler. » Mais les inquiétudes demeurent. « Ce n’est pas notre rôle de nous immiscer dans la relation avec sa maman, mais on aimerait l’aider », explique l’un des participants. Le psy lâche en souriant : « Vous êtes comme la Suisse en pleine guerre, un territoire neutre où l’adolescent peut déposer les armes. » Pour sa part, Denis Williame rappelle la nécessité de la patience : « Les fruits de ce qu’on a donné il y a dix ans, on les voit aujourd’hui. Les choses dites peuvent résonner beaucoup plus tard. »

MAINTENIR UNE DISTANCE NÉCESSAIRE

France Parrainages joue un rôle de passerelle. « Nous sommes un lien entre tout le monde, confirme Karine Lefèvre, l’une des éducatrices spécialisées. Nous faisons le tri entre tout ce qui se dit et nous mettons en avant ce qui est nécessaire pour bien accompagner le parrainage. » C’est parfois très simple, comme le décryptage pour les parrains du fonctionnement d’une institution éducative. « Si les lunettes d’un enfant se cassent, dans un foyer, ce peut être une affaire de plusieurs semaines pour les remplacer car il faut vérifier les assurances, prendre rendez-vous en tenant compte des absences des éducateurs… », éclaire Denis Williame. Indignation assurée chez les parrains ! « Nous apportons alors de la compréhension », conclut l’éducateur.

Parfois aussi, il faut renouer le fil entre parrains et parents. Delphine Bodic évoque l’appel d’une maman inquiète pour son fils, revenu d’un week-end avec un œil tuméfié. Ce n’était, semble-t-il, qu’un coup de coude donné lors d’un chahut entre enfants, et les marques ont vite disparu. Mais la mère a alerté tout le monde, référent social compris. « On peut comprendre cette mère, qui a déjà été soupçonnée de maltraitance, analyse Colette Devaux. Elle a besoin de se rassurer, en montrant à tous qu’elle ne lui a pas fait mal. » La décision est alors prise d’alerter la famille marraine : le garçon ne supporte pas les bagarres, à cause des violences subies.

Il est en tout cas important « de ne pas être seule », rappelle Karine Lefèvre. Ne serait-ce que parce qu’une situation n’est jamais totalement contenue dans un dossier. Récemment, la travailleuse sociale, lors d’un premier bilan pour un parrainage, s’est rendu compte que la petite fille souffrait d’une déficience plus lourde qu’elle ne l’imaginait. « Cela peut être plus difficile pour les parrains. Il faut donc que je réfléchisse avec l’équipe à l’accompagnement à mettre en place. » Pour aider l’équipe, une séance de supervision a lieu chaque mois, animée par un psychologue extérieur. Heureusement, beaucoup de parrainages se passent bien. Ainsi, entre Karine et sa marraine, la complicité est évidente. « Je partage avec elle des moments exceptionnels, les week-ends, les vacances, je ne gère pas le quotidien », sourit Sophie Oger. Ce qui l’aide à maintenir la distance nécessaire : marraine mais pas mère. Karine, elle, voit ces moments comme « une pause qui coupe du foyer ». Denis Williame, comme toute l’équipe, est persuadé de la validité du modèle : « Je ne connais aucune autre action dans le domaine social où il y a une telle dimension du don et du partage. »

Notes

(1) Créée en 1947, France Parrainages accompagne des enfants en France et dans plusieurs autres pays : www.france-parrainages.org.

(2) Antenne Nord : 17, rue Colbrant – 59000 Lille – Tél. 03 20 74 89 37 – nord@france-parrainages.org

(3) Certains prénoms ont été modifiés.

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