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RSA : un droit à l’accompagnement à construire

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La loi du 1er décembre 2008 qui a généralisé le revenu de solidarité active (RSA) a, en valorisant la dimension professionnelle de l’insertion, rompu avec l’approche globale des situations qui prévalait depuis la création du revenu minimum d’insertion vingt ans plus tôt. C’est le regret de Marie-Odile Grilhot, assistante sociale, coordinatrice d’un lieu d’accueil de bénéficiaires du RSA, et auteure d’un récent ouvrage sur ce dispositif (1).

« Le plan interministériel de lutte contre les exclusions de janvier 2013 (2), le comité national d’évaluation du RSA (3), la DARES dans une récente étude (4), interrogent les pratiques du travail social. On parle de sa nécessaire “refondation”, d’une meilleure coordination des acteurs sociaux, de la place d’acteur de la personne bénéficiaire de prestations d’aide sociale, du rôle du référent unique dans l’accompagnement des bénéficiaires du RSA. Les pouvoirs publics s’inquiètent de l’ampleur du non-recours aux droits sociaux, ce qui est le cas du RSA, mais pas seulement.

Les objectifs poursuivis en 2008 par le législateur, lorsqu’il a généralisé le RSA, se heurtent à des pratiques sociales qui sont de plus en plus segmentées au lieu de s’inscrire dans un accompagnement globalisé de la personne. Pourtant, le législateur a renforcé ce que l’on peut nommer aujourd’hui un “droit à l’accompagnement”, notion qui est véritablement une innovation majeure dans le droit de l’aide et de l’action sociales.

Le titulaire du RSA doit bénéficier d’un accompagnement. A cette fin, la loi organise un processus d’orientation et d’accompagnement. Soit la personne est proche de l’emploi : elle est dirigée vers Pôle emploi et signe un projet personnalisé d’accès à l’emploi ; soit elle est orientée vers un organisme d’accompagnement vers l’emploi avec lequel elle signe un contrat d’engagements réciproques. Ce n’est qu’en cas de freins psychosociaux rencontrés dans son parcours de retour vers l’emploi qu’une réorientation pourra être proposée vers un référent social (service social généraliste du conseil général, centre communal d’action sociale ou lieu d’accueil agréé par le département). Le droit à l’accompagnement social devient alors “subsidiaire”, selon la professeure de droit Diane Roman, à l’accompagnement professionnel (5).

Il semble que la loi de 2008 atteigne ses limites dans ces modalités d’orientation et de segmentation des parcours des bénéficiaires. En effet, le texte entérine la segmentation du public sur le critère de l’employabilité. Au département le soin de prendre en charge et de payer le RSA aux foyers éloignés de l’emploi, “inemployables”, qui présentent des freins à l’accès à l’emploi. A l’Etat, via Pôle emploi, la prise en charge des titulaires directement “employables”. La préconisation de l’approche globale des situations de pauvreté et d’exclusions initiée par la loi du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion (RMI) semble aujourd’hui le parent pauvre de la réforme de 2008.

Le législateur de 2008 met l’accent sur l’insertion professionnelle. Le processus mis en place s’inscrit dans une volonté affichée d’orienter vers les institutions de l’emploi. Quatre ans après sa mise en œuvre, cependant, le constat est amer : l’insertion professionnelle n’est pas au rendez-vous de ce dispositif.

Il existe, à mon sens, et malgré la situation socio-économique, des pistes de réflexion et de travail pour l’avenir.

D’un droit à l’accompagnement…

Sur le fond, le RMI de 1988 avait pour ambition non seulement de procurer un minimum vital, mais aussi de garantir un nouveau droit en matière d’aide et d’action sociales, le droit à l’accompagnement. En cela, il a inauguré de nouvelles pratiques sociales. Il ne s’agit plus de répondre aux besoins exprimés par les bénéficiaires de l’aide sociale sur le mode de l’évaluation psychosociale mais bien de se situer dans un cadre juridique contraignant, le contrat d’insertion (un contrat à caractère “pédagogique”, pour le professeur de droit Robert Lafore [6]), qui détermine les actions à mettre en place pour que le titulaire du RMI bénéficie de l’offre d’insertion. Ce droit à l’accompagnement revêtait en 1988 un caractère quasi généraliste. L’approche globale des situations sociales des bénéficiaires était alors privilégiée. La loi du 1er décembre 1988 a été modifiée par la loi du 29 juillet 1992, l’article sur le contenu du contrat d’insertion étant réécrit en faveur d’actions d’insertion à dimension sociale. Sont ajoutés, par exemple, les loisirs, la culture, le sport, la participation à la vie sociale du quartier ou de la commune. Certaines formes d’insertion sont précisées, telles que les conditions d’habitat qui deviennent un projet de relogement ou bien encore d’amélioration de l’habitat. La loi du 29 juillet 1992 identifie, sans contestation possible, le contrat d’insertion comme un contrat à dimension sociale, avant d’être un possible contrat à dimension professionnelle. Ainsi que l’analyse Xavier Prétot, la loi du 29 juillet 1992 “confirme pleinement l’approche globale des phénomènes d’exclusion sociale et de grande pauvreté” (7). Le RMI s’inscrit de cette manière dans une perspective d’ensemble qui tend à faire de la lutte contre la grande pauvreté un impératif national. Ce que confirmera, six ans plus tard, la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions.

… à une prestation d’aide sociale

Que s’est-il passé depuis ? A la veille de la décentralisation du RMI et de la création du revenu minimum d’activité (RMA) en janvier 2004, plus de 50 % des bénéficiaires du RMI, selon la Cour des comptes, n’avaient pas contractualisé. Peu à peu, le RMI est donc devenu une prestation d’aide sociale à caractère inconditionnel. Ce n’est pas l’échec du “i” du RMI qui est ici à déplorer, mais la non-réalisation du droit à l’accompagnement faute de signature du contrat d’insertion. L’ambition première de la loi de 1988 est détournée en raison de l’incompréhension de l’impact du contrat d’insertion en tant qu’outil de travail social par les travailleurs sociaux et par les institutions gestionnaires du dispositif jusqu’à sa décentralisation.

A compter de la décentralisation au 1er janvier 2004, organisée par la loi du 18 décembre 2003, le président du conseil général est responsable des deux volets du RMI, soit le versement de l’allocation et le développement de l’offre d’insertion. Retenons de ce transfert de responsabilité que la loi de 2003 modifie sensiblement la rédaction de l’article relatif au contenu du contrat d’insertion. Le législateur met l’accent sur le volet insertion professionnelle. Disparaissent la mention de l’offre possible d’“activités d’intérêt général” et la notion d’accès à l’autonomie sociale. La loi de 2003 réduit à sa plus simple expression le volet social du contrat d’insertion. Le droit à l’accompagnement social, qui avait été acquis, assez difficilement, en 1988 et renforcé en 1992, est manifestement relégué au second plan.

La loi de 2008 termine ainsi le processus engagé, l’orientation sociale devient subsidiaire à l’insertion professionnelle. Le résultat est navrant. Tout le monde aura perdu beaucoup de temps. Les bénéficiaires en premier, mais aussi les agents de Pôle emploi et les référents. Le parcours d’une personne ne peut pas se diviser en autant de morceaux qu’il y a de problèmes. La référence au référent unique était pourtant porteuse d’une mise en œuvre plus humaine, plus respectueuse des personnes.

Il conviendrait donc, je pense, de donner la priorité à la nomination de ce référent unique qui, portant bien son nom, accompagnera le bénéficiaire lors de son parcours d’insertion. En d’autres termes, il me semble indispensable de penser l’accompagnement comme un processus sur un temps donné pendant lequel le bénéficiaire pourra à tout moment se tourner vers son référent pour trouver une écoute attentive à ses différentes problématiques. Ce n’est pas à la personne en situation d’exclusion de chercher auprès des différentes administrations des réponses mais c’est bien au référent unique qu’il appartient de lever les obstacles à l’insertion, en facilitant l’accès à des droits, à des informations, à des prestations sociales.

Je suis convaincue que l’insertion des bénéficiaires du RSA sera facilitée par un accompagnement global et généraliste de leur parcours. Le droit à l’accompagnement issu de la loi de 2008 est à construire : il faut, à mon sens, sortir de la segmentation des publics pour une prise en charge plus globale, vecteur d’un accompagnement cohérent et porteur d’humanité. Mais il faut aussi repenser la dimension sociale de l’accompagnement, qui doit être au cœur du dispositif d’insertion et retrouver toute sa place à côté de l’accompagnement professionnel, et non pas dans une position subsidiaire ou secondaire.

Revenir aux fondamentaux

Le texte de 2008, en valorisant la dimension professionnelle, a rompu avec la démarche de 1988, renforcée en 1992. Le RSA s’adresse à des personnes qui connaissent une situation d’exclusion et le premier objectif de ce dispositif est de les accompagner pour qu’elles en sortent. Or cette sortie ne passe pas forcément et immédiatement par l’emploi, même si ce dernier est le souhait des premiers concernés : les bénéficiaires du RSA. Il peut s’agir de rompre avec la solitude, de retrouver du lien social…, enfin d’être pleinement acteur dans la cité et de jouer son rôle de citoyen.

Au moment où le dispositif RSA doit faire l’objet de modifications [voir le rapport du député Christophe Sirugue, dans ce numéro, page 5], gageons que le législateur prendra la mesure des enjeux d’un droit à l’accompagnement qui s’inscrit dans une démarche globale où les dimensions sociale et professionnelle sont complémentaires et non pas concurrentielles. »

Notes

(1) Le revenu de solidarité active – Ed. ESF, mai 2013 – Collection Mementos du travail social – 14,90 €. Marie-Odile Grilhot, docteure en droit social, est aussi formatrice.

(2) Voir ASH n° 2794 du 25-01-13, p. 39.

(3) Voir ASH n° 2738 du 23-12-11, p. 5.

(4) Voir ASH n° 2797 du 15-02-13, p. 20.

(5) « RSA. 20 ans après le RMI, une réforme a minima » – JCP Social n° 51, 1657, du 16-12-08.

(6) « Les trois défis du RMI. A propos de la loi du 1er décembre 1988 » – L’actualité juridique/Droit administratif du 20-10-89.

(7) « La modification du revenu minimum d’insertion (loi n° 92-722 du 29 juillet 1992) » – Revue de droit sanitaire et social – Janvier-mars 1993.

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