Simple d’utilisation, maniable et lu ? dique, la tablette tactile « fait tomber les inhibitions liées aux difficultés de la lecture et de l’écriture – le clavier n’est pas nécessaire, on peut l’utiliser uniquement avec les doigts. Elle a en outre l’immense intérêt de pouvoir circuler facilement entre les personnes », observe Pascal Plantard. Cet anthropologue des usages numériques est très enthousiaste vis-à-vis de son potentiel d’innovation pédagogique et éducative – notamment dans le secteur du handicap mental. Selon lui, c’est seulement depuis son apparition que les projets liant handicap mental et technologies de l’information et de la communication (TIC), jusqu’alors exceptionnels, se développent réellement.
L’outil est expérimenté depuis avril 2012 auprès de six enfants privés de parole (autistes ou porteurs de troubles envahissant du comportement) au sein de l’institut médico-éducatif (IME) de Ker an Héol à Tréguier (Côtes-d’Armor). A la place de leur lourd classeur PECS (système de communication par échange d’images) par lequel ils communiquaient jusque-là, la tablette leur permet d’accéder aux mêmes pictogrammes mais de façon beaucoup plus simple et ludique. Autres avantages : la traduction vocale des consignes et la personnalisation de l’outil grâce à des photos de l’univers de chaque enfant. « La tablette offre la possibilité d’exprimer sa vérité propre : l’enfant peut désormais être à l’initiative de la relation », se réjouit Murielle Létamg, directrice adjointe. Alors qu’il suscite d’ores et déjà beaucoup d’intérêt de la part des professionnels et des parents dans toute la France, le logiciel, développé par une entreprise du pôle technologique de Lannion, continue à évoluer pour être au plus près des besoins des enfants.
Toujours dans le champ de la déficience intellectuelle, les tablettes tactiles commencent également à intéresser le secteur de la formation professionnelle. En témoigne le projet mené par Véronique Le Chêne, chargée de mission e-inclusion au sein de l’Association départementale des parents et amis de personnes handicapées mentales (Adapei) d’Ille-et-Vilaine. Une première recherche-action menée en 2011-2012 auprès d’usagers du centre d’habitat « Les deux rivières » (qui regroupe des foyers d’hébergement et de vie et des services d’accompagnement dans la banlieue de Nantes) a permis à cette étudiante en Master 2 « Technologies dans l’enseignement et la formation » à l’université Rennes-II de démontrer que l’écran tactile était une technologie plus accessible pour les personnes les moins autonomes. « Alors qu’elles comprenaient les consignes mais n’arrivaient pas à les mettre en œuvre avec un ordinateur normal, elles arrivaient à faire directement ce que je leur demandais avec l’écran tactile », raconte-t-elle.
Depuis septembre 2012, elle a remplacé l’écran tactile par une tablette (1) afin d’observer ses effets en matière d’acquisition de compétences sur des adultes d’établissements ou services d’aide par le travail (ESAT). Première étape, le recensement des usages (qui a montré que 10 % d’entre eux avaient une pratique informatique professionnelle et 46 % une pratique personnelle) a révélé aux moniteurs d’ateliers les savoirs informatiques des travailleurs. Après une seconde phase qui vise à former aux technologies numériques des volontaires motivés par le biais d’une approche ludique s’appuyant sur la tablette, il s’agira pour Véronique Le Chêne d’expérimenter la transposition des connaissances acquises (repérage dans l’espace, géométrie simple, reconnaissance d’icônes symbolisant des tâches à effectuer…) en situation professionnelle. « Cet atelier répond doublement aux préoccupations des ESAT : non seulement il développe les compétences des travailleurs handicapés mais il offre aussi matière à accroître leur productivité dans un contexte concurrentiel. » D’où le frémissement qu’elle observe dans certains établissements qui commencent à se questionner sur l’opportunité de s’équiper en tablettes…
Si l’engouement pour cet outil est également très fort du côté des personnes handicapées physiques, Thierry Danigo, conseiller technique au sein du réseau nouvelles technologies de l’Association des paralysées de France (APF), prône néanmoins la prudence : « Comme pour les smartphones, l’arrivée des tablettes suscite de formidables espoirs pour les personnes à mobilité réduite qui peuvent désormais communiquer facilement de façon instantanée sans se déplacer – si bien que beaucoup ont commencé à s’équiper. Or nous sommes noyés sous les demandes d’aide : l’outil de base est en effet très simple à acquérir mais le matériel spécifique qui permet de l’utiliser, et qui doit correspondre le plus précisément possible au type de handicap des personnes (capacité motrice, vision, etc.), n’a encore que rarement été développé sur ce type de support ! » Sa réserve est d’autant plus forte que ces nouveaux outils privilégient une utilisation tactile, certes « bien adaptée pour les personnes qui souffrent d’une faiblesse musculaire sans avoir perdu leur précision motrice, mais qui l’est très peu pour celles qui ont une paralysie ou des tremblements ». « Attention à l’effet de mode », prévient également Gérard Uzan, chercheur à l’université Paris-VIII, qui souligne que ces tablettes sont surtout « pertinentes pour stimuler des contenus (lecture par exemple) mais peu pour en apporter (écriture) ».
(1) L’écran tactile avait les mêmes fonctionnalités qu’un ordinateur classique, la tablette a des applications qui lui sont propres et des fonctions supplémentaires (appareil photo par exemple).