L’inspection générale des affaires sociales (IGAS) vient de présenter les résultats de sa « mission d’évaluation de l’accueil familial au titre de l’aide sociale à l’enfance » (1). Confiée en 2012 par la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale et la secrétaire d’Etat chargée de la famille du gouvernement « Fillon », elle visait à analyser le premier mode de placement des mineurs, qui concerne plus de 70 000 enfants et repose sur quelque 50 000 assistants familiaux, et à formuler des recommandations pour l’améliorer.
Premier constat : « Les données statistiques et les études relatives au placement familial sont dispersées et insuffisantes » et « la recherche en sciences sociales sur la protection de l’enfance et notamment sur les enjeux du placement familial demeure très fragile ». L’IGAS s’est appuyée sur l’étude approfondie de 24 dossiers d’enfants dans le Finistère, l’Indre-et-Loire, le Var, le Territoire de Belfort et la Seine-Saint-Denis, et sur des entretiens, individuels ou collectifs, avec des travailleurs sociaux référents des enfants concernés.
« On relève le très grand nombre de situations parentales extrêmes avec, au sein des dossiers examinés, une part relativement faible de maltraitances physiques caractérisées sur les enfants mais, le plus souvent, une impossibilité absolue du père et/ou de la mère (ou des deux le plus souvent) d’assurer la parentalité, même de manière minimale, souligne l’IGAS. Les cas de pathologie psychique lourde des parents sont largement majoritaires […]. A l’évidence, ce constat pose la question de l’efficacité de la politique française de santé mentale. » Autre constat : le placement n’est souvent « prescrit qu’en dernière extrémité », le maintien de l’enfant dans sa famille étant la priorité, relève l’IGAS. Et de s’interroger : « l’intérêt de l’enfant n’est-il pas mis en balance avec un a priori de nature quasi idéologique qui voudrait que la séparation des parents soit par essence et toujours la plus mauvaise solution […] ? » Pour les inspecteurs, le maintien au sein de la famille ne doit avoir lieu que s’il n’induit pas une perte de chances pour l’enfant (2).
Le rapport souligne également « l’ambiguïté » de la situation de l’assistant familial, puisque chaque enfant est accueilli par la personne agréée, mais également par son conjoint. Or la place de ce dernier « est laissée dans le flou » puisqu’il n’a ni droit ni devoir vis-à-vis du mineur accueilli et n’a aucune existence juridique. Pourtant, il « contribue à l’équilibre familial et, ce faisant, il contribue à l’équilibre du placement familial, voire à son bon déroulement ». Par ailleurs, l’IGAS pointe du doigt le grand nombre d’adultes intervenant auprès de l’enfant (assistant familial et son entourage, travailleur social référent, enseignants, etc.). Une accumulation qui peut donner lieu à des jeux de pouvoir si le rôle et le périmètre d’action de chacun ne sont pas bien délimités. L’IGAS appelle donc au respect de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, qui rend obligatoire l’élaboration d’un projet pour l’enfant et n’est aujourd’hui globalement pas suivie par les conseils généraux.
Le rapport fait aussi état de pratiques sensiblement différentes d’un département à l’autre, que ce soit sur les modalités de la diversification de l’offre (présence ou non de structures associatives de placement familial spécialisé, par exemple), les procédures mises en place à l’entrée (obligation ou non d’instaurer une phase d’observation et d’orientation dans un lieu dédié), les dispositifs visant à faire concorder le profil de l’enfant et les caractéristiques de la famille d’accueil, les solutions retenues pour les fratries ou encore le type d’informations à communiquer à l’assistant familial.
La sortie du jeune du dispositif de placement familial est, en outre, « souvent peu préparée », « laissant la place à des organisations “au cas par cas” », déplore l’IGAS, qui plaide donc pour une meilleure anticipation, dès que le jeune a 16 ou 17 ans. Elle propose que son avenir ne soit alors plus du seul ressort de l’aide sociale à l’enfance, mais également du service chargé de l’action sociale générale, grâce à une coopération entre l’éducateur spécialisé référent qui a suivi l’adolescent placé et l’assistant social de la circonscription qui sera chargé de son dossier de jeune adulte. Le rapport souligne également qu’il existe peu d’études sur le devenir des jeunes placés, mais que les réussites s’observent surtout chez ceux qui ont fait de longs séjours dans une seule famille d’accueil. « Tout enfant a besoin d’une stabilité minimale pour s’épanouir et les ruptures que provoque un changement d’assistant familial ou le passage de la vie dans une famille d’accueil à une prise en charge en institution sont autant de facteurs défavorables », affirme le document. Il demande donc aux conseils généraux – comme la loi le leur impose – d’assurer le suivi et, dans la mesure du possible, la continuité des interventions mises en œuvre.
Enfin, le rapport juge la pyramide des âges des assistants familiaux « inquiétante » – alors que les besoins augmentent – et appelle les conseils généraux à « adopter des méthodes de recrutement renouvelées qui permettent d’organiser le remplacement des assistants familiaux partant à la retraite sans altérer la qualité des prestations fournies ». Pour poursuivre la démarche de professionnalisation des accueillants, l’IGAS propose d’encourager les formations communes aux travailleurs sociaux et aux assistants familiaux et de créer des passerelles vers d’autres métiers, notamment celui d’éducateur. Elle estime en outre que « l’assistant familial doit être considéré comme un membre à part entière de l’équipe du service d’aide sociale à l’enfance », alors que, actuellement, « l’intégration des assistants familiaux au sein des équipes est loin d’être acquise », notamment en raison de « résistances culturelles » de la part des travailleurs sociaux (3). Le rapport juge qu’« il y a très peu de protocolisation de la relation de l’assistant familial avec l’équipe, alors même que les dispositions législatives et réglementaires y invitent ». Les organisations représentatives des assistants familiaux appellent justement de leurs vœux une meilleure association au processus de décision concernant les enfants qui leur sont confiés.
(1) « Mission d’enquête sur le placement familial au titre de l’aide sociale à l’enfance », Stéphane Paul et Bernard Verrier – Mars 2013 – Disponible sur
(2) Dans un récent avis, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme juge au contraire que tout doit être fait pour premettre à l’enfant de rester dans sa famille et que le recours au placement doit être limité aux cas de maltraitance – Voir ASH n° 2818 du 12-07-13, p. 12.
(3) Un constat partagé par la direction générale de la cohésion sociale – Voir ASH n° 2813 du 7-06-13, p. 9.