« La France doit passer d’une législation historiquement “exclusive” (“on se protège des voyageurs”) à une législation “inclusive” pour en faire de vrais citoyens français », écrit le préfet Hubert Derache dans son rapport sur les enjeux relatifs à l’évolution du statut administratif des gens du voyage remis le 12 juillet au Premier ministre (1). Le gouvernement a souhaité s’appuyer sur la fenêtre législative ouverte en octobre dernier par la décision du Conseil constitutionnel d’invalider le carnet de circulation (2) pour étendre la réflexion à un ensemble de mesures plus global pour les gens du voyage (3). Le rapport s’attache donc d’abord à la question de la suppression du carnet de circulation et à ses conséquences, en rappelant que les sages n’ont censuré qu’en partie la loi du 3 janvier 1969 relative au régime d’exception imposé à cette population : les voyageurs doivent toujours être munis d’un livret de circulation soumis à visa. Le préfet propose de supprimer le livret B (qui doit être renouvelé tous les ans) pour ne conserver que le livret A (d’une validité de cinq ans et délivré aux voyageurs inscrits au registre du commerce ou au répertoire des métiers), afin de « mettre à parité de droits les voyageurs avec le reste de la profession des forains sauf à envisager à terme une suppression de ce titre d’autorisation pour cette catégorie professionnelle ». Le préfet souhaite encourager la poursuite de la délivrance des pièces d’identité classiques – carte nationale d’identité, passeport – pour l’ensemble des membres de la communauté du voyage. Comme le président de la Commission nationale consultative des gens du voyage (4), il s’oppose ainsi à la proposition de créer en substitution un nouveau document d’identification sous la forme d’une « carte de résident itinérant » – « tout aussi stigmatisante que le carnet ».
Pour ce qui est des « enjeux du maintien du rattachement à une commune » et de la domiciliation de droit commun, le dispositif actuel dépend à la fois de la loi de 1969, qui prévoit que toute personne sollicitant un titre de circulation est tenue de déclarer une commune de rattachement, et de la loi sur le droit au logement opposable (DALO) du 5 mars 2007, qui permet aux gens du voyage de se faire domicilier dans un centre communal ou intercommunal d’action sociale ou un organisme agréé en un autre lieu que la commune de rattachement. Le rapport préconise de conserver l’élection de domicile prévu dans le cadre de la loi DALO et de supprimer la commune de rattachement. Une évaluation serait faite « dans un délai d’un an » pour expertiser les difficultés administratives que ce changement de domiciliation pourrait entraîner dans les communes et les associations.
En matière de solutions à mettre en œuvre pour développer l’offre d’accueil des voyageurs, le rapport rappelle que les objectifs fixés par la loi « Besson » relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage du 5 juillet 2000 ne sont pas atteints – avec notamment un retard important quant à la construction de places d’aires d’accueil dans le Sud-Est et le Sud-Ouest. Il note aussi que les besoins des voyageurs, en regard de leur itinérance, de leur semi-sédentarisation ou de leur sédentarisation complète, ont considérablement évolué depuis l’an 2000. En effet, « les conditions économiques, la scolarisation croissante des enfants voyageurs et la recherche d’activités rémunératrices poussent de nombreux voyageurs à quitter la route de façon momentanée ou définitive » : les nouveaux schémas départementaux doivent donc prendre en compte cette évolution. Le rapport fait à cet égard 13 propositions, parmi lesquelles celle de prévoir l’accueil des gens du voyage dans tous types de documents d’urbanisme. « Trop souvent, les places de stationnement, terrains familiaux ou logements adaptés sont imaginés après coup dans des espaces devenus forcément contraints », explique le préfet. Il juge également nécessaire de lancer une réflexion sur la notion d’habitat digne/indigne et d’examiner les conditions dans lesquelles la caravane pourrait être considérée juridiquement comme un logement. Professionnaliser le réseau des gestionnaires d’aires d’accueil est une autre préconisation. « L’expérience montre que la plupart des difficultés rencontrées sur une aire d’accueil ont souvent pour origine un trop faible niveau de qualification des agents responsables des aires, ou une absence d’encadrement de proximité ou bien un manque de reconnaissance de leur travail. »
Matignon avait également demandé au préfet de plancher sur des principes directeurs d’une politique d’accès aux droits sociaux, à la santé, à la scolarité à l’emploi, à la culture et à l’identité pour les voyageurs. Le rapport répond à cette mission en proposant la mise en place d’une « trêve hivernale » pour les expulsions – « du 1er novembre au 15 mars de chaque année comme pour tout logement de droit commun » –, la possibilité pour les gens du voyage de bénéficier de contrats d’électricité « sociaux » et une mise à plat des tarifs d’assurance de leurs caravanes. Hubert Derache suggère également de mener des campagnes de vaccination auprès des voyageurs et de lancer des études-diagnostic pour connaître leur rapport à la santé « avant d’engager des actions de prévention et de médiation ». Concernant l’accès à l’école, « même si la plupart des parents n’hésitent plus à envoyer leurs enfants dans les établissements d’enseignement », il semble encore nécessaire de « développer la médiation scolaire », de « jeter des bases constructives de partenariat avec le Centre national d’enseignement à distance (CNED) » ou encore de « développer l’offre d’internat » pour permettre aux jeunes voyageurs souhaitant poursuivre leurs études de le faire dans les meilleures conditions possibles.
Enfin, concernant la gouvernance des politiques publiques en direction des voyageurs, le rapport estime que la création d’une nouvelle fonction de délégué interministériel des gens du voyage « est à écarter » : d’une part, parce qu’une structure dédiée éloignerait de l’objectif gouvernemental de rapprocher leur statut de celui du droit commun, d’autre part, parce que la délégation interministérielle à l’hébergement et l’accès au logement (DIHAL) « possède toute l’expertise pluridisciplinaire pour traiter la totalité des questions ayant trait aux voyageurs ». En revanche, souligne-t-il, « il faut envisager la désignation dans chacun des ministères concernés peu ou prou par la question des gens du voyage d’une personne ressource qui serait le point d’entrée de cette politique publique dans son département ». Quant à la Commission nationale consultative des gens du voyage, « elle doit rester “consultative” ». En conclusion, le préfet insiste : « le sujet des gens du voyage ne peut être traité “seul”. Il est nécessairement relié aux autres politiques publiques nationales lancées récemment par le gouvernement comme le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale [5] et le plan national d’action contre le racisme et l’antisémitisme (2012-2014). »
(1) Appui à la définition d’une stratégie interministérielle renouvelée concernant la situation des gens du voyage – Disponible sur