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Aller vers le monde ordinaire

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L’IME-IEFPA Ange-Guépin, dans le Morbihan, a éclaté ses activités éducatives, scolaires et d’insertion professionnelle sur trois sites : Pontivy, Auray et Locminé. Une ouverture qui a bousculé les professionnels et les jeunes, mais qui se révèle efficace en termes d’emploi et d’autonomie.

Tu te rappelles comment on fait le lit au carré » Isabelle Le Fur, éducatrice technique spécialisée, aide la jeune fille au sourire un peu confus à décaler le lit du mur afin de pouvoir se déplacer autour et de tirer impeccablement les draps. Chaque semaine, elle passe une journée au village-vacances de Mûr-de-Bretagne, dans le Morbihan, avec une équipe de quatre ou cinq jeunes de l’institut médico-éducatif-institut d’éducation et de formation professionnelle adaptées (IME-IEFPA) Ange-Guépin (1), pour y refaire les chambres. « Les jeunes tournent en permanence entre les différents ateliers techniques que nous pouvons proposer afin qu’ils expérimentent différentes activités, affinent leur projet professionnel et développent leur capacité à s’adapter », résume-t-elle.

UNE TRANSFORMATION EN PROFONDEUR

Géré par l’Association morbihannaise d’insertion sociale et professionnelle (Amisep), cet IME accueille 67 jeunes de 14 à 20 ans présentant des troubles de l’efficience intellectuelle, de la personnalité ou du comportement. Depuis 2010, il a amorcé un changement profond dans son fonctionnement. D’un institut quasiment clos, où toutes les actions proposées se déroulaient en interne, l’établissement s’est progressivement transformé en un ensemble de trois services d’inclusion scolaire, thérapeutique, éducative et professionnelle (Sistep), installés chacun dans un lycée professionnel différent, à Pontivy, à Locminé et à Auray. « L’idée est qu’une intégration complète de ces jeunes dans des établissements ordinaires est possible, pour peu que l’on y crée des lieux repères, résume Erwan Marteil, directeur de l’IME-IEFPA. Et que c’est en allant le plus possible vers l’extérieur, en toute normalité et sans discrimination, qu’ils développeront des capacités d’adaptation et des compétences qui les aideront à trouver un emploi en cette période délicate où les ESAT [établissements et services d’aide par le travail] sont saturés. »

Chaque Sistep est composé de deux classes d’une dizaine d’élèves avec une institutrice spécialisée, des éducateurs et éducateurs techniques spécialisés, d’un ou de plusieurs plateaux techniques et d’un internat (excepté à Auray, faute de financement pour un veilleur de nuit). Les équipes sont épaulées par un éducateur sportif, deux éducatrices spécialisées « insertion », une psychologue, un animateur et une institutrice référente. Un psychiatre et une infirmière à temps partiel apportent, de leur côté, un soutien thérapeutique (2).

Le système est complété par un service d’accompagnement pour jeunes adultes (SAJA), qui reçoit durant une année les jeunes ayant atteint la vingtaine et se préparant à quitter l’établissement. « Ils ont des activités professionnelles sur un rythme ordinaire de 8 heures à 17 heures, auprès d’ESAT ou d’entreprises partenaires, explique Erwan Marteil. Il s’agit de stimuler sans cesse leurs acquis et compétences afin de les préparer au mieux à l’emploi. » Un service d’accueil de jour éducatif et thérapeutique (SAJET) s’ajoute également au dispositif pour les adolescents dont les troubles ne permettent pas la vie en collectivité. Cinq places leur sont réservées, auprès d’une équipe de deux éducateurs et d’une infirmière. « Et dès que cela semble possible, des temps d’intégration au lycée ou sur des plateaux techniques leur sont proposés », ajoute le directeur.

L’enseignement est dispensé une semaine sur deux, en alternance avec les activités en milieu professionnel pilotées par les éducateurs techniques spécialisés. Si les cours sont séparés, les élèves de l’IME peuvent néanmoins intégrer les activités de loisir proposées par les établissements scolaires partenaires : théâtre, danse, sports, astronomie, musique, etc. « Au début, nous les accompagnions souvent pour dédramatiser, remarque Christine Odic, éducatrice dans l’équipe de Pontivy. Les animateurs nous ont, en outre, laissé une certaine souplesse pour essayer différentes activités. » Les jeunes de l’IME participent également avec leurs éducateurs aux projets éducatifs de l’établissement : un séjour au ski l’année dernière ou sur une île bretonne… En journée, des ateliers éducatifs sont proposés à ceux qui ne peuvent supporter toute une journée de classe. A l’image du club cuisine, où Christine Odic élabore un déjeuner équilibré avec quatre ou cinq jeunes. « Nous établissons un menu, faisons les courses, puis allons dans nos locaux du siège où l’on peut cuisiner tranquillement. » Pour d’autres, ce sera une activité équitation, chorale, etc.

STIMULER SANS CESSE ACQUIS ET COMPÉTENCES

Les lycées volontaires pour accueillir les Sistep sont tous des établissements privés – « un lycée public était intéressé, précise Erwan Marteil, mais le fonctionnement de l’Education nationale ne laisse pas assez d’autonomie financière à ses directeurs. Il nous aurait fallu des années pour concrétiser notre projet. » A Pontivy, le lycéeSaint-Ivy s’est pour sa part engagé progressivement. « Nous avons d’abord partagé avec les jeunes de l’IME des temps d’arts plastiques, se rappelle Ronan Walter, directeur adjoint de l’établissement. Puis, en 2007, ils sont venus assurer une prestation de restauration lors d’une semaine événementielle que nous organisions pour mettre en contact nos étudiants et les employeurs de la région. Ils nous ont ensuite accompagnés pour des visites en entreprises. Nous avons vu que tout se passait bien, alors nous avons décidé de nous lancer. »

A la rentrée 2010, une dizaine de jeunes ont donc intégré l’établissement, après y avoir déjà passé deux semaines à la fin de l’année scolaire précédente avec leur institutrice spécialisée. « Une salle leur est réservée, et ils ne sont pas plus d’une dizaine en cours, en alternance, chaque semaine », détaille Anne Pointecouteau, référente pédagogique. Le lycée disposait alors de classes libres et la présence des élèves de l’IME lui permettait d’augmenter sensiblement la subvention globale provenant de l’Etat. « Et puis nous sommes un établissement catholique d’enseignement, souligne Ronan Walter. L’ouverture aux autres, la tolérance, ça fait partie de notre projet d’établissement. » Le directeur se montre d’ailleurs ravi de l’accueil réservé aux jeunes de l’IME par ses élèves : « Nous n’avons pas eu de difficultés. On dit que les jeunes sont intolérants, mais nos élèves ont très bien accepté ces nouveaux venus. »

Les adolescents de l’IME n’ont pourtant pas vécu leur arrivée sans crainte. Aujourd’hui encore, certains disent être regardés de travers, voire insultés. « Nous avons cherché à le vérifier, mais sans succès, souligne Erwan Marteil. Nous sommes néanmoins intervenus auprès des professeurs pour les aider à comprendre ce qui se joue, chercher à faire comprendre la sensibilité de nos jeunes. Malheureusement, ils seront confrontés à ces difficultés toute leur vie en milieu ordinaire. » La psychologue, qui se déplace d’un site à l’autre toute la semaine, s’est également rendue disponible pour écouter et apaiser les craintes.

EN QUATRE ANS, UNE VINGTAINE DE PARTENARIATS

Pour la formation professionnelle, l’IME comprend à Pontivy un restaurant d’application. A Auray, il dispose, dans le lycée, d’un atelier de conditionnement et de sous-traitance, ainsi que d’une cuisine pédagogique installée dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). « Nous voulions nous ouvrir sur l’environnement et l’intergénérationnel, explique Marc de Beaulieu, directeur de cet établissement. Nous avions déjà des partenariats avec des écoles pour le jardinage, et le contact avec des adolescents nous a semblé intéressant. » Les jeunes de l’IME se joignent ainsi une fois par semaine à l’équipe de restauration de l’EHPAD pour la préparation des assiettes de leurs aînés. S’y ajoutent des partenariats noués ces dernières années par l’équipe éducative dans les secteurs de l’entretien de locaux, de la lingerie, des espaces verts, des métiers du bois, de l’hôtellerie… « Ce sont nos éducateurs techniques spécialisés qui recherchent les sites pouvant faire l’objet d’un partenariat, précise Erwan Marteil. Ils n’y étaient pas habitués et l’appréhendaient. Pourtant, en quatre ans, ils ont déjà initié plus d’une vingtaine de partenariats. »

Isabelle Le Fur, éducatrice technique spécialisée, avait ainsi toujours souhaité proposer une activité hôtellerie. « Auparavant, à l’IME, nous nous exercions à l’infirmerie, car aucun partenariat ne permettait de le faire en milieu réel », se souvient-elle. Depuis que l’IEFPA s’est ouvert sur l’extérieur, outre le village-vacances, elle a démarché un lieu de retraite et une auberge de jeunesse où ses jeunes recrues l’accompagnent pour assurer la propreté des chambres. « Je pensais pourtant que cela ne marcherait pas, car ces établissements demandent un rendement qu’on ne peut leur offrir », remarque l’éducatrice. En effet, il s’agit juste de découvrir une activité professionnelle pour que les jeunes développent leurs compétences, et non de suppléer à un emploi de salarié. Ils ne sont d’ailleurs pas rémunérés. « Au village-vacances, le directeur était un peu frileux, raconte Isabelle Le Fur. Il nous a demandé de faire l’essai sur une journée, puis deux, puis trois, jusqu’à ce que nous signions une convention. »

Une conséquence de ce développement d’activités en plateaux techniques est la difficulté à remplacer les travailleurs sociaux absents. « Chacun a développé une spécialité et une connaissance de ses lieux d’intervention, que ce soit dans l’hôtellerie, les espaces verts ou la restauration, souligne Erwan Marteil. Du coup, je ne peux pas mettre un éducateur à la place d’un autre. » Impossible, également, de répartir les jeunes dans d’autres groupes en attendant le retour du professionnel malade ou en formation. « Cela nous impose une grande rigueur », note le responsable.

Pour les travailleurs sociaux, cette externalisation ne s’est pas faite sans une certaine appréhension. Quitter son lieu de travail, changer ses habitudes et intégrer un site où œuvrent d’autres professionnels ne va pas sans générer des inquiétudes. Pas simple non plus de quitter une institution où l’on connaît chacun des 67 adolescents accueillis pour passer à un lycée de plus de 800 élèves. « Au début, au self, je voulais manger avec les jeunes comme nous le faisions à l’IME, se rappelle Alexandra Peric, éducatrice spécialisée. Mais je risquais d’attirer l’attention sur eux, ce qui n’était pas nécessaire. Et puis il y avait le règlement intérieur, les heures d’études, les surveillants qui ne connaissent pas notre métier… » La principale crainte des éducateurs était que la pérennité de leur rôle soit remise en question. « Les financeurs, qui cherchent à faire des économies, ne vont-ils pas remettre en cause notre place dans le dispositif ? » s’inquiète Christine Odic. Pourtant, au fil des mois, les tensions se sont apaisées au sein du Sistep de Pontivy, le premier créé. « Nous avons travaillé l’analyse des pratiques et organisé plusieurs réunions d’équipe », rappelle Erwan Marteil. Deux ans plus tard, c’était au tour d’Auray d’ouvrir son Sistep, au lycée Anne-de-Bretagne. Puis, en 2012, le lycée de Locminé accueillait une troisième équipe. « A l’intérieur d’un lycée, nous avons découvert une autre manière d’être éducateur, positive Christine Odic. Désormais, nous jouons un rôle de repère. Les jeunes viennent vers nous, alors qu’avant c’était l’inverse. » Y compris parfois des jeunes qui ne font pas partie de l’IME… « Des élèves viennent faire connaissance, poursuit l’éducatrice. Et souvent on s’aperçoit qu’ils ont aussi des difficultés dans leur environnement. »

UN SAVOIR PARFOIS SOLLICITÉ PAR LES LYCÉES

Les lycées professionnels trouvent d’ailleurs un réel appui dans la présence des éducateurs spécialisés. « Il arrive régulièrement que nous ayons des élèves très en difficulté pour lesquels nous sollicitons la capacité de diagnostic de l’IEFPA », confirme Ronan Walter, directeur adjoint du lycée Saint-Ivy. L’IME peut ainsi solliciter la maison départementale de l’autonomie pour engager une évaluation. « Souvent, ce sont des jeunes que les parents ont voulu absolument faire passer dans la classe supérieure chaque année, en tentant d’occulter les problèmes, explique Erwan Marteil. Et quand ils viennent vers nous, il n’est pas rare qu’ils demandent à rester. »

Pour les éducateurs, l’éclatement de la structure a néanmoins pour conséquence une certaine forme d’isolement. Le directeur et la chef de service essaient d’être les plus présents possible en circulant beaucoup d’un site à un autre. Mais à l’instar des jeunes, sortir de l’IME monobloc originel implique de la part des professionnels une plus grande autonomie. « Par exemple, le soir, en internat, on est seuls, souligne Christine Odic. Ça pourrait déraper très vite, et on reste régulièrement plus tard si les jeunes ont besoin de nous. » C’est pourquoi, alors qu’ils se côtoient moins au quotidien, les travailleurs sociaux organisent davantage de rencontres d’équipes pour faire le point sur les situations individuelles et les éléments à travailler avec chacun des jeunes accueillis. « Pour compenser cet isolement, nous essayons également d’avoir plusieurs plateaux techniques au sein des lycées, observe Erwan Marteil. Pour le travailleur social, cela permet de se sentir moins isolé avec la proximité de l’instituteur spécialisé, et vice versa. »

Pour caler son fonctionnement sur celui des établissements scolaires, le personnel éducatif de l’IME travaille 40 ? heures par semaine, à l’exception des institutrices spécialisées détachées de l’Education nationale, qui ne relèvent pas des mêmes conventions. Les journées sont chargées, mais tous les week-ends sont libres ainsi que l’ensemble des vacances scolaires. « Nous sommes ouverts 177 jours par an. C’est ce qui m’a permis de lancer le projet à moyens constants, indique le responsable. Mais nous espérons très prochainement obtenir de l’agence régionale de santé la création de 2,5 postes. Ce serait une réelle reconnaissance du travail accompli, à l’heure où l’on cherche plutôt à restreindre les financements. »

Trois ans après le lancement de la nouvelle configuration, le bilan apparaît plutôt satisfaisant. Il y a quatre ans, seuls trois ou quatre jeunes sortaient vers un emploi. L’année dernière, selon la direction, 21 sont partis vers des ESAT ou en milieu ordinaire. Un beau résultat, compte tenu de la concurrence actuelle pour intégrer un emploi même en milieu protégé. Un autre effet positif est noté par les éducateurs de l’internat : les jeunes sont davantage autonomes. « Ils restent plus longtemps au self ou vont seuls aux activités de loisir », remarque Christine Odic. Alors qu’à l’IME l’équipe avait parfois des difficultés à faire lever les ados, certains n’ont presque plus besoin d’une présence éducative au lever. « Ils sont dans un cadre qui n’a pas été conçu pour eux et doivent être plus attentifs à leur comportement, à leurs attitudes », avance l’éducatrice. « Avec les lycées, nous sommes vraiment dans un partenariat fructueux, se félicite Erwan Marteil. L’échange est permanent. Ils sont vraiment devenus nos collègues. Il m’arrive de donner des cours à Auray dans la filière bac professionnel “services à la personne”. On pourrait imaginer qu’un enseignant de lycée vienne faire bénéficier nos élèves de ses compétences, par exemple en anglais. »

Pour l’avenir, plusieurs pistes de développement sont envisagées. Comme de proposer une prise en charge sur le temps des vacances pour les jeunes qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent retourner chez eux. Ou encore de mettre en place un dispositif d’analyse des pratiques réunissant l’équipe de l’IME et les enseignants des lycées. « Mais surtout, nous devons stabiliser notre travail, car nous avons beaucoup bousculé les équipes avec ce projet, même si c’est pour un meilleur développement des jeunes », conclut le directeur.

Notes

(1) IME-IEFPA Ange-Guépin : 1, rue du Médecin-Général-Robic – BP 69 – 56303 Pontivy cedex – Tél. 02 97 25 47 55 – iefpa.pontivy@amisep.asso.fr.

(2) Au total, en équivalent temps plein, l’équipe de l’IME compte 7,5 éducateurs spécialisés, 5 éducateurs techniques spécialisés, 1,5 moniteur-éducateur, 2,5 moniteurs d’atelier, 4 enseignantes, une chef de service, une chargée d’insertion, une éducatrice spécialisée responsable d’insertion, un éducateur sportif, une infirmière, 0,8 assistante sociale et une psychologue.

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