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« Les régions ont pris leurs responsabilités sur les formations sociales »

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Les régions ont permis de faire émerger une culture commune sur les formations en travail social, défend Pascale Gérard, chargée de ce dossier à l’Association des régions de France (ARF). Elle revient sur la décentralisation de ce secteur et analyse les réformes législatives en cours.
Quel bilan faites-vous du transfert des formations sociales initiales aux conseils régionaux, opéré par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ?

C’était une décentralisation que nous n’avions pas demandée. Pour autant, nous avons tout de suite pris nos responsabilités et nous nous sommes beaucoup impliqués, tant d’ailleurs dans le champ social que sanitaire. Pour ma part, j’ai trouvé en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur [PACA], dans l’un et l’autre secteur, des instituts de formation qui fonctionnaient de façon balkanisée, se connaissaient peu et pouvaient avoir des pratiques ou des budgets très différents d’un établissement à l’autre. On avait la sensation que des choses s’étaient enkystées du fait de la gestion de l’Etat, et que cela ne pouvait pas bouger.

Le fait que la loi ait confié l’élaboration des schémas régionaux des formations sanitaires et sociales aux régions – qui ont, de longue date, une culture de la concertation et du dialogue social – a vraiment changé la donne. Cela nous a permis de réunir tous les acteurs concernés et de dégager, chacun sur notre territoire, des priorités. Ces schémas, qui sont des documents fondateurs des politiques régionales pour les formations sanitaires et sociales, ont permis, dans chacun des deux secteurs, de faire progresser le travail en réseau et de commencer à construire une culture commune.

Quel a été l’effort financier des régions ?

Le « gap » avec l’Etat est énorme ! L’effort qu’ont fait les régions va bien au-delà des enveloppes financières qui leur ont été transférées en 2004. Selon une enquête que j’ai menée, leur effort, toutes régions confondues, est de 23 % au-dessus des dotations de l’Etat pour le fonctionnement des instituts du travail social et de 42 % pour les bourses versées aux étudiants. Concernant ces dernières, nous avons consenti des efforts financiers importants, mais nous demandons qu’un décret prévoie l’alignement de leur montant sur les bourses de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, alors qu’elles étaient réglées à trimestre échu, nous avons mensualisé leur paiement – une revendication tellement légitime des étudiants ! Enfin, nous avons mis en place des aides d’urgence et inventé toute une série de dispositifs de soutien en concertation, et souvent sur la base de leurs propositions, avec les représentants des étudiants.

Depuis deux ans toutefois, certains instituts ont vu leurs dotations réduites…

Ce n’est pas un scoop, il y a moins d’argent public qu’à une certaine période. Il n’y a pas de baisse de financements, mais des budgets qui ont été maintenus, même si le mien en région PACA a plutôt augmenté. En revanche, les régions ont mandaté très souvent des cabinets d’expertise comptable pour aller non pas faire du contrôle pur, mais regarder les ratios légitimes en termes de financement public des instituts. De façon certes un peu caricaturale, on peut considérer qu’avoir, dans des établissements de formation importants, un directeur, un directeur adjoint et un responsable pédagogique peut être justifié, alors que disposer, dans de toutes petites structures, de nombreux personnels sur des fonctions support ne l’est pas forcément.

Quand il y a moins d’argent dans les caisses, il faut rationaliser. C’est en outre légitime en matière de gestion publique – je suis très au clair là-dessus, étant moi-même obsédée par la bonne utilisation de l’argent public. Dans ma région par exemple, des audits ont été menés, tant sur les instituts du sanitaire que sur ceux du social, pour que les dotations publiques soient au plus près des besoins réels. Mais cela veut dire que, si l’on regarde de près les dépenses de fonctionnement des établissements, on peut aussi faire de gros efforts financiers quand l’un d’entre eux est mal logé, doit déménager…

Y a-t-il une doctrine commune des régions sur les formations sociales ? La décentralisation faisait craindre qu’il y ait des disparités en fonction des politiques régionales…

Figurez-vous que je vais vous démontrer le contraire. J’ai trouvé, dans ma propre région, deux instituts de formation en travail social avec des fonctionnements très différents : situés dans deux départements distincts, ils étaient gérés par des services déconcentrés de l’Etat qui ne se croisaient pas forcément. Le fait que l’Association des régions de France ait consacré une commission à part entière aux formations sanitaires et sociales a permis de faire émerger une culture commune. Bien sûr, ce n’est pas un lieu où l’on décide pour tout le monde, les régions ayant une autonomie reconnue par la Constitution, mais le groupe de travail tourne bien et ses membres viennent régulièrement. S’il y a quelquefois des débats, nous progressons ensemble et, objectivement, nous sommes parvenus à un socle commun d’intervention. Et je mets au défi quiconque de me dire que cela pouvait exister en 2003 !

La loi de 2004 était bâtie sur le principe d’une cogestion entre les régions – qui définissent les politiques de formation, agréent et financent les centres de formation – et l’Etat – qui garde le pilotage, la délivrance des diplômes et le contrôle pédagogique. Dans les faits, une dérégulation des formations sociales s’est produite…

Nous le disons très clairement : nous souhaitons que l’Etat reste garant de la certification, car le diplôme doit demeurer national, et du contrôle pédagogique. La loi de 2004 a prévu que tout établissement public ou privé lucratif ou non lucratif qui veut ouvrir des formations sociales initiales dépose une déclaration préalable auprès du représentant de l’Etat dans la région, et la non-réponse vaut enregistrement. Et qu’ensuite les régions agréent les instituts qu’elles financent. Le problème, c’est que les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale sont en nombre insuffisant et n’ont pas les moyens de contrôler les établissements. Ce qui a entraîné une concurrence entre les organismes de formation, notamment sur les niveaux V. Il apparaît en outre que beaucoup de ceux qui sont enregistrés, mais ne sont pas agréés par la région, relèvent du secteur lucratif avec des prix parfois exorbitants. Nous avons trouvé, en région PACA, des formations d’aides-soignantes autour de 5 000 à 6 000 € par an ! Nous pensons que la déclaration préalable ne suffit pas et que les établissements qui souhaitent exercer doivent avoir obtenu l’agrément des régions.

Vous avez, semble-t-il, été entendus dans le cadre du projet de loi de décentralisation…

Le texte prévoit en effet que les régions, après avis conforme du représentant de l’Etat, agréent les établissements publics, privés lucratifs et non lucratifs qui veulent dispenser une formation préparant à un diplôme du travail social, qu’elles les financent ou pas. Nous allons toutefois être vigilants pour qu’il soit bien précisé que l’autorisation d’exercer est liée à l’agrément. Cet article devrait alors permettre aux régions de maîtriser l’offre de formation et que les règles du service public soient respectées.

Cet article précise aussi que l’agrément est délivré « au regard des besoins recensés dans le schéma régional des formations sociales », mais sans poser le principe de l’opposabilité juridique de celui-ci…

Le projet de loi ne dit pas que le schéma est opposable, mais nous revendiquons toujours qu’il le soit. Et nous comptons bien faire évoluer le texte en ce sens soit dans le cadre des négociations que nous avons avec le gouvernement soit, par voie d’amendement, lors de l’examen parlementaire. Pour nous, un schéma qui n’est pas opposable est un document qui ne vit pas bien. Pour réaliser celui sur les formations sociales, nous faisons tout un travail sur la pyramide des âges et sur les nouveaux besoins. Il apparaît donc légitime que nous agréions les établissements qui vont produire les qualifications en adéquation avec les orientations que nous avons définies. L’opposabilité permettrait à la région de refuser à un opérateur l’ouverture d’une formation qui existe déjà, ce qui éviterait les concurrences stériles. Car s’il y a bien un champ où il ne doit pas y avoir de concurrence, c’est celui de la formation en général et, plus encore, des formations sociales dans lequel on est obligé de travailler ensemble. Aujourd’hui, les opérateurs se regardent en chiens de faïence parce que quelqu’un peut s’installer à côté d’eux, leur prendre des parts de marché alors même qu’ils relèvent du service public et savent que leurs formations sont de qualité.

Selon certains, l’opposabilité du schéma serait contraire à la directive « services » de l’Union européenne visant à lever les obstacles à la liberté d’établissement…

Je sais, certains jouent avec cela. Néanmoins, nous sommes, pour une grande partie, sur le champ de la formation initiale. Et, heureusement, celui-ci comme l’éducation n’est pas encore concerné par le marché et par la directive « services ».

Le projet de loi a pris en compte une autre de vos revendications : il mentionne que « les établissements agréés participent au service public régional de la formation professionnelle ». En quoi est-ce une avancée ?

Les services publics régionaux de formation sont des initiatives des conseils régionaux. Le premier a démarré dans ma région à un moment où les services publics étaient très attaqués. Nous nous sommes, à l’époque, dit deux choses : tout d’abord, il faut organiser une résistance en matière de service public ; ensuite, s’il y a bien un secteur qui doit en faire partie, c’est la formation. Les « services publics régionaux de formation permanente et d’apprentissage », qui intègrent évidemment les formations du travail social, ont été créés dans le cadre de délibérations politiques et n’ont pas d’existence légale. Leur développement a bénéficié de l’homogénéité politique des régions. Nous avons souhaité qu’ils soient gravés dans le marbre afin qu’ils existent partout en France, quelle que soit la couleur politique des conseils régionaux, et que les principes du service public – l’égalité d’accès et la gratuité – soient assurés.

Comment se passe le dialogue avec l’Etat ?

Les relations de l’Etat et de la région sont formalisées dans le cadre du contrat de plan régional de développement des formations professionnelles. Celui-ci réunit, outre ces deux acteurs, l’ensemble des opérateurs : partenaires sociaux, missions locales, organismes chargés de l’orientation, du suivi des demandeurs d’emploi, centres-ressources…Un important travail a été mené dans ce cadre – en région PACA l’élaboration du contrat a duré neuf mois ! Le dialogue avec l’Etat se passe plutôt bien si tant est que l’on parvienne complètement à clarifier cette affaire d’agrément.

Dans ses « Orientations pour les formations sociales 2011-2013 », le ministère des affaires sociales avait proposé l’élaboration de contrats tripartites régionaux entre l’Etat, le conseil régional et les partenaires sociaux…

Pourquoi pas ? Une telle proposition permettrait de savoir qui fait quoi et de clarifier les compétences de chacun.

Elle n’a pas été reprise par le projet de loi…

Oui, mais la discussion n’est pas finie…

Le projet de loi reconnaît que les diplômes de travail social s’inscrivent « dans le cadre de l’espace européen de la recherche et de l’enseignement supérieur ». Reste que la mise en crédits des diplômes de niveau III ne s’est pas accompagnée de leur reconnaissance au grade de licence…

Les régions se sont unanimement prononcées en faveur de la reconnaissance des diplômes de niveau III au titre de licence avec tous les éléments statutaires et salariaux qui vont avec. Et elles ont toujours appuyé les étudiants dans cette revendication légitime. Ce qui est quand même curieux, c’est que si l’on regarde profession par profession, on ne voit aucune logique dans l’intégration des diplômes dans le système LMD [licence-master-doctorat] : le diplôme d’Etat d’infirmier a été reconnu au grade de licence, tout comme celui de masseur-kinésithérapeute, mais pas ceux du travail social. Certaines professions y arrivent, d’autres pas…

Le projet de loi évoque également les coopérations des écoles de travail social avec les universités. Faut-il les obliger à passer des conventions avec les universités ou plutôt procéder par des incitations comme le suggère le rapport piloté par Marcel Jaeger (1) ?

Il faut au contraire que les coopérations soient contractualisées dans le cadre de conventions à l’échelon régional. Cela ne peut pas être laissé au bon vouloir de chacun. Je verrais mal, par exemple, qu’en termes d’égalité de fonctionnement, certains instituts développent des coopérations et pas d’autres.

Certaines régions soutiennent les Hepass (2), d’autres pas. Quant à l’ARF, les rares fois où elle a évoqué le sujet, elle est apparue plutôt hostile. Y a-t-il une position commune ?

J’ai arrêté officiellement une position au nom de l’ARF : nous sommes favorables à la mise en réseau autour de hautes écoles, qui me semble de nature à revaloriser les formations sociales et le travail social. Mais l’Unaforis s’y était mal prise et, dans un premier temps, le projet a rencontré une totale incompréhension de la part de l’ARF. Il avait été conduit avec l’administration centrale sans que les régions soient consultées. Vous imaginez leur réaction alors qu’elles ont, depuis 2004, pris à bras-le-corps ce secteur et consenti un effort financier important ! Nous avons eu une franche explication avec l’Unaforis et nous nous sommes rendu compte que nous partagions les mêmes objectifs. Nous nous sommes remis d’accord sur les axes principaux et nous avons précisé, pour notre part, que si nous jugions intéressant que les instituts de formation se fédèrent, cela ne pouvait se faire que dans le cadre du service public. De même, si le réseau peut être national, les écoles devront s’adapter aux politiques territorialisées des régions. Une modélisation nationale irait à l’inverse de la décentralisation, qui implique une certaine souplesse.

Nous avons, par ailleurs, demandé à l’Unaforis de faire disparaître le terme « santé » des Hepass. Si je suis favorable à ce que le social et le sanitaire travaillent ensemble, les hautes écoles ne peuvent pas s’approprier les formations sanitaires.

L’ARF s’est prononcée contre l’« universitarisation » des formations sociales. Le projet de loi sur l’enseignement supérieur vous rassure-t-il ?

Tout à fait. Il n’y aura pas d’intégration à l’université des instituts de formation, ce qui est une bonne chose. Le texte prévoit simplement de regrouper les établissements de l’enseignement supérieur sur un territoire académique. Nous avons défendu et obtenu que l’identité des instituts soit maintenue. Nous sommes favorables à l’intégration des diplômes dans le système LMD, mais nous ne voulons pas que ceux-ci soient broyés dans le cadre de l’université.

Si le travail social devenait un département universitaire, les formations sociales n’auraient plus aucune visibilité et l’alternance ne serait plus garantie. Par ailleurs, ce système mettrait fin à la logique de filière de formation des niveaux infra-bac (aide médico-psychologique, moniteur-éducateur et technicien de l’intervention sociale et familiale) aux niveaux post-bac (éducateur spécialisé, assistant de service social, Caferuis…), qui permet aux travailleurs sociaux de s’inscrire dans de véritables parcours professionnels.

Le projet de loi étend également à toutes les fonctions publiques l’obligation de gratification. Ce qui risque d’assécher encore l’offre de stages puisque la question de leur financement n’est toujours pas réglée…

C’est un vrai problème. Par principe, je vais défendre la gratification de tous les stagiaires et, en même temps, quand je rencontre certains étudiants dans certains secteurs, dont le travail social, ils nous disent être volontaires pour faire des stages, même sans gratification. Ce n’est pourtant pas possible ! Je pense que notre pays doit évoluer sur le plan culturel : tout travail mérite salaire et on ne peut pas proposer des stages de longue durée qui ne soient pas gratifiés !

L’ARF va-t-elle faire pression pour obtenir des mécanismes de financement ?

Oui, mais où ? Nous pouvons dire que nous souhaitons que tout le monde soit gratifié, mais à qui ? L’argent n’est pas dans le tiroir-caisse des régions et l’Etat n’en a apparemment pas des masses. Le problème de la gratification en dit long sur l’état du secteur social en mettant notamment en évidence les difficultés de trésorerie des associations.

L’ARF a indiqué qu’elle s’opposait à toute césure entre les formations sanitaires et sociales. Qu’entendez-vous par là ?

Tout d’abord, il y a, de fait, déjà une césure dans le projet de loi de décentralisation. Les formations sociales figurent dans le service public régional de formation, mais rien n’est dit sur les formations sanitaires. Je n’ai pas réussi à savoir s’il s’agit d’un oubli des ministères, mais nous allons faire en sorte que celui-ci soit réparé. Ensuite, dans les régions, nous nous efforçons de faciliter les mobilités entre les deux secteurs car beaucoup de métiers sont aux confins des deux. Il faut développer les passerelles, insuffisantes aujourd’hui, entre les diplômes du travail social et du paramédical sans oublier ceux du sport et de l’animation. Je pense, par exemple, aux métiers d’aide-soignant ou d’animateur dans les maisons de retraite.

Un message à faire passer ?

Je voudrais insister sur l’idée que la région n’est pas un simple tiroir-caisse des formations initiales et continues du travail social. Elle est là aussi pour anticiper les métiers de demain, les soutenir et préparer les qualifications qui vont avec. Par exemple, dans le cadre des emplois d’avenir, nous avons décidé, en région PACA, de porter nos efforts sur la médiation sociale aux abords des lycées. 56 jeunes vont être recrutés par des associations et encadrés par un tuteur éducateur spécialisé pour intervenir, par équipe de trois, près des établissements scolaires. Pendant 30 % de leur temps, ils seront en formation dans nos instituts pour préparer en trois ans le diplôme d’Etat de moniteur-éducateur. La région prend en charge leur complément de salaire et la rémunération des tuteurs. De la même façon, elle soutient le recrutement de médiateurs sociaux dans le secteur des HLM. C’est pour nous un métier d’avenir sur lequel il nous faut travailler parce qu’il contribue à rétablir le lien social qui s’est tant dégradé. Une politique régionale de formation doit permettre de repérer les métiers émergents et de les préparer.

Carte de visite

Vice-présidente déléguée à la formation professionnelle et à l’apprentissage (PS) au conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, Pascale Gérard, 54 ans, préside le groupe de travail sur les formations sanitaires et sociales de la commission « Formation professionnelle » de l’Association des régions de France.

Notes

(1) « La coopération entre les établissements de formation préparant aux diplômes du travail social et les universités » – Voir ASH n° 2785 du 30-11-12, p. 5 – Le groupe de travail explique qu’une obligation de conventionnement a été mise en place pour le diplôme d’Etat d’infirmier.

(2) Hautes Ecoles professionnelles d’action sociale et de santé.

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