Une fratrie dans la tourmente

De la jalousie. De la compassion. De la rancœur, du dévouement, et un violent sentiment d’injustice, quand les attentions maternelles se concentrent sur leur petite sœur capricieuse, pleurnicharde et maniaque. Une tendresse obstinée, aussi. Voilà quelques-uns des sentiments qui ont embrouillé l’enfance d’Asif et de Lila, confrontés à la différence de leur petite sœur Yasmine, atteinte du syndrome d’Asperger. A la mort de leur mère, le discret Asif, enfermé dans son personnage de « gentil garçon », assume le rôle de protecteur de Yasmine, au détriment de ses rêves d’étudiant, tandis que Lila, rongée par la colère et la culpabilité, se perd dans une vie chaotique et sans but. Yasmine, elle, s’efforce de s’y retrouver dans son esprit, cette « immense forêt désordonnée pleine de choses saugrenues, avec de nombreux endroits où errer et se perdre ». Consciente de sa différence, de son « cerveau extraordinaire », et de « ne pas très bien comprendre ce que les gens ont dans la tête ». Consciente, aussi, de ne pas être heureuse et de ne pas « comprendre l’espoir ». Troisième livre de la romancière britannique Roopa Farooki, Les choses comme je les vois est un roman choral, subtil et prenant, à l’écriture délicate, une chronique juste et empathique des relations tourmentées entre frères et sœurs dans une fratrie malmenée par l’existence. En offrant la parole à Yasmine, qui s’y exprime à la première personne et livre son point de vue décalé sur le monde et les autres, l’auteure entrouvre aussi une porte sur l’univers mental des personnes neuro-atypiques, leurs efforts pour comprendre les règles du jeu social et s’y conformer. Un joli plaidoyer pour l’ouverture aux autres, par-delà les douleurs et les incompréhensions.