Le projet de loi sur la fin de vie, « qui complétera, améliorera la loi “Leonetti” [du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie] » sera « sans doute » présenté à la fin de l’année, après le débat public national souhaité par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). C’est ce qu’a indiqué le président de la République le 1er juillet après la diffusion de l’avis du CCNE sur le sujet (1). Pour mémoire, après la remise du rapport « Sicard » en décembre 2012 (2), François Hollande avait annoncé un projet de loi pour le mois de juin 2013, tout en saisissant le Comité d’éthique notamment sur la question de l’assistance au suicide.
Sans surprise, la majorité des membres du CCNE ont estimé que la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ou assistance au suicide n’est « pas souhaitable ». Pour eux, la législation actuelle opère une distinction « essentielle et utile » entre « laisser mourir » et « faire mourir », « même si cette distinction peut, dans certaines circonstances, apparaître floue ». Ils soulignent notamment que « toute évolution vers une autorisation de l’aide active à mourir pourrait être vécue par des personnes vulnérables comme un risque de ne plus être accompagnées et traitées par la médecine si elles manifestaient le désir de poursuivre leur vie jusqu’à la fin ». Signalons que certains membres du comité, qui se sont exprimés dans une contribution annexée à l’avis, ont de leur côté considéré que « la frontière entre “laisser mourir” et “faire mourir” a déjà, de fait, été abolie » (3) et que la législation devrait évoluer pour que certains cas d’euthanasie et de suicide assisté ne demeurent pas dans la « clandestinité » tout en restant « exceptionnels ».
Plusieurs recommandations d’amélioration de la législation ont en revanche fait consensus parmi les membres du CCNE. Ainsi, « trois évolutions majeures » de la législation actuelle « sont de nature à apporter une réponse à l’immense majorité des demandes des personnes en fin de vie », indique l’avis. Il s’agit d’abord de donner un caractère contraignant aux directives anticipées, qui sont aujourd’hui considérées comme des « souhaits » des patients. Pour le Comité d’éthique, elles devraient avoir « valeur obligatoire pour les professionnels de santé et tout écart par rapport à ces directives devrait être justifié par écrit dans le dossier médical de la personne ». Cela, sous réserve de leur rédaction en présence d’un médecin traitant et de l’existence d’une maladie grave, précise-t-il. Leur validité, actuellement limitée à trois ans, et les modalités de leur réitération éventuelle pourraient en outre connaître des exceptions, plus particulièrement en cas de maladie d’Alzheimer. Le CCNE suggère également l’élaboration d’un formulaire-type de directives anticipées. Il estime, par ailleurs, que toute personne atteinte d’une maladie grave ou qui intègre un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes devrait pouvoir bénéficier « le plus tôt possible » de l’accompagnement d’un professionnel de santé pour rédiger des directives anticipées si elle le souhaite.
La deuxième recommandation majeure du CCNE est d’ouvrir systématiquement la procédure collégiale à la personne malade ou, à défaut, à sa personne de confiance, à sa famille ou à ses proches. Actuellement, rappelle-t-il, cette procédure est réservée aux cas où les patients sont hors d’état d’exprimer leur volonté (4). « Plutôt que d’une procédure, il doit s’agir d’un processus de délibération collective entre personnes ayant des avis argumentés différents », explique en outre le comité. Pour lui, l’objectif doit être « d’éliminer, par le fait même de les exposer à autrui, les raisons d’agir qui seraient non pertinentes (fatigue de l’équipe, émotion envahissante, gestion du personnel, manque de moyens) ». Il estime encore que cette délibération collective doit être interdisciplinaire et qu’elle « s’impose au-delà des situations dans lesquelles la personne n’est pas en état d’exprimer sa volonté », quels que soient le lieu et les conditions de la prise en charge de la fin de vie (par exemple, avant toute décision de sédation et dans toute situation de grande incertitude).
« Un patient doit pouvoir, s’il le demande, obtenir une sédation continue jusqu’à son décès lorsqu’il est entré dans la phase terminale de sa maladie », plaide le CCNE. Cette troisième évolution majeure serait « un droit nouveau qui viendrait s’ajouter au droit de refuser tout traitement et au droit de se voir appliquer des soins palliatifs ». Dans le cas des nouveau-nés atteints de lésions cérébrales sévères et irréversibles, le CCNE estime « souhaitable que la loi soit interprétée avec humanité afin que, grâce à la manière de mener la sédation, le temps de l’agonie ne se prolonge pas au-delà du raisonnable ». Pour les personnes malades ou handicapées atteintes d’une affection grave et incurable mais qui ne sont pas en phase terminale et qui demandent de façon réitérée et éclairée l’arrêt d’un traitement vital ou de leur alimentation et hydratation, le CCNE considère que « la demande d’une sédation pour accompagner les conséquences de ces décisions peut être une indication ». « De telles décisions ne se conçoivent qu’au terme d’échanges répétés et de processus de délibération collective entre la personne malade et toutes les personnes intervenant dans le soin et les traitements », précise-t-il.
Malgré d’importants progrès, des disparités territoriales subsistent en matière d’accès aux soins palliatifs et des situations « d’indignité imposée » demeurent « fréquentes », déplore le Comité d’éthique. Un constat « alarmant » 14 ans après la loi du 9 juin 1999 garantissant à tous l’accès aux soins palliatifs et huit ans après la loi « Leonetti ». Il recommande donc de rendre les soins palliatifs accessibles à tous et de développer les soins palliatifs à domicile. En outre, souligne-t-il, d’autres questions « pressantes », telles que la prise en charge financière et l’accompagnement humain des personnes malades et handicapées, « ne doivent pas être éludées ». Il faut aussi « progresser sur le plan de la connaissance et de l’application de la loi », note-t-il de façon plus générale. Pour le CCNE, il est donc « nécessaire » d’organiser un « véritable » débat public national.
(1) Avis n° 121 – Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir – Disponible sur
(3) Selon eux, « les lois de 2002 sur les droits des malades et de 2005 sur la fin de vie – en reconnaissant le droit d’une personne à demander au médecin d’interrompre des traitements vitaux, ou son alimentation et son hydratation – ont déjà reconnu le droit des médecins de “faire mourir” ou d’aider une personne, à sa demande, à “mettre un terme à sa vie” ».
(4) Rappelons que, depuis 2005, le médecin doit mettre en œuvre une procédure collégiale pour décider la limitation ou l’arrêt du traitement d’un malade inconscient en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable. Cette procédure consiste pour ce professionnel à se concerter avec l’équipe de soins, si elle existe, et à requérir l’avis d’au moins un médecin appelé en qualité de consultant. Depuis 2010, le médecin a l’obligation d’engager cette procédure si le patient a donné des directives anticipées en ce sens.