Recevoir la newsletter

Femmes victimes de violences : pour un travail social féministe

Article réservé aux abonnés

Les violences faites aux femmes nécessitent des réponses particulières, mises en œuvre par des professionnels formés et expérimentés. Forte de cette conviction, Françoise Brié, vice-présidente de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), détaille ici les principes guidant ce travail social spécifique – qui « dérange les idées reçues », explique-t-elle – mis en pratique par les associations du réseau qu’elle représente.

« Quarante ans d’expertise auprès des femmes victimes de violences ont permis à la Fédération nationale solidarité femmes, réseau de 65 associations en France, d’initier et de développer plusieurs dispositifs : plateforme nationale d’écoute Violences conjugales info (le 39 19), dispositif de mise en sécurité pour les femmes les plus en danger, observatoire et service de formation (organisme agréé). Du fait des violences subies, les femmes expriment très souvent le souhait de ne pas être mélangées à d’autres publics, au moins le temps de la mise en sécurité et de la reconstruction, d’où l’importance de structures d’accueil et d’hébergement dédiées. Les premières, créées durant la décennie 1970, ont montré leur efficacité et essaimé dans de nombreux départements. Ainsi, chaque année, aux 20 000 appels pour violences auxquels répondent les écoutantes du 39 19, s’ajoutent le suivi de plus de 30 000 femmes et l’hébergement d’au moins 6 300 femmes et enfants. Les observations issues de ces activités, autorisent Solidarité femmes à formuler plusieurs constats et analyses sur les violences faites aux femmes mais aussi à être force de propositions auprès des pouvoirs publics.

Les associations Solidarité femmes adhèrent à une charte sur laquelle elles s’appuient pour apporter un accompagnement spécifique aux femmes, fondé sur un travail social féministe. Cette charte s’inspire de plusieurs textes internationaux de défense des droits fondamentaux, qui confirment que les violences faites aux femmes s’inscrivent dans un contexte d’inégalités entre les femmes et les hommes. Traiter des violences implique de s’intéresser à ces inégalités sociales, économiques, dans l’accès à l’éducation, aux ressources et aux rôles sociaux de sexe dans la sphère publique et privée.

Par ailleurs, les violences faites aux femmes nécessitent des réponses particulières, mises en œuvre par du personnel formé et expérimenté : comme dans le secteur de la santé, une forme de spécialisation est nécessaire. Une intervention non pertinente peut avoir un impact très négatif sur la sécurité de la femme et de ses enfants, ou avoir des conséquences à long terme sur le plan juridique, social, sur la santé des femmes et pour la protection des enfants concernés. Aussi l’ensemble des professionnel-le-s des associations Solidarité femmes, en majorité diplômé-e-s du secteur sanitaire et social, bénéficient-elles d’une formation initiale et continue. Les échanges de pratiques et de savoirs sont réguliers lors de rencontres annuelles, de commissions ou de groupes de travail.

Un positionnement clair

L’intervention des associations est axée sur la sortie de la violence. Elle se déroule en général à travers des actions collectives et favorise une réflexion critique sur les violences et une conscientisation sur les inégalités femmes-hommes et les stéréotypes sexistes. L’accompagnement proposé, possible en individuel également, permet aux femmes de retrouver une existence comme sujet de droit (reconnaissance de leur statut de victime puis “dévictimation”) et de se reconstruire (retour à l’estime de soi, à l’autonomie). L’évaluation du danger et de la gravité des violences est toujours présente et peut impliquer une mise en sécurité rapide de la femme avec ses enfants. L’accompagnement inclut un soutien social et dans les démarches juridiques, voire, si nécessaire, une aide à l’insertion professionnelle ou vers le logement. Un travail partenarial autour de chaque situation est toujours mis en place avec l’ensemble des institutions concernées : services sociaux, de police, de justice, de santé, collectivités locales et associations.

Les professionnel-le-s s’appuient dans leurs pratiques sur un positionnement clair contre les violences, en les différenciant du conflit de couple, et prennent en compte l’impact des inégalités femmes-hommes et des stéréotypes sur la situation des femmes. Ils et elles agissent contre la précarisation due aux violences et sur les conséquences sur les enfants toujours victimes : au moins 30 % d’entre eux sont victimes de maltraitance directe, les autres enfants témoins des violences présentant dans leur grande majorité des signes de souffrance psychique, des troubles du sommeil, de l’alimentation, du comportement. Enfin Solidarité femmes recommande une totale distinction entre équipes et lieux destinés d’une part à l’accompagnement des femmes et des enfants et d’autre part aux interventions sociojudiciaires concernant les auteurs. Ce positionnement permet aussi les échanges entre ces différentes structures pour améliorer le partenariat et la protection des femmes.

Violences versus conflits de couple

Pourtant ce travail social féministe spécifique bouscule car il dérange les idées reçues. Trop souvent, professionnel-le-s et institutions s’attachent à démontrer leur “neutralité”, tout en restant enfermés dans des représentations sociales et des stéréotypes sexués. Ils opposent cette “neutralité” à un “militantisme” jugé non professionnel. S’ensuit souvent un glissement sémantique qui amène au conflit de couple ou aux “violences intrafamiliales”, ce qui introduit un flou sur l’origine et la nature des violences conjugales. D’autres approches, analysant les violences uniquement sur le plan psychologique et pointant une “coresponsabilité”, renforcent les stéréotypes sur les différences entre les hommes et les femmes. Elles induisent des réponses inadaptées dans les situations de violences conjugales, comme la médiation familiale ou leur traitement par une thérapie de couple ou au sein de la famille. Des réponses qui ne prennent pas en compte la sécurité et le danger de re-victimisation des femmes, les exposent à subir de nouvelles agressions alors que le processus de reconstruction et de sortie de la violence est à peine entamé. C’est l’approche féministe qui a contribué à sortir ces violences de la sphère privée, à les faire reconnaître comme un délit ne relevant pas par exemple de la médiation pénale et à les différencier des conflits de couple. Pour accompagner les femmes victimes de violences, les futur-e-s professionnel-le-s doivent pouvoir faire cette différence fondamentale, en s’appuyant à la fois sur les données scientifiques et sur l’expérience de terrain de nos associations.

Cette déconstruction et la confrontation au terrain sont indispensables pour concevoir des formations sur les violences conjugales, comme celles financées par le conseil régional d’Ile-de-France, pour les étudiant-e-s en formation initiale dans les écoles de travail social de la région francilienne (1). Dispensant des formations à des professionnel-le-s ou étudiant-e-s de différents secteurs, Solidarité femmes tient à indiquer que l’appartenance aux mouvements en faveur de la défense des droits fondamentaux des femmes implique aussi une rigueur dans l’enseignement proposé. Ces formations associent la théorie et l’expérience de l’accompagnement des victimes de violences conjugales, notamment pour mettre de la cohérence là où des préjugés courants introduisent des dysfonctionnements. Elles sont animées par des sociologues, psychologues, intervenantes sociales détenant une expertise de terrain, et s’appuient sur des recherches en anthropologie, sociologie, neuropsychologie, et psychologie. Car la complexité du phénomène des violences conjugales requiert une pluridisciplinarité dans leur traitement et non une hiérarchie dans les savoirs et les théories avec une grille unique de lecture, celle de “la nature” et de la psychologie.

Les études scientifiques féministes ont été longtemps ignorées. Elles soulignent le caractère socialement construit de la domination et des rapports inégalitaires dans lesquels s’inscrivent les violences conjugales et méritent d’être incluses dans toute formation sur ce sujet. Elles sont aujourd’hui mieux reconnues en France, mais aussi en Europe ou par les Nations unies. Le texte voté en mars 2013 lors de la 57e session de la Commission de la condition de la femme des Nations unies le prouve. Ce texte a été élaboré par ONU femmes, avec le soutien de pays comme la France et d’associations militant pour les droits des femmes. Il affirme la volonté de la communauté internationale d’agir contre les violences spécifiques commises à l’égard des femmes et des filles. »

Contact : Tél. 01 40 33 80 90 – Site Internet : www.solidaritefemmes.org

Notes

(1) Voir ASH n° 2801 du 15-03-13, p. 28.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur