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« L’accessibilité universelle est un projet de société »

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Le 37e congrès de l’APAJH, qui s’est tenu au Mans du 25 au 27 juin, a été l’occasion pour la fédération de préciser le concept d’accessibilité universelle. Pour son président, Jean-Louis Garcia, il convient de dépasser l’accessibilité physique de la cité prônée par la loi du 11 février 2005, pour parvenir à une société du vivre ensemble.
Alors qu’on sait que l’objectif de 2015 d’une accessibilité des bâtiments et des voiries ne sera pas atteint, pourquoi avoir choisi le thème de l’accessibilité universelle ?

Il faut rappeler que l’APAJH (Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés) est née, en 1962 , d’un mouvement d’instituteurs parisiens qui se posaient des questions sur l’exclusion des personnes en situation de handicap. Cinquante ans après, l’association compte 650 établissements et services, 14 000 salariés, 25 000 militants, 32 000 personnes accompagnées, et se consacre à toutes les formes de handicaps : physiques, mentaux, sensoriels, psychiques, cognitifs, polyhandicaps, troubles de santé invalidants. De ce fait, notre conception de l’accessibilité dé passe le prisme physique de l’accès aux transports ou au cadre bâti. C’est aussi l’accès à l’école, à l’emploi, au logement, aux soins, à une vie affective ou aux pratiques culturelles et sportives qui doit être considéré.

Depuis fin 2012, nous mobilisons notre réseau d’associations départementales pour préparer ce congrès. Chacune d’entre elles a organisé des réunions, internes et publiques, mêlant personnes en situation de handicap, militants, professionnels, familles, adhérents, experts. Leurs axes de travail ont notamment porté sur les implications d’un tel projet sur l’avenir du secteur médico-social, sur les modalités et postures d’accompagnement ou encore sur des actions emblématiques à initier pour que l’accessibilité universelle devienne demain une réalité.

Durant le premier trimestre, des conférences de territoire couvrant les 26 régions françaises ont permis de faire la synthèse de ces travaux. Il en résulte un rapport d’étape sur l’accessibilité universelle qui, après avoir été débattu à notre congrès, va être soumis à nouveau aux acteurs de terrain. Celui-ci sera adopté définitivement au prochain congrès de 2014, qui engagera le réseau des APAJH.

Une volonté d’aller au-delà de la loi de 2005 ?

La loi de 2005 est venue entériner une évolution des idées et des pratiques qui ont été portées dans le débat public grâce aux associations. Elle marque une évolution radicale par rapport aux obligations d’accessibilité de la loi de 1975. Mais c’est aussi le rôle des associations de continuer à faire bouger les lignes du débat dans le sens d’une accessibilité globale et plus seulement physique. On le voit bien d’ailleurs avec le rapport « Réussir 2015 » (1), qui avait fait l’objet d’une lettre de mission très limitative, avec un champ restreint au bâti, à la voirie et aux transports. Ce qui n’a pas empêché la sénatrice Claire-Lise Campion de sortir de ce cadre chaque fois que possible et d’éviter de tomber dans l’écueil dangereux de considérer le handicap sous son seul prisme physique. Le rapport intègre dans ses mesures les handicaps sensoriel, mental ou psychique. Il invite de plus à une mobilisation, non seulement des acteurs de l’accessibilité, mais aussi du grand public, comme l’illustre la mesure tendant à faire de 2014 l’année de la Grande Cause nationale de l’accessibilité. Ce rapport démontre bien que la mise en accessibilité du territoire n’est pas une norme réglementaire parmi d’autres. Cela correspond à un projet de société.

Où en est votre réseau militant et professionnel par rapport à cette idée ?

Dans les réunions publiques préparatoires à notre congrès, on a pu se rendre compte par endroits d’un certain nombre de frilosités. Même si l’APAJH n’est pas un mouvement de parents et que son approche est donc très différente de celle d’une association de familles, il est clair que, sur bien des sujets, des militants parents d’enfants handicapés se retrouvent en difficulté. Il leur faut faire un long chemin personnel avant de dépasser leur désir de protection et de s’ouvrir à la recherche d’autonomie de l’enfant. Lorsqu’on explique, par exemple, à une personne que son fils en ESAT [établissement et service d’aide par le travail] a le potentiel pour aller travailler dans une entreprise ordinaire, elle répondra parfois que son fils est en sécurité en milieu protégé, en oubliant l’aspiration fondamentale au milieu ordinaire. C’est aussi valable dans des domaines comme le sport. Faute d’implication des familles et des professionnels des établissements, les enfants en situation de handicap finissent par intégrer qu’ils sont interdits d’activité sportive, alors qu’il suffirait d’adapter le sport à leur potentiel et à leurs compétences. Et que dire des freins rencontrés dans certaines réunions à l’évocation du sujet de la sexualité, avec des parents qui refusent tout simplement cet aspect de l’existence de leur garçon ou de leur fille !

Dans le même temps, des acteurs sur le terrain ont déjà bien avancé sur certaines thématiques. A travers la mise en commun de ces expériences, l’idée est de faire s’approprier la totalité de la réflexion par l’ensemble du réseau. Il est nécessaire que les accompagnements proposés dans nos établissements et services évoluent en cohérence avec le projet de société que nous défendons.

Comment jugez-vous l’évolution de la société depuis la loi de 2005 ?

Le mouvement n’est pas linéaire. A la fin de la présidence Chirac, le handicap était porté au sommet de l’Etat. Cela a donné la loi du 11 février 2005 et ses décrets d’application. Puis se sont ouvertes cinq années très difficiles, avec une présidence peu tournée vers ces problèmes. Cela s’est traduit par exemple par la remise du rapport du sénateur Eric Doligé relatif à « la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales », en juin 2011 (2), qui explorait toutes les façons de déroger aux obligations d’accessibilité imposées aux collectivités et aux promoteurs. On a ainsi cherché à autoriser des dérogations sur le bâti neuf, une disposition qui n’a pu sauter que grâce à un recours devant le Conseil constitutionnel !

Avec le président François Hollande, nous avons aujourd’hui à la tête de l’Etat quelqu’un qui prête une bonne attention au handicap. En témoigne sa présence aux jeux paralympiques de Londres. Cet intérêt se retrouve dans tous les travaux qui ont été mis en chantier : le rapport de Pascal Jacob sur l’accès aux soins des personnes en situation de handicap (3), celui sur l’accompagnement humain à la scolarisation de Pénélope Komitès (voir ce numéro, page 5) ainsi que celui attendu de Patrick Gohet sur l’avancée en âge des personnes handicapées (4). Sans oublier le rapport « Réussir 2015 » qui a pointé les retards accumulés ces dernières années et replace l’accessibilité en haut de l’agenda politique. Autant de sujets sur lesquels la parole associative a été sollicitée.

Et puis un certain nombre d’événements ont montré que le regard de la société a changé. Le film « Intouchables » a été un marqueur avec ses 20 millions d’entrées en France. Tout n’est pas réglé, certes, et la situation des personnes en situation de handicap repose sur un équilibre fragile, mais le contexte est notablement différent.

Quels sont les secteurs qui devraient encore évoluer ?

Tous les secteurs, sans exception ! La naissance : un bébé va naître avec un handicap. Qui organise la naissance ? Qui prépare la famille à ce qui va se passer ? Les crèches : très peu sont outillées pour recevoir des bébés en situation de handicap, si bien qu’il est encore difficile pour les mères de travailler. L’école : même si les chiffres se sont améliorés, l’inclusion dans des classes ordinaires reste problématique depuis la maternelle jusqu’au lycée. Ne parlons même pas de l’université : nous avons des personnes en situation de handicap avec des têtes bien faites qui pourraient être ingénieurs ou techniciens, mais qui ne peuvent accéder à l’université, simplement parce qu’on est incapable d’adapter les cursus à leur charge de soins quotidien. L’emploi : un individu en situation de handicap en capacité de travailler a deux fois plus de chances d’être au chômage qu’un travailleur ordinaire. La culture : comment en être consommateur quand l’accès aux salles ou aux musées vous est interdit ? Le sport : derrière les jeux paralympiques, il faut quant même se souvenir qu’il a fallu une pétition citoyenne pour que, enfin, on puisse imaginer une retransmission quotidienne de ce qui se passait à Londres ; le service public de télévision avait prévu 50 minutes en fin de première semaine et 50 autres minutes en fin de deuxième semaine, le samedi soir aux alentours de 23 heures !

Comment un enfant en situation de handicap, qui a sa vie à construire, peut-il se projeter dans l’avenir dans ces conditions ? Sur la totalité du parcours, la société doit encore faire un effort pour rendre ordinaire l’inclusion sociale.

Qu’attendez-vous en termes de message politique ?

Avec d’autres représentants associatifs, je suis porte-parole du Comité d’entente des associations représentatives de personnes handicapées et de parents d’enfants handicapés. Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, nous a réunis pour connaître nos attentes sur le conseil interministériel du handicap qui va se tenir début juillet. Ce conseil, qui réunit tous les ministres concernés par la politique du handicap (logement, culture, recherche, travail, sport, défense, anciens combattants, collectivités territoriales), avait été créé en février 2010 par Nicolas Sarkozy mais ne s’était réuni qu’une fois lors de son installation. J’ai répondu à la ministre que j’attendais une parole au plus haut niveau de l’Etat, soit du Premier ministre, soit du président de la République, pour rappeler aux citoyens français que chaque avancée en faveur du handicap était utile à l’ensemble de la société. Autrement dit, l’inscription du handicap dans le développement et la mise en œuvre des politiques publiques ne devrait pas être perçue comme une charge consacrée à quelques-uns, mais comme un investissement d’intérêt général.

A chaque fois que l’accessibilité physique dans la rue est améliorée, tout le monde profite des cheminements facilités : personnes en fauteuil roulant, personnes âgées, femmes enceintes, accidentés qui marchent avec une béquille. De même, quand un enseignant cherche à adapter sa pédagogie pour un élève en situation de handicap, il rend service à d’autres enfants qui peuvent être perturbés ou simplement fatigués. Toute la problématique de l’accessibilité universelle est là. Elle est celle d’une société du vivre ensemble qui se donne pour objectif l’accès pour tout et pour tous.

Dans une France minée par la crise, ne risque-t-on pas d’en rester au principe philosophique ?

Si l’APAJH gère un peu plus de 650 établissements et services, c’est justement pour dépasser la philosophie et tenter d’appliquer nos principes dans la gestion. Le vrai danger serait de laisser croire que nous sommes en train de prôner la désinstitutionnalisation totale, une forme de société entièrement adaptée qui n’aurait plus besoin d’établissements ni de services. Ce serait une pure illusion. De nombreuses personnes ont besoin d’un accompagnement particulier, lourd, et en institution. En revanche, elles ne sont pas en prison. Il faut donc que les murs des institutions deviennent transparents, qu’ils laissaient passer la vie de la cité tout comme la vie des institutions doit sortir dans la cité.

En clair, l’accessibilité universelle conduit à passer d’une logique d’institution à une logique de service et de parcours. Nous devons toujours penser qu’une personne en situation de handicap n’est jamais dans un parcours linéaire et nous demander, chaque fois que possible, si sa place est bien dans l’institution.

Dans cette perspective, l’action des associations est double. D’une part, lever les barrières qui empêchent une personne d’exercer pleinement sa citoyenneté en inventant des dispositifs qui visent à l’inclusion. D’autre part, amener l’Etat à envisager son rôle différemment. Nous avons par exemple signé le 17 juin une convention-cadre avec l’Education nationale pour que des professionnels de nos établissements puissent servir de référent à l’école, afin d’aider les enseignants à l’accueil et au maintien d’un enfant en situation de handicap dans une classe ordinaire. De la même manière, nous estimons qu’aménager quelques chambres aux normes du handicap dans les résidences universitaires ne suffit plus. L’idée que nous défendons auprès des gestionnaires est celle de l’intégration d’une plate-forme de soins dans la résidence universitaire, qui permettrait de couvrir la charge de soins des étudiants en situation de handicap avec l’autre avantage de pouvoir partager les personnels médicaux avec le quartier.

L’accessibilité universelle est donc pour vous une nouvelle marche de l’engagement associatif ?

En effet, et tout cela fondé sur le droit. Il est possible d’arracher un certain nombre d’avancées par le combat militant, mais si derrière on ne les grave pas dans le marbre de la loi, cela restera aléatoire. Il suffira sur un territoire qu’un préfet ou un responsable d’ARS [agence régionale de santé] sensibilisé change d’affectation pour que tout soit à recommencer. Nous n’en sommes pas encore à militer pour l’écriture d’une nouvelle loi. Il a déjà fallu aux associations une vingtaine d’années de travail pour aboutir à la loi de 2005. Pour le moment, nous en sommes à dire qu’il faut appliquer la loi de 2005 dans son intégralité et ses extensions. Il s’agit d’un magnifique levier.

Parcours

Ancien instituteur spécialisé auprès d’adolescents présentant des troubles du comportement ou de la personnalité, Jean-Louis Garcia milite à la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) à partir de 1976. Il en devient le président en 2008. Depuis 2012, il assure également la fonction de vice-président de la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs).

Notes

(1) Voir ASH n° 2800 du 8-03-13, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2721 du 26-08-11, p. 6.

(3) Voir ASH n° 2814 du 14-06-13, p. 5.

(4) Voir ASH n° 2797 du 15-02-13, p. 6.

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