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Recherche et travail social : le jury de la conférence de consensus arrondit les angles

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Dans un avis nuancé, il reconnaît le travail social comme un « champ disciplinaire spécifique » et plaide pour le développement de recherches fondées sur la collaboration entre praticiens et scientifiques.

C’est un signal positif en termes de valorisation du travail social et de reconnaissance de sa place dans le champ de la recherche. Rendu public le 24 juin au terme d’un long processus lancé le 14 octobre 2011 (1) à l’initiative de la chaire de travail social et d’intervention sociale du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) avec plusieurs partenaires (2), l’avis du jury de la conférence de consensus sur « La recherche en/dans/sur le travail social » apparaît comme une bonne nouvelle pour les professionnels. Surtout, sur un sujet traversé de conflits idéologiques parfois très tranchés et d’enjeux institutionnels et stratégiques, ses membres sont parvenus à s’accorder sur une position commune, qui n’est pas non plus un consensus mou.

Regard distancié

Les huit questions posées, dont certaines portaient sur la reconnaissance d’une science du travail social ou l’existence d’une recherche endogène au secteur, « ont d’ailleurs un peu désarçonné et surpris les membres du jury. Cela semblait un peu abstrait et byzantin », rapporte Christian Rollet, président pour l’Europe du Comité international d’action sociale, qui en faisait partie. Pour lui, la présence dans le jury, présidé par Yannick Moreau, présidente de section au Conseil d’Etat, des dix membres étrangers (sur la vingtaine) mais aussi les auditions d’experts internationaux ont été très importants pour prendre du recul par rapport à des clivages très marqués, qui témoignent surtout du rapport de forces existant en France.

« On se rend compte que, dans la plupart des pays, le travail social s’est affirmé au terme de batailles corporatistes et institutionnelles. Et qu’il y a eu en permanence un rapport de forces avec d’autres disciplines universitaires », explique Christian Rollet. Avec une nuance toutefois, souligne-t-il : dans les pays étrangers, le travail social a cherché à prendre sa place dans l’appareil de formation et la recherche de façon pragmatique, alors qu’en France le rapport de forces se focalise sur des débats conceptuels comme celui sur la reconnaissance du travail social comme une science. Ce qui s’explique par « la conception française sacralisée, voire stricte de ce qu’est la science », comme le relève l’avis du jury, qui souligne que cette discussion n’a qu’un intérêt limité dans les autres pays.

Pragmatisme

C’est donc dans le cadre d’une approche avant tout opérationnelle et dépassionnée que le jury a cherché un consensus. Lequel « n’a pas été trop difficile car nous étions, du moins au sein des membres étrangers, assez proches dans notre conception du travail social et de la recherche. Une conception, du fait de l’histoire dans nos pays respectifs, un peu différente de celle qui prévaut en France, qui fait un peu cavalier seul », souligne Daniel Turcotte, professeur à l’école de service social de l’université de Laval (Québec). Bonne surprise en tout cas, la recherche du consensus n’a pas empêché le jury de se retrouver autour d’un socle de convictions communes : celui-ci reconnaît, dans un avis court et relativement clair, l’existence de « savoirs professionnels » dans le travail social et affirme que celui-ci est « un champ disciplinaire spécifique », « qui peut s’émanciper vis-à-vis d’une dépendance à des sciences sociales constituées formellement comme des disciplines ». Il a l’intérêt, en outre, de ramener le débat à ses enjeux immédiats en écartant les discussions épistémologiques sur l’existence ou non d’une science du travail social et sémantiques sur l’affirmation d’une recherche « en » et/ou « dans » le travail social, qui bloquent en France toute avancée de la réflexion.

On perçoit toutefois dans l’avis certains flottements : s’il préfère parler à propos du travail social de « champ » plutôt que de « discipline », le jury se prononce à un moment sur « le statut du travail social comme discipline » ou évoque la formule « discipline interdisciplinaire » utilisée par un de ses membres. Non pas des hésitations mais « des subtilités », souligne Christian Rollet. « Cela témoigne de la difficulté du jury à s’accorder sur des concepts qui, dans les autres pays, n’ont pas les mêmes significations et ne soulèvent pas les mêmes enjeux », explique Daniel Turcotte. Mais l’essentiel, pour lui, est ailleurs. « Le jury a surtout voulu mettre en avant l’idée que le travail social est un champ de pratiques particulières, qui appelle une recherche spécifique. Et que les professionnels qui interviennent auprès de populations vulnérables peuvent apporter par leurs travaux un éclairage à la compréhension de ce secteur. »

Ni blanc, ni noir

S’il reconnaît toutefois le travail social comme un champ spécifique, l’avis se veut nuancé et balancé. Plutôt que de s’enfermer dans des réponses binaires (oui-non) et de mettre en avant les oppositions, il fait au contraire ressortir les articulations, les interactions et les continuités. « Une même importance doit être accordée aux savoirs professionnels et aux savoirs scientifiques du point de vue de leur légitimité, même s’ils répondent à la fois à des processus de production et à des finalités différentes au-delà de l’objectif commun de développer la connaissance », affirme-t-il, refusant de les confondre ou de les hiérarchiser et soulignant qu’ils relèvent davantage du « dialogue sans cesse renouvelé » que de la « pure complémentarité ».

Dans cet esprit, l’avis invite à « promouvoir des recherches fondées sur une articulation d’espaces de collaboration entre praticiens et scientifiques de différentes disciplines », insistant sur l’idée que « l’interdisciplinarité est au cœur du travail social ». Il lui paraît ainsi essentiel de développer des « synergies » entre les savoirs professionnels et plusieurs disciplines académiques, « dont les éclairages multiples peuvent se croiser au bénéfice de démarches de recherche originales, ouvertes sur les préoccupations des travailleurs sociaux et surtout des personnes en difficulté ». L’avis souligne d’ailleurs les liens entre la recherche et les finalités de l’action sociale et médico-sociale – invitant à ouvrir la réflexion sur les valeurs et le sens – et la nécessité que celle-ci ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques.

S’il faut donc « miser sur des recherches qui émanent des questionnements de la pratique des travailleurs sociaux », leur réalisation doit en même temps répondre aux exigences de scientificité, affirme le jury. Ce qui peut conduire « à la création d’un corpus de savoirs théoriques et méthodologiques adapté au ? travail social ». Comment y arriver ? Par la création de dispositifs permettant la réalisation et la diffusion de ce type de recherches. Et le jury de souligner au passage « qu’il existe trop peu de laboratoires de recherche reconnus dans le domaine du travail social en dehors de ceux des grands organismes de recherche régis par l’Etat (CNRS, Inserm…) ». Quant à la formation à la recherche des futurs travailleurs sociaux, jugée nécessaire, elle doit leur permettre d’acquérir des connaissances pour réaliser des recherches mais aussi pour s’approprier les résultats transmis par des chercheurs. Et là aussi, le jury met l’accent sur les interactions entre les apports de la formation et le développement de la recherche. Enfin, s’il se prononce sur le principe d’une formation doctorale dans le champ du travail social, il laisse ouvert le choix de la formule – doctorat en travail social ou mention « travail social » d’un doctorat existant (sur le modèle de ce qu’a conçu le CNAM [3]) –, soulignant qu’il faut tenir compte des « questions d’opportunités et de stratégies qui se posent en France ».

L’avis, qui sera présenté lors d’une journée de valorisation le 27 novembre prochain, satisfait globalement les associations professionnelles partenaires de la conférence de consensus. « Il renforce l’idée qu’il faut développer un espace de recherche pluriel. Et je ne pense pas qu’il pouvait aller beaucoup plus loin », estime François Sentis, responsable de la commission « Recherche » de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale). « Malgré les hauts et les bas de la dynamique collective, le jury a su éviter les positions extrémistes comme la reconnaissance du travail social comme une science », souligne Manuel Boucher président de l’Acofis (Association des chercheurs des organismes de la formation et de l’intervention sociales). Stéphane Rullac, coordonnateur du Centre d’études et de recherches appliquées (Buc Ressources) voit dans l’avis, pour sa part, « un premier pas rendant possible le développement d’une recherche soutenant la professionnalisation du secteur et la création d’une discipline, une revendication historique de l’Affuts [Association française pour la promotion de la recherche en travail social] ».

Définir une politique

Tous attendent désormais des ministères le développement d’une politique de recherche et de formation à la recherche dans le champ du travail social. « On a besoin que l’Etat accompagne les futures Hepass [Hautes Ecoles professionnelles d’action sociale et de santé] et leur donne les moyens financiers pour qu’elles puissent former des chercheurs, créer des laboratoires interdisciplinaires de recherche et coopèrent avec les universités pour créer des doctorats avec une spécialité “travail social”. On attend aussi qu’il lance des programmes nationaux de recherche, affirme François Sentis. C’est un cercle vertueux qu’il faut mettre en place pour permettre au secteur de produire des connaissances à caractère scientifique. » D’autant, précise Manuel Boucher, que, « dans le rapport de forces qui se joue autour de l’espace concurrentiel de la formation et de la recherche, il faut compter de plus en plus avec les acteurs universitaires ».

L’EXEMPLE DE LA SANTÉ PUBLIQUE

L’avis du jury souligne les similitudes existant entre le travail social et la santé publique. « Celle-ci a longtemps été le parent pauvre et a acquis ses lettres de noblesse difficilement », commente Christian Rollet, qui fut aussi directeur de l’Ecole nationale de la santé publique. Le fait qu’elle soit définie comme un champ interdisciplinaire ne l’a pas empêchée d’être répertoriée au sein d’une rubrique 46 intitulée « Santé publique, environnement et société » (qui est une sous-rubrique de la médecine), dans la classification du Conseil national des universités et de se voir attribuer des postes de professeur de santé publique, souligne-t-il. Il ne s’agit donc pas tant de se battre sur les concepts (champ ou discipline) que de créer un rapport de forces favorable au travail social par l’existence de travaux de recherche et la présence en son sein de chercheurs. Pour Christian Rollet, la santé publique peut être une référence utile au débat.

Notes

(1) Dont le point d’orgue a été la séance publique des 15 et 16 novembre 2012 – Voir ASH n° 2784 du 23-11-12, p. 24.

(2) Principalement l’Unaforis, l’Acofis, l’Affuts, l’Association internationale pour la formation, la recherche et l’intervention sociale (Aifris) et le Centre européen de ressources pour la recherche en travail social (CERTS).

(3) Voir ASH n° 2808 du 3-05-13, p. 14.

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