La réforme, bien qu’elle ait été annoncée en avril dernier (1), serait passée inaperçue sans la tribune d’une quarantaine de chercheurs, élus et autres responsables associatifs parue dans le journal Libération du 21 juin. A l’heure où tous les signaux sur la précarisation des jeunes sont au rouge, « le gouvernement s’apprête à officialiser le démantèlement du seul établissement public spécialisé sur ces questions, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire [INJEP] », alertaient les signataires. Un paradoxe, alors que la jeunesse est justement un chantier prioritaire des politiques publiques ?
Selon un projet qui doit être examiné en comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (MAP) le 17 juillet, l’Observatoire de la jeunesse et des politiques de jeunesse porté par l’institut doit être intégré à la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) du ministère de Valérie Fourneyron. Son autre activité – l’Agence française du programme européen « Jeunesse en action » (AFPEJA) – est vouée à se fondre dans un nouvel opérateur avec l’Agence du service civique. Au cabinet de la ministre, on explique que la décision découle de la volonté – arrêtée lors du comité interministériel de la jeunesse du 21 février dernier – de faire de la jeunesse une politique « transversale et partenariale ». « Il a été décidé, dans le cadre de la MAP, de construire des synergies et l’outillage nécessaire à cette cohérence. Le délégué interministériel qui sera nommé d’ici quelques semaines pourra ainsi s’appuyer sur l’observatoire, une administration réorganisée et un opérateur unique. » Après des travaux « qui ont associé le secrétaire général pour la modernisation de l’action publique, la DJEPVA, l’INJEP et l’Agence du service civique, on se rapproche de la décision », précise-t-on encore. La nouvelle configuration pourrait être opérationnelle dès 2014.
L’objectif annoncé ne rassure pour autant pas les personnels de l’observatoire – environ la moitié des 60 salariés de l’INJEP. Après une restructuration qui a amputé l’institut de la moitié de ses effectifs en 2009 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (2), ils craignent que la dissolution de l’établissement public national, aujourd’hui doté d’une autonomie administrative et d’une gouvernance « partagée », revienne à remettre en cause son indépendance scientifique et sa neutralité dans sa contribution au débat public. « L’activité d’observatoire se différencie fortement de celle d’un service d’études ministériel, dont le rôle est – strictement – d’éclairer l’action publique dans un secteur », conteste une « lettre blanche » rédigée par l’ensemble des chargés d’études et de recherche. L’équipe redoute que l’institut n’ait plus la distance requise pour continuer à jouer son rôle de « laboratoire d’idées » et de passerelle entre le monde de la recherche, les collectivités locales et les associations. « Nous n’aurons plus les coudées franches dans nos actions et nos productions si, demain, nous devenons un bras armé de l’administration centrale. On casse un outil qui marche pour un objectif qui ne sera pas atteint », se désole un chargé d’études et de recherche.
Autant d’inquiétudes jugées infondées par le ministère : « La partie “observatoire” conservera son nom, quasiment la même organisation, son conseil scientifique, sa programmation et verra ses missions élargies à l’évaluation des politiques publiques, à la statistique et à la vie associative. Nous réfléchissons à un statut qui garantisse son autonomie et sa capacité à contractualiser, qui serait un mixte entre un service à compétence nationale et un service statistique ministériel, à l’instar de ce qui existe pour l’INSEE ou l’Observatoire national des zones urbaines sensibles. » Le ministère assure qu’il y a « un objectif global de rationalisation des outils, pas de diminution des moyens », et que « les effectifs seront même renforcés ». Il n’empêche, malgré ces promesses, les doutes subsistent. L’intersyndicale de l’INJEP (CGT, CFDT, UNSA-éducation) attend des garanties. Elle a demandé l’ouverture de négociations sur le maintien des emplois, des missions, la sécurisation des parcours, ainsi que sur le statut juridique de la future entité.
(1) Voir ASH n° 2804 du 5-04-13, p. 7.
(2) Voir ASH n° 2645 du 5-02-10, p. 11.