« A l’heure où la Commission européenne, qui confirme les prévisions du Fonds monétaire international, annonce que la France se trouve en récession pour l’année 2013 et prévoit un taux de croissance de – 0,1 %, il est à craindre que les établissements et services sociaux et médico-sociaux ne puissent échapper à de nouvelles restrictions budgétaires de la part des autorités de tarification.
La circulaire du 15 mars dernier relative aux orientations de l’exercice 2013 pour la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes handicapées et des personnes âgées indiquait d’ailleurs clairement que les efforts économiques engagés les années précédentes devaient se poursuivre (1).
Mais si la réalisation de ces “efforts” apparaît, dans le contexte actuel, plus que justifiée, faut-il pour autant qu’ils s’opèrent au détriment des droits des organismes gestionnaires, qui subissent déjà des tensions budgétaires à la limite du supportable et, in fine, au détriment de la qualité et de la sécurité de la prise en charge des usagers ?
Plusieurs éléments conduisent en effet à s’interroger sur le périmètre d’influence de la crise économique que nous traversons sur le respect des droits des établissements et services sociaux et médico-sociaux tels qu’ils sont fixés par le code de l’action sociale et des familles.
Par exemple, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont actuellement dans l’impossibilité d’opter, en cours de convention tripartite, pour le tarif journalier global en matière de soins lorsqu’ils avaient initialement choisi le tarif partiel. Or cette situation semble difficilement compatible avec l’exercice du droit d’option qui leur est reconnu par l’article R. 314-167 du code de l’action sociale et des familles, et qui relève de la responsabilité du directeur d’établissement. Parce que les agences régionales de santé (ARS) se trouvent dans l’incapacité de leur permettre l’exercice de ce choix dans la mesure où le transfert des crédits de l’enveloppe soins de ville vers l’enveloppe médico-sociale n’est pas effectif en pratique, les établissements et services sociaux et médico-sociaux semblent privés d’un droit qui leur est pourtant expressément reconnu par un texte réglementaire. Les circulaires budgétaires 2012 et 2013, qui, toutes deux, indiquaient que les conventions tripartites prévoyant un possible passage au tarif global ne devaient pas être signées, ont d’ailleurs respectivement fait l’objet d’un recours contentieux devant le Conseil d’Etat et d’un recours gracieux (qui devrait lui aussi être transmis aux juges du Palais Royal) par les fédérations du secteur. De nombreux recours ont d’ailleurs été introduits devant les tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale et même devant la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale par des organismes gestionnaires qui s’étaient vu refuser le passage au tarif global par les ARS.
Que penser, également, des nombreuses conventions tripartites des EHPAD qui, après avoir fait l’objet d’une prorogation tacite d’une année supplémentaire sur le fondement de l’article 68 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, n’ont pas encore été renouvelées alors même que leur conclusion et donc leur renouvellement sont nécessaires pour accueillir et prendre en charge les personnes âgées dépendantes concernées, puisqu’ils conditionnent l’octroi et le renouvellement des autorisations de fonctionner ?
Plus largement, les établissements et services sociaux et médico-sociaux doivent-ils accepter, en pratique, de ne plus pouvoir conclure de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens avec les pouvoirs publics, à défaut pour ces derniers de disposer d’une lisibilité financière suffisante sur les cinq ans à venir ?
Que penser, en outre, du fait que la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale ne tienne plus d’audiences depuis 2011 (même si l’instruction des dossiers se poursuit), et plus généralement que l’ensemble des juridictions compétentes en matière de tarification semble opérer un renversement de la charge de la preuve fortement préjudiciable aux organismes gestionnaires (2), avec l’objectif, en filigrane et à moyen terme, de conduire à la disparition de ce contentieux qui constitue pourtant la seule voie de droit dont disposent les gestionnaires pour contester les positions parfois inadmissibles des autorités de tarification ?
Ces quelques exemples, non exhaustifs, conduisent à se demander si l’application rigoureuse des textes constitue aujourd’hui une priorité pour les pouvoirs publics, ou si la crise que le secteur, comme d’autres, traverse actuellement justifie que l’on puisse surseoir à appliquer des normes impératives fixées par législateur et le pouvoir réglementaire, parfois même en ne respectant pas la hiérarchie des normes.
Si cette seconde hypothèse devait être privilégiée, il serait à craindre qu’en plus de priver les organismes gestionnaires de l’exercice de certains de leurs droits, elle ne trouve aucun écho dans les obligations qui sont mises à leur charge en matière de qualité et de sécurité de la prise en charge. L’évolution de la législation et de la réglementation applicable au secteur social et médico-social a en effet conduit, ces dernières années, à un renforcement de ces obligations, qui contraint les gestionnaires à appliquer des normes impératives de plus en plus prolixes et nécessitant de plus en plus de moyens parce que de plus en plus coûteuses… Or, même si les quelques exemples exposés ci-dessus tendent à démontrer que les établissements concernés ne disposent plus des moyens suffisants pour satisfaire à ces obligations, rien ne garantit, en pratique, que les magistrats seront plus enclins à reconnaître l’“excuse budgétaire”, qui consiste à se retrancher derrière le manque de moyens résultant d’un financement insuffisant des autorités de tarification comme cause exonératoire de responsabilité.
Dans ce contexte, quelles sont les stratégies et les démarches que les établissements et services du secteur peuvent envisager de mettre en place ?
Mutualisation des moyens, humains et matériels, pour réaliser des économies d’échelle, proposition de solutions innovantes et expérimentales pour disposer de financements spécifiques, élargissement du champ des activités proposées aux frontières du code de l’action sociale et des familles pour disposer de ressources complémentaires (résidences services pour le secteur des personnes âgées, entreprises adaptées pour le secteur du handicap…) en introduisant prudemment, parallèlement à une gestion non lucrative des établissements, une logique d’ordre commercial… telles sont les pistes de réflexion désormais couramment envisagées pour permettre aux organismes gestionnaires de surmonter cette période de crise des financements publics.
Mais ces démarches seront-elles suffisantes pour minimiser le risque juridique qui s’amplifie corrélativement à la diminution des moyens alloués aux établissements ? Les rapports entre tutelles et gestionnaires doivent-ils évoluer en un rapport de forces systématique ? Les établissements doivent-ils entrer dans une logique mécanique et systématique de recours contentieux à l’encontre des autorités de tutelles et de tarification, au risque de nuire au dialogue qu’il est en tout état de cause de plus en plus difficile de maintenir ? Les gestionnaires iront-ils, a minima, jusqu’à un formalisme excessif dans le signalement auprès des autorités de tarification du manque de moyens et de ses conséquences pratiques préjudiciables aux usagers pour se protéger d’une éventuelle mise en cause de leurs responsabilités ? C’est en tout cas, au vu de l’évolution des comportements, et sans être pessimiste, la tendance qui semble de dessiner pour les mois, voire les années, à venir… »
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(1) Voir ASH n° 2803 du 29-03-13, p. 40.