Après le Conseil d’orientation des retraites (COR) (1), c’est au tour de la commission pour l’avenir des retraites, installée en mars dernier, d’apporter sa contribution à l’élaboration de la future réforme des retraites qu’entend mener le gouvernement. Le 14 juin, Yannick Moreau, présidente de l’instance, a en effet remis au Premier ministre ses propositions pour assurer l’équilibre des régimes de retraite à court, moyen et long terme et d’en renforcer la justice, l’équité et la lisibilité pour les assurés (2). Une nécessité, selon le gouvernement, au regard du déficit des régimes de retraite qui devrait s’établir à 20,9 milliards d’euros en 2020 (3). « Cette réforme, elle est totalement à notre portée […]. Il y aura des efforts à faire, mais ces efforts ne sont pas écrasants », a assuré Jean-Marc Ayrault. Des efforts qui « seront partagés par l’ensemble des Français et justement répartis », a souligné la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, faisant notamment référence aux fonctionnaires (voir encadré, page 6). Dans tous les cas, le gouvernement ne pourra pas faire l’économie de mesures visant à améliorer l’emploi des seniors, affirme la commission, qui formule des préconisations en ce sens (4). Cela « va de soi », a reconnu Marisol Touraine, soulignant que le gouvernement s’y était déjà attelé en créant les contrats de génération (5).
Prochaine étape : à la suite de la conférence sociale des 20 et 21 juin, une concertation avec les partenaires sociaux va être lancée. Sur cette base, le gouvernement présentera un projet de loi « à la fin de l’été » pour être « voté en décembre », a indiqué le président de la République lors de l’émission Capital diffusée le 16 juin sur M6.
Pour Yannick Moreau, « la résorption des déficits conjoncturels est indispensable pour la pérennité à plus long terme des régimes de retraite ». Il s’agit donc de trouver sept milliards d’euros d’ici à 2020 pour le régime général (salariés) et les régimes alignés pour retrouver l’équilibre. Pour ce faire, la présidente de la commission propose, par exemple, d’aligner le taux maximal de la contribution sociale généralisée (CSG) des retraités (6,6 %) sur celui des actifs (7,5 %). Une mesure qui, selon elle, devrait générer un gain net d’environ deux milliards d’euros par an. Elle suggère aussi de fiscaliser les majorations de pension pour les parents de trois enfants et plus. Aujourd’hui proportionnelles au niveau des pensions et défiscalisées, elles ont un « effet anti-redistributif en fonction du revenu, estime-t-elle : pour le dernier décile des pensions, elles représentent 4 % de la retraite (soit près de 800 € en moyenne), contre moins de 2 % pour les premiers (soit à peine quelques euros) ». En ce sens, cette exonération, qui, en 2011, bénéficiait à trois millions de ménages pour un coût de 890 millions, n’apparaît « plus justifiée ».
Quid d’une augmentation des taux de cotisation d’assurance vieillesse ? Cette solution doit être envisagée dans la mesure où elle constitue la principale ressource des régimes de retraite, estime Yannick Moreau. Précisant qu’une hausse de la cotisation déplafonnée de 0,1 point par an entre 2014 et 2017, partagée entre part salariale et part patronale, rapporterait 2,6 milliards au seul régime général. C’est une mesure « aisée à mettre en œuvre, tant au plan juridique qu’en termes de gestion, lisible pour les actifs et [qui] génère une recette pérenne », explique-t-elle, une mesure qui devrait également être transposée aux autres régimes.
Autre levier, suggère la commission : procéder à une « sous-indexation exceptionnelle des pensions afin de faire baisser les dépenses des régimes », tout en préservant les plus petites retraites. Trois scénarios sont proposés : désindexation de 1 point en 2014 et 2015 sur les pensions soumises à la CSG aux taux de 6,6 % et de 3,8 % ; désindexation différenciée entre 2014 et 2016 selon le taux de CSG applicable à la pension, de 1,2 point sur les pensions soumises à une CSG de 6,6 % et de 0,5 point pour celles assujetties au taux réduit ; sous-indexation tenant compte du montant total des pensions perçues. Si la commission n’a pas retenu la première hypothèse, elle ne tranche pas non plus entre les deux autres, considérant qu’elles présentent des difficultés juridiques et de gestion.
S’agissant des mesures d’âge ou de durée d’assurance, Yannick Moreau considère que, « à court terme, une accélération du calendrier d’allongement des durées d’assurance serait susceptible de produire des effets ». Selon un premier scénario proposé par le rapport, la durée d’assurance pourrait être portée d’ici à 2020 de 167 trimestres (41,75 ans) pour la génération 1957 à 172 trimestres (43 ans) pour celle de 1962, puis à 176 trimestres (44 ans) pour celle de 1966 (hausse de un trimestre par génération). Economies attendues : 1,4 milliard d’euros tous régimes confondus en 2020 (0,6 milliard pour le régime général). D’après un second scénario – moins rapide –, la durée d’assurance serait allongée de un trimestre toutes les deux générations à compter de la génération 1957 : 167 trimestres pour les assurés nés en 1957 et 1958, 168 trimestres (42 ans) pour ceux nés en 1959 et 1960, et 169 trimestres (42,25 ans) pour ceux nés en 1961 et 1962. Certes, reconnaît la commission, le rendement de cette mesure est deux fois moins important (500 millions tous régimes confondus et 200 millions pour le régime général), mais, « si elle était poursuivie au-delà de ces générations (jusqu’à 44 ans, soit 176 trimestres à compter de la génération 1975), [elle] produirait une économie de 2,9 milliards d’euros en 2030 et 7,7 milliards en 2040 ». Réfléchir à cette mesure ne serait pas inutile, selon elle, dans la mesure où cela permettrait de « renforcer la capacité du système à affronter les défis qui l’attendent jusqu’en 2035 et [de] limiter les prélèvements supplémentaires sur les actifs dans la période de sortie de crise actuelle ». Pour sa part, le président de la République a indiqué, le 16 juin, qu’il augmenterait en effet la durée de cotisation pour tenir compte de l’allongement de l’espérance de vie, « mais pas tout de suite ». A priori, cela devrait intervenir au-delà de 2018, date à laquelle les générations 1955 et 1956 prendront leur retraite (62 ans) après avoir cotisé 41,5 ans. En revanche, souligne Yannick Moreau, « un nouveau recul des âges produirait peu d’effet à court terme et apparaît peu opportun après que des augmentations significatives ont été introduites par la réforme de 2010 ». En effet, explique le rapport, si on augmentait de un trimestre par génération les bornes d’âge pour les assurés nés entre 1956 et 1959, pour atteindre 63 ans (âge légal) et 68 ans (âge du taux plein), le gain serait de 600 millions par an pour le régime général à compter de 2018. Sur ce point, la commission rejoint François Hollande qui a assuré, le 16 juin, que « l’âge légal ne bougera pas ».
A noter : la commission fournit aussi une analyse pour le moyen et le long terme, au travers de laquelle la modification des bornes d’âge ou des conditions de durée d’assurance permet d’équilibrer le système dans plusieurs scénarios.
Pour la commission, il convient de remédier aux inégalités dans l’acquisition des droits à la retraite, certains assurés étant lésés, comme les jeunes actifs (6) ou les stagiaires en entreprise. Ces derniers perçoivent une gratification minimale dès trois mois de stage exempte de cotisations sociales, ne leur permettant pas de valider de trimestres d’assurance vieillesse, sauf à percevoir une gratification importante (au moins 75 % du SMIC). L’instance propose donc de supprimer la franchise des cotisations sociales afin de pouvoir prendre en compte la gratification comme assiette de cotisations. Et, dans ce cadre, les stages longs (cinq mois) permettraient de valider un trimestre. Certes, admet-elle, cette mesure engendrerait, pour les seules cotisations patronales d’assurances sociales, un surcoût de 123 € par mois par stagiaire gratifié, mais l’Etat pourrait en prendre une partie à sa charge, suggère-t-elle encore.
La commission s’est aussi penchée sur les avantages familiaux de retraite (majoration de durée d’assurance, assurance vieillesse des parents au foyer, majoration de pension pour trois enfants et plus), qui jouent un « rôle central pour réduire les inégalités de pension », mais qui n’ont « pas intégré la forte progression du taux d’emploi des femmes ». Elle a donc étudié un scénario de refonte proposée par la direction de la sécurité sociale et dont l’objectif ne serait plus d’améliorer les durées d’assurance des femmes mais de compenser, d’une part, les interruptions de carrière directement liées aux jeunes enfants et, d’autre part, l’impact sur les rémunérations (et partant sur les pensions) induit par l’éducation des enfants, le plus souvent assurée par les femmes. Il s’agirait ainsi de créer un dispositif unique de compensation de la réduction d’activité pour enfant : la majoration de durée d’assurance vieillesse attribuée au titre de l’éducation de l’enfant disparaîtrait progressivement au profit de l’allocation vieillesse des parents au foyer (AVPF), qui serait simplifiée. En pratique, souligne le rapport, « l’AVPF serait systématiquement accordée aux bénéficiaires du complément de libre choix d’activité [de la prestation d’accueil du jeune enfant], sans condition de ressources ». Au final, précise-t-il, il s’agit de « mieux indemniser, au titre des droits à pension, une interruption de carrière […], mais en la ciblant sur les enfants non scolarisés ».
Parallèlement, une majoration de pension liée à l’accouchement/adoption/congé parental serait instituée. Ici, la majoration de durée d’assurance accordée à la mère au titre de la maternité et la majoration pour trois enfants et plus seraient transformées en une majoration unique forfaitaire – fixée, par exemple, entre 70 et 100 € par enfant. Selon la commission, les pères perdraient le bénéfice systématique de la majoration pour trois enfants, mais ils ne seraient toutefois exclus ni de l’AVPF rénovée ni de cette nouvelle majoration, qui serait accordée aux assurés, en première intention au titre de l’accouchement, de l’adoption ou d’une interruption de carrière d’au moins six mois pendant les trois premières années de l’enfant. Si les deux parents y sont éligibles, un partage par moitié serait effectué. Pour Yannick Moreau, cette réforme pourrait se faire « à coût constant, reposant schématiquement sur une redistribution des hommes vers les femmes, et des femmes aisées vers les femmes à petite pension ».
Les réformes des retraites de 2003 et de 2010 ont initié un processus de convergence des règles de calcul des pensions de vieillesse entre les régimes de la fonction publique et des salariés du secteur privé, notamment en ce qui concerne les durées d’assurance et les taux de cotisation. Toutefois, la commission pour l’avenir des retraites estime nécessaire de poursuivre cette démarche dans une optique de lisibilité et d’équité. Sa présidente, Yannick Moreau, préconise, entre autres, de calculer la pension des fonctionnaires sur la base des traitements perçus sur une période allant de trois à dix ans et non plus sur les six derniers mois comme c’est le cas actuellement (25 dernières années dans le secteur privé). Une règle qui pourrait être compensée par l’intégration d’une partie des primes qui leur sont attribuées – en « nette hausse » – et dont une part importante est exclue de l’assiette de calcul, conduisant à une « dégradation des taux de remplacement ». « Dans le cas d’un allongement de la durée de référence aux dix dernières années avec une revalorisation des traitements portés au compte analogue à celle du régime général (sur les prix), la perte de pension, sans intégration des primes, est estimée en moyenne à 3,6 % », indique le rapport. « Avec une intégration des primes dans la limite de 5 % du traitement, cette perte serait donc plus que compensée ». Bien évidemment, cette réforme n’est pas du goût des principaux syndicats de fonctionnaires qui y voient un casus belli. Au-delà, Yannick Moreau propose, pour la fonction publique d’Etat, de convenir d’un « moment de concertation triennal sur la politique de la retraite ». Cela permettrait d’assurer un « suivi régulier et transparent des principaux indicateurs du régime : évolution des taux de remplacement, évolution moyenne des pensions, situation financière du régime… ». Somme toute, cette démarche viserait à « donner une plus grande transparence à des éléments mal connus de l’opinion mais aussi des agents publics » et à « suivre, comme pour les autres régimes, des indicateurs permettant d’améliorer le pilotage ».
(1) Le conseil a en effet rendu deux rapports, l’un sur les projections financières à moyen et long terme, l’autre sur l’état des lieux du système de retraite – Voir respectivement ASH n° 2789 du 28-12-12, p. 8 et n° 2795 du 1-02-13, p. 14.
(2) Nos retraites demain : équilibre financier et justice – Juin 2013 – Disponible sur
(3) Ce déficit est structurel, notamment du fait des départs massifs à la retraite des générations du « baby boom », dont les effets devraient se prolonger jusqu’en 2035, et de l’allongement de l’espérance de vie.
(4) Elle suggère notamment l’élaboration d’un plan quinquennal concerté pour les seniors qui viserait à mobiliser les outils existants, à en développer de nouveaux et à relancer une politique de communication pour continuer à faire évoluer les représentations dans les entreprises. Ou encore l’amélioration de la gestion des carrières et des compétences, l’aménagement des fins de carrière (retraite progressive, cumul emploi-retraite…) et une meilleure prise en compte de la pénibilité (prévention et compensation).
(6) Selon le rapport, le nombre de trimestres d’assurance vieillesse validés avant 30 ans a diminué de 11 trimestres entre les générations 1950 et 1978, passant de 42,6 trimestres validés à 31 trimestres. En cause, l’allongement de la durée des études et une insertion plus progressive sur le marché du travail.